Continents d’ordures et nappes de pollution : la carte des océans qui permet de traquer les flux mondiaux <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Cette carte montre comment la pollution migre grâce aux courants océaniques.
Cette carte montre comment la pollution migre grâce aux courants océaniques.
©

Explications

Des chercheurs de l'Université de la Nouvelle-Galles du Sud en Australie viennent de publier une étude sur les déplacements et la concentration de déchets à travers les océans.

Des déchets qui s'accumulent en quantité au point qu'ils commencent à composer un "nouveau continent"... Ce n'est pas de la science-fiction, c'est la réalité : ainsi, selon une étude du Centre supérieur de la recherche scientifique de l'université de Cadiz (Espagne) publiée en juillet, 88% de la surface des océans seraient contaminés par des micro-fragments de plastique. Autre donnée alarmiste : dans le nord-est du Pacifique, entre la Californie et Hawaï, ce sont près de 3,5 millions de km² de déchets produits par les hommes et acheminés par les courants marins qui se retrouvent concentrés au même endroit. Concrètement, selon différentes observations, sous l'effet des courants marins, les déchets provenant des littoraux et des navires flottent pendant des années avant de se concentrer dans différentes zones maritimes.

Les deux principales sont connues sous les noms de "Plaque de déchets du Pacifique est" (Eastern Pacific Garbage Patches) et "Plaque de déchets du Pacifique ouest" (Western Pacific Garbage Patches). Selon les dernières estimations, ces deux plaques, qui forment la "Grande plaque de déchets du Pacifique" (Great Pacific Garbage Patch), s'étendent sur 3,43 millions de km², soit près d'un tiers de la superficie de l'Europe ou encore cinq fois la superficie de la France ! En effet, quand vous jetez une bouteille à la mer, celle-ci ne se retrouve pas n'importe où comme on aurait tendance à le penser mais bien dans des zones bien précises du globe. C'est l'enseignement principal d'une étude menée sur une période de plusieurs mois par des chercheurs de l'Université de la Nouvelle-Galles du Sud en Australie et relayée par le site City Lab. Publiée récemment par l'American Institute of Physics, cette enquête montre comment les déchets jetés en Australie se retrouvent tous au large de l'Amérique du Sud.

Trois scientifiques, Gary Froyland, Robyn M. Stuart et Erik van Sebille, ont surveillé la direction et la vitesse de la houle pendant 48 semaines et ont corrélé ces informations avec les données indiquant où se situent les zones où s'accumule la plus grande quantité de détritus. Grâce aux résultats observés, ils ont ainsi pu créer un nouveau modèle mathématique qui permet de mieux déterminer qui est responsable de chaque plaque de déchets. Ainsi, selon leurs analyses, et cartes à l'appui, ils démontrent que lorsqu'une personne jette un bidon en plastique dans le port de San Diego, celui-ci ne se retrouvera que très rarement au large de l'Amérique du Sud. Au lieu de cela, celui-ci naviguera plus certainement le long des côtes japonaises ou chinoises. Selon ces chercheurs, les courants entraînent les déchets dans cinq grandes zones maritimes (les fameuses "plaques de déchets"), qui continuent donc de s'agrandir au fil des ans. 

"Dans certains cas, vous pouvez avoir un pays très éloigné d'une plaque de déchets qui a contribué directement et de façon inattendue à une plaque", assure Gary Froyland, au site Eurekalert. Et de poursuivre : "Par exemple, les débris en provenance de l'océan de Madagascar et du Mozambique se sont principalement écoulés dans l'Atlantique sud, alors même que les côtes des deux pays bordent l'océan Indien". Jean Tournadre, chercheur au laboratoire d'Océanographie spatiale à Brest à l'Ifremer, ne dit pas le contraire : "Quand on regarde la trajectoire d'une particule dans l'océan, elle peut sembler aléatoire, or ce n'est pas le cas."

