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Près de 62% des femmes auraient déjà interrompu un rapport sexuel pour regarder leur téléphone portable.
Près de 62% des femmes auraient déjà interrompu un rapport sexuel pour regarder leur téléphone portable.
©REUTERS/Tomas Bravo

Parasite

Près de 62% des femmes auraient déjà interrompu un rapport sexuel pour regarder leur téléphone portable, un score bien plus