Contrôler sans tout interdire : les méthodes pour les parents afin d’encadrer l’usage du numérique de leurs enfants évoluent<!-- --> | Atlantico.fr
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Une infirmière auxiliaire avec un enfant en train de regarder un écran en mars 2017 à Neuilly-Plaisance. Stéphane Blocquaux Le biberon numérique tablette technologie bonnes pratiques conseils
Une infirmière auxiliaire avec un enfant en train de regarder un écran en mars 2017 à Neuilly-Plaisance. Stéphane Blocquaux Le biberon numérique tablette technologie bonnes pratiques conseils
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Stéphane Blocquaux publie "Le biberon numérique: Le défi éducatif à l'heure des enfants hyper-connectés" aux éditions Artège. Aux mains des enfants et adolescents, certaines activités numériques peuvent s'avérer aussi dangereuses qu'attractives. À l'ère du smartphone et des casques virtuels immersifs, il s'agit d'être particulièrement vigilants concernant les usages d'internet et des dispositifs connectés que nous mettons à leur disposition. Extrait 2/2.

Stéphane Blocquaux

Stéphane Blocquaux

Fort d'une expérience de 15 ans sur le terrain, docteur en Science de l'information et de la communication, Stéphane Blocquaux a mené diverses formations ou expertises auprès du ministère de la Santé, du Sénat, de la Fondation pour l'Enfance ou encore de la Protection judiciaire de la jeunesse.

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Prenons l’exemple du radar automobile. Personne ne l’aime, mais tout le monde convient de son utilité et de son efficacité. La baisse constante des décès liés à la vitesse excessive est incontestable. N’en déplaise à ses détracteurs et au risque de paraître provocateur, il repose sur un principe libertaire qui consiste à laisser nos automobiles disposer de puissants moteurs, capables de propulser potentiellement certains de nos bolides à plus de 300 km/h sur route ouverte. Les progrès de la géolocalisation satellitaire et des limiteurs de vitesse ont imposé ces options en série sur de nombreux modèles de véhicules. Pourquoi ne pas imaginer à l’avenir des véhicules télégérés ? Ces engins se verraient automatiquement bridés à 50 km/h, à peine le panneau des agglomérations franchi. Quelle horreur, hurlent déjà les amateurs de grosses cylindrées et de vitesse sur route ouverte ! Nos principes démocratiques et notre respect des libertés individuelles nous conduisent à ne pas (encore ?) appliquer de telles restrictions, laissant au conducteur une véritable impression de liberté. Libre à lui, en effet, de rouler au-delà des limites en vigueur… dans la mesure où il échappe à l’œil vigilant des très nombreux radars. Les outils répressifs devenant de plus en plus performants et discrets, bon nombre de chauffards se sont progressivement fait une raison et lèvent le pied pour éviter de perdre leur précieux permis.

Les vertus de la liberté numérique surveillée à distance

À domicile, l’approche que je vous propose s’inspire de cette « méthode du radar ». Je préconise également une forme de liberté surveillée des activités connectées des enfants. Je ne suis, bien entendu, pas opposé à la présence complémentaire d’un traditionnel « logiciel de contrôle parental », même si vous avez déjà pressenti mon avis mitigé sur les limites intrinsèques au filtrage par mot-clé. Je serais d’ailleurs bien en peine de vous proposer une référence miracle, un logiciel qui saurait interdire seulement ce qui est « mauvais » pour votre enfant et autoriser « tout ce qui est bon ». Car les aspects manichéens et caricaturaux de ces dispositifs de filtrage me posent un véritable problème, et ce depuis bien longtemps. Qui décide de quoi? Selon quels critères telle ou telle page web lui sera accessible (ou pas), une fois les règles de filtrage les plus consensuelles établies? Y a-t-il une « marge de manœuvre » pour ajuster cette liste « noire » des adresses et thématiques interdites? Existe-t-il d’ailleurs vraiment des choix consensuels? Prenons l’exemple de la règle absolue qui consisterait à interdire tout accès à la pornographie pour les mineurs, ce sans exception. Je la suppose consensuelle. Pour autant, que va penser ce jeune de 16 ou 17 ans qui se verra refuser par le logiciel de contrôle parental l’accès à la requête « sexe » saisie dans son moteur de recherche préféré dans le monde virtuel… alors qu’il pratique déjà la chose sur le plan charnel, dans le réel? Dans le louable but de protéger les jeunes de la pornographie et de ses excès (exhibition, crudité, domination, dégradation, etc.), le choix de la « non-réponse » me semble pour autant radical et discutable. Mais nous aurons tout le loisir d’en discuter dans le second volume de cette collection « Éduquer au virtuel », un ouvrage qui sera exclusivement dédié à la précocité de la surexposition juvénile aux contenus en ligne à caractère sexuel et à leurs effets.