"Par analogie, si on prend une montagne et que l'on suit la trajectoire d'une goutte d'eau, celle-ci semblera totalement aléatoire. Mais, au final, elles vont toutes se retrouver pour forme un ruisseau, puis un torrent. Là, c'est pareil : même s'il y a des courants aléatoires en regardant la trajectoire d'un seul déchet, au final ils se retrouveront tous au même endroit. Cela s'explique par la présence de bassins attracteurs. Si vous jetez quelque chose au large de San Diego, peu importe le temps que cela prendra, mais à la fin il y a une probabilité de 80% pour que l'objet se retrouve au large des côtes japonaises". 

Les données ci-dessus montrent comment la pollution des océans migre. Ainsi, si au départ elle peut sembler très diffuse (figure A), s'étendant à travers l'Atlantique, le Pacifique et l'Océan Indien, elle migre peu à peu car les courants ont poussé les débris dans des zones plus concentrées. Au final, les déchets se retrouvent largement installés dans les 5 "grandes" plaques d'ordures qui s'étendent sur environ 40% de notre écosystème marin (figure D). 

Jean Tournadre revient sur les résultats de cette étude. "Ces scientifiques ont utilisé un modèle numérique à haute résolution afin de calculer un ensemble de trajectoires sur 48 semaines. Pour cela, ils prennent des déchets partant d'un point A et regardent ceux qui arrivent à un point B. Ils essaient ensuite de déterminer quels sont les attracteurs qui ont permis de les amener jusque là. Concrètement, ils cherchent à savoir d'où proviennent telles particules d'eau et où elles vont aller. C'est comme ça, qu'après calculs, ils établissent ces cinq grandes zones de regroupement de déchets". Concernant les cartes ci-dessus, Jean Tournadre les résume ainsi : "On part d'une pollution uniformément répartie sur l'ensemble de la planète et on calcule où elle va s'accumuler au bout de tant de temps. Plus grossièrement, si on met de la pollution partout, au bout d'un certain temps, on va constater qu'elle va se concentrer dans cinq zones". 

De plus, l'étude montre qu'il existe de réels bassins d'attraction comme ceux le long des côtes atlantique et pacifique de l'Amérique du Sud. Ces chercheurs se sont rendus compte qu'il existait en réalité sept régions où la pollution était "piégée" par les courants océaniques, représentés sur la carte ci-dessus (Figure 6). Selon Jean Tournadre, cette carte permet par exemple de se rendre compte que "la pollution de la plaque située entre Hawaï et la côte Pacifique des Etats-Unis n'est pas seulement américaine. En réalité, son bassin d'attraction, ce sont toutes les côtes asiatiques et américaines". Il ajoute que pour la plaque située au sud du Pacifique au large de l'Amérique du sud, "son bassin d'attraction s'étend pratiquement jusqu'au sud de l'Afrique et englobe l'Australie" - ou encore selon City Lab,  la pollution au sud de l'Afrique (rose) va se déplacer jusqu'à la côte atlantique de l'Amérique du Sud.

"Le nouveau modèle pourrait également aider à déterminer à quelle vitesse les déchets vont d'un lieu à un autre", estime de son côté Erik van Sebille. "Grâce à celui-ci, nous pouvons désormais calculer, par exemple, en combien de temps les déchets provenant d'Australie se retrouvent dans le Pacifique Nord." 

"Le message à retenir de notre travail est que nous avons redéfini les frontières des bassins océaniques selon la manière dont l'eau se déplace", a aussi affirmé l'océanographe. Cette géographie des nouveaux bassins pourrait donner un aperçu de l'écologie marine, en plus d'aider à pister les déchets dans les océans. Les chercheurs indiquent enfin que leur technique de modélisation pourrait également être appliquée à plus petite échelle : en effet, elle permettrait de déterminer par exemple quelle "quantité" d'eau des Grands Lacs est canadienne et quelle quantité est américaine. Tout un programme.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !