Conflit israélo-palestinien : ignorance et violence symbolique<!-- --> | Atlantico.fr
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Un manifestant brandit le poing lors d'un rassemblement en faveur de la P
Un manifestant brandit le poing lors d'un rassemblement en faveur de la P
©DIMITAR DILKOFF AFP

Soutien de courte durée

Le confit entre le Hamas et Israël a fait apparaître les impasses symboliques qui opèrent dans le champ médiatique et politique.

Genevièvre  Bernaerts

Genevièvre Bernaerts

Genevièvre Bernaerts est psychanalyste de la transmission symbolique et systémicienne.

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Les récents événements en Israël, profondément tragiques, ont fait apparaître plus nettement encore les impasses symboliques qui opèrent dans le champ médiatique et politique. Les lignes de clivage étaient déjà facilement repérables, mais on aurait pu penser que face à l’extrême barbarie du hamas, ces lignes auraient subi un certain déplacement, or il n’en n’a pratiquement rien été. Il y a eu un certain émois, où une forme de soutien à Israël s’est exprimée. À croire qu’il faut de tels extrêmes pour que « la communauté internationale » et les acteurs du champ de la communication concèdent un peu de sympathie à ce pays à l’histoire singulière. Mais ce soutien fût de courte durée, car immédiatement les appels à ne pas céder à la violence ont retenti. Au moment de cet appel, Israël ne l’avait pas encore utilisée, et celles du hamas étaient toujours en cours. De quoi être quelque peu perplexe, puisque le hamas venant de se déchaîner avec une cruauté inimaginable, cet appel ne pouvait forcément plus concerner que Israël. Ainsi les acteurs semblaient plus inquiets pour la violence qui risquait de s’ensuivre, que pour celle qui venait de se déployer.

Lorsque j’ai appris les événements, dans le courant de l’après-midi, (les exactions avaient commencé vers six heures du matin), j’ai pensé : le prochain mot des commentateurs sera « disproportionné ». Effectivement, le mot fût lâché dès l’annonce des représailles israéliennes. On pourrait dire que c’est évident car Israël a toujours réagit de façon massive. Mais nous n’étions pas dans le même événement que les précédents, cet événement dépassait tout ce qui avait été perpétré par le hamas jusqu’ici. Le terme « disproportionné » n’a pas été employé pour autant à propos du hamas, qui selon une posture narrative bien connue, « défend son territoire ». À croire que l’on tient pour acquis le droit du hamas à la disproportion, à la disproportion forcément légitime et donc forcément infiniment légitime, car l’idée de limite n’est exprimée qu’envers Israël. Chacun y est allé de son « humanisme », en tançant Israël a priori, sans rien adresser comme message au hamas. Le hamas – comme c’est aussi souvent le cas à propos des musulmans – c’est celui/ceux dont on parle mais à qui on ne parle pas. Donc pas de reproches, pas de message spécifiquement adressé au hamas, quelques appels adressés dans des formules laconiques aux deux protagonistes considérés comme un ensemble. De façon remarquable, la singularité n’est spécifiée qu’envers Israël. Remarquable en effet car ça révèle le fond de cette violence radicale du hamas, mais aussi d’une part non négligeable du monde musulman, envers Israël et envers les Juifs : le refus d’une singularité. Or ce qui singularise le plus Israël, et les Juifs, ... c’est précisément leur singularité. Ce n’est pas une lapalissade ; ailleurs, ce qui singularise par exemple le progressisme, c’est le déni dusymbolique.Orlatransmissionjuiven’aeudecessedesedéployerdansunetransmissionsymbolique, semblant surgie de nulle part, puisant sa force dans son acte créatif inouï : s’être ditedistinguée de Dieu. Tout cela embête beaucoup les progressistes qui ont vidé leur propre pensée detouteréférenceàladimensionsymbolique,etleurseulrecoursestd’interpréterlaviolencepalestinienne comme expression d’une revendication territoriale. Leur compréhension est de la pluspure veine matérialiste, prétendant que si on donne un État aux Palestiniens, les terroristes vont setransformer en enfants du vivre ensemble. Des Palestiniens, les chefs du hamas, de nombreuxdirigeants de pays arabo-musulmans ont beau s’égosiller, crier à tue tête que leur violence concernel’existence d’Israël et des Juifs, qu’elle leur est insupportable et qu’ils ne vivent que pour lesexterminer, les progressistes restent sourds et amènent leur « solution » sous forme de la créationd’un État. Ils sont comme dans d’autres contextes politiques, de grands donneurs de leçons, à telpoint qu’on se demande : mais que diable, comment eux n’ont-ils par « résolu » la problématique duvoile, ou des banlieues ? Et pour la Seine-Saint-Denis, que proposent-ils ? Une « solution » à deuxÉtats?

Le point d’acuité du conflit concerne des questions d’existence et leurs fondements symboliques. Pour les Occidentaux, autant dire que c’est de l’hébreu. L’origine musulmane est paradoxale, car elle a inscrit dans son texte fondateur et comme condition de sa pleine réalisation, que le Juif doit sortir de son fondement. Drôle de tournage en rond, de quoi rendre fou. Tandis que le Juif pousse l’outrecuidance à se fonder lui-même, sans référence à l’autre : on a donc une singularité somme toute radicale, face à une revendication de singularité mais qui ne peut s’affirmer que par rapport à l’autre dont il faut obtenir la disparition. On peut se demander si ce paradoxe, n’est pas à l’origine de la mécanique perverse : le hamas tirant régulièrement des milliers de roquettes sur Israël, puis demandant une trêve, des pourparlers, promettant de redevenir civilisé, mais préparant déjà le prochain bombardement. La jouissance sadique, selon moi, ne suffit pas à expliquer le mécanisme dans son ensemble ; je pense plutôt à ce paradoxe fondateur : où la disparition du Juif est le mode par lequel tel musulman s’affirme le plus et se donne à exister. Il faut donc harceler le Juif mais le garder en vie, l’éradiquer indéfiniment 1 -2.

Tant que les Occidentaux seront ignorants de la dimension symbolique, ils seront incapables d’être tiers. Et on observe cette incapacité dans d’autres conflits ouverts, dans le champ de l’intégration des musulmans, ou celui du conflit entre l’Ukraine et la Russie : ces impasses ont comme point commun le mépris des ressorts symboliques.

On presse Israël d’entamer des pourparlers avec le hamas. Autrement dit, pour les observateurs, la ligne franchie par le hamas côté déshumanisation n’est pas signifiante, elle ne constitue pas une sortie du champ symbolique. Selon les Occidentaux on devrait pouvoir se rabibocher avec celui qui a torturé des enfants devant leurs parents, les a brûlé vif. C’est sur ce point précis qu’on comprend que les lignes n’ont pas bougé, et que l’empathie exprimée au tout début envers Israël n’était que de surface. Ils sont passés aussitôt à autre chose, les horreurs du hamas sont juste un épisode parmi de nombreux épisodes. C’est aussi là qu’on comprend que l’humanisme de ces gens en cols blancs se réduit à une posture narcissique : ils veulent un humanisme désincarné, pour lequel il n’y aurait pas à se mouiller pour en assurer la permanence.

On a aussi vu cette absence de changement profond dans la réaction de l’Union européenne : extrêmement vite, elle a annoncé suspendre l’aide aux Palestiniens 3, pour la rétablir tout aussi vite. Et elle a décidé de tripler l’aide dans les quelques heures qui suivaient le massacre par le hamas. Pourquoi une telle soudaineté ? Pourquoi une telle annulation et le retour à la position identique à celle avant le massacre ? Alors que le hamas a marqué une rupture irréversible, l’Union européenne veut-elle effacer ou dénier cette rupture ? Peut-être parce que pour elle, ce qui importe c’est de pouvoir continuer à vaquer à ses petites lubies : agenda 2030, chimère climatique, vaccination, wokisme, cours d’éducation sexuelle à l’école, etc ? Dans tous les cas, la violence subie par Israël est pour elle insignifiante, et cela constitue une violence symbolique qui redouble la violence du hamas. Interpellant point de fusion.

1 : Georges Bensoussan écrit : « Tout se passe, surtout au Maroc, comme s’il fallait en permanence humilier les Juifs sans les écraser tout à fait ». Dans son livre Juifs en pays arabes, le grand déracinement 1850-1975, pg 46, Éd. Tallandier, 2012.

2 : Cela se rapproche d’un mécanisme à l’œuvre dans l’idéologie, en particulier dans le processus révolutionnaire et le maintien du fanum. Voir Daniel Sibony.

3 : Il y a l’argument que les Palestiniens ne sont pas le hamas, outre que la ligne de démarcation est loin d’être simple, l’UE n’a pas les moyens de contrôler l’usage qui est fait de cet argent, et tout le monde sait qu’il est capté par le hamas.

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