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En revanche, la question d’un accès libre des enfants (et sans surveillance directe par un adulte) aux moteurs de recherche par enfant est à refermer immédiatement, et ce de la maternelle au primaire. Elle est un problème, car Google est un problème à lui seul. En effet, il n’est rien d’autre qu’un produit « conçu par et pensé pour » le monde des adultes. De par ce simple constat, le dispositif ne me semble résolument pas approprié à la conduite de recherches libres par des enfants de moins de 12 ans. Sous la surveillance d’un parent, il demeure un puissant outil pour les former à la recherche raisonnée de données sur la toile. Mais gare au délicat mode « images », dont les contenus les plus surprenants peuvent surgir à chaque instant… et déraper même dans les mains d’un adulte averti et vigilant. Bien entendu, une batterie de parades s’offre à vous. Des moteurs alternatifs, équipés d’algorithmes spécialisés dans les requêtes formulées par les plus jeunes (Qwant Junior ou encore Kiddle) réduiront pendant un certain nombre d’années les risques de ces mauvaises rencontres visuelles. Tout en les privant, il est vrai, de la puissance inégalée d’investigation du « maître Google ».

Dès l’entrée au collège, la question se posera déjà différemment. Quel élève de classe de quatrième pourra supporter l’apparition d’un petit dinosaure à l’air réprobateur lui indiquant : « Oups, je n’ai pas trouvé de résultats qui te conviennent? » Comment pourrait-il expliquer à ses meilleurs amis du collège qu’à la maison, ses parents l’obligent encore à effectuer ses recherches sur Kiddle, le « moteur des bébés »!

Pour pallier ce problème, la firme française Qwant a mis en place Qwant School, destiné à un public âgé de 10 à 16 ans.

Destiné à un public âgé de 10 à 16 ans, les concepteurs du moteur présentent par avance leurs excuses pour d’éventuels problèmes dans la qualité de son filtrage : « Dans la mesure où nous ne pouvons exercer aucun contrôle sur les contenus de ces sources externes, vous reconnaissez que nous n’assumons aucune responsabilité relative à la mise à disposition de ces ressources, à leur contenu… » Concrètement, les mots « sexe » ou « fesse » ne donneront effectivement lieu à… aucune réponse en mode « images ». Je vous laisse tester par vous-mêmes, l’expérience est déconcertante. Je vous déconseille cependant d’y rechercher ce qu’est un « zizi » ou encore d’entamer une recherche illustrée du célèbre tableau « l’origine du monde », du peintre Gustave Courbet, surtout avec un enfant de 10 ans à vos côtés. Il y trouvera bien d’autres reproductions bien différentes de l’original artistiquement exposé au musée d’Orsay ! Soit, aucune commune mesure, c’est indéniable, avec le déferlement d’images pornographiques proposé par le système « Google Images » sur cette même thématique. Mais le dispositif de recherche dédié exclusivement aux collégiens me semble encore bien loin de pouvoir garantir un filtrage « parfait et absolu des contenus inappropriés aux mineurs ». Peut-être simplement parce que le concept lui-même est complètement utopique.

Pour toutes ces raisons, il vous faudra adopter une seconde approche et déployer un second bouclier complémentaire.

Papa et maman te voient!

En entreprise, les logiciels de type « prise de contrôle des postes à distance » fascinent les néophytes en informatique. Qui ne s’est jamais extasié, tout au moins la première fois, lorsque la souris de votre ordinateur se met à se déplacer à l’écran, sans aucune action de votre part. Sous le contrôle de votre informaticien local, vous contemplez avec admiration la puissance de la « prise de main à distance » (comme on l’appelle dans le jargon technique des informaticiens). Les logiciels proposant ce type de fonctionnalité sont nombreux : LogMeIn, Team Viewer, AnyDesk, NoMachine, Splashtop, etc., gratuits ou payants, selon les options proposées et le nombre de postes que l’on entend contrôler à distance. Je préfère utiliser le terme « contrôler » plutôt que celui de « surveiller ». Car j’entends déjà les ardents défenseurs de la sacro-sainte liberté des enfants s’offusquer devant des systèmes reposant sur des formes d’ingérence parentale : « Comment? Je me refuse à utiliser des “Big Brother” parentaux ! » C’est pour cela que la démarche de déploiement en environnement familial d’un tel dispositif de contrôle à distance se doit d’être conduite avec précaution et sur la base d’un dialogue ouvert, pour ne pas sombrer dans les travers de l’espionnage parental.

Plutôt que de vous proposer les captures d’écran d’un logiciel précis (qui sera obsolète dès demain!), je me propose de vous livrer une forme de procédure générique, commune à bon nombre des programmes précités ou à bien d’autres que vous saurez découvrir par vous-mêmes en flânant sur le net.

Première règle, la mise en route doit impérativement s’appliquer en présence de l’enfant : « Regarde, mon chéri, ce que nous allons installer ensemble sur le poste que tu utilises. » Bien entendu, il nous faut convenir en amont d’une définition commune de celui que je définis ici comme un enfant ». La légitimité d’un tel processus peut effectivement très difficilement se justifier auprès d’un lycéen de 17 ans, vous en conviendrez… Mais cela vous laisse tout de même une belle et large plage d’action, de l’école primaire jusqu’à la fin de sa période de collège.

Vous aurez pris soin, avant de vous lancer dans cette première installation sur le poste concerné, de créer un compte « administrateur » auprès de la plate-forme choisie (hors présence de l’enfant bien entendu). Il m’est arrivé d’entendre certains parents invoquer leur faible niveau de compétence en informatique, certainement pour tenter de justifier leur manque de volonté à tenter de mettre en œuvre de tels systèmes. Ce sont pourtant ces mêmes parents qui commandent, avec une aisance déconcertante, des chaussures en ligne ou qui s’abonnent sans peine à Netflix. Me permettez-vous (bien amicalement) d’y déceler quelques symptômes d’une éventuelle mauvaise foi?

Toujours sous les yeux de votre enfant, et après vous être connectés sur la plate-forme à l’aide de vos précieux identifiants, il vous suffit de déclencher l’installation du petit « logiciel agent actif » qui vous est proposé (certainement sous la rubrique « Installer sur cet ordinateur », et de suivre la procédure généralement guidée que le dispositif vous propose pour s’activer).

Voilà. Le système est en place, prêt à servir. Ce que je nomme le « Contrat parental numérique » peut être alors défini avec l’enfant. Il débute par l’énoncé d’une consigne claire et non négociable : « Nous allons dîner chez les voisins, tu n’es pas obligé de venir car nous sommes à deux pas. Mais tu stoppes tes jeux en ligne et tes réseaux à 21h30. Nous sommes bien d’accord? »

Vers 23 heures (alors que votre petite soirée entre voisins – et sans enfants – s’éternise pour votre plus grand plaisir), il vous suffit de jeter un œil sur le tableau de bord de votre logiciel « magique ». Une icône « grisée », la machine a bien été déconnectée par votre enfant, et à l’horaire exact indiqué par la console. Bien entendu, il aura très certainement tenté de vous resquiller quelques précieuses minutes de connectivité. Cela me semble de bonne guerre et sans conséquence. En revanche, si vous le découvrez encore en activité en ligne à une heure indue, il ne me semble ni autoritaire, ni barbare, de prendre le contrôle de la machine pour stopper (en quelques clics) ses activités. Quitte à actionner l’extinction totale de la machine, devant ses yeux ébahis…

Vous le constaterez, loin de générer de l’agressivité ou de la violence, ce type d’intervention aura un double effet : asseoir votre légitimité technologique au sein du foyer (et oui, vous savez piloter autre chose que le grille-pain de la cuisine!) et ouvrir un dialogue avec votre enfant sur la nécessité de poser des limites… et surtout de savoir s’y tenir. Et après tout, en quoi cette astuce technique des temps modernes serait-elle plus intrusive et brutale que lorsque vos parents se penchaient à quatre pattes sous la porte de votre chambre, pour tenter de détecter un rayon de lumière? Alors même, d’ailleurs, que vous étiez soigneusement cachés sous vos draps pour tenter de lire à une heure tardive, armés de votre pile électrique! L’époque a changé, les outils et les méthodes de contrôle des parents s’adaptent, tout simplement.

A lire aussi : L’utilisation des casques de réalité virtuelle est-elle déconseillée pour les enfants ?

Extrait du livre de Stéphane Blocquaux, "Le biberon numérique: Le défi éducatif à l'heure des enfants hyper-connectés", publié aux éditions Artège.

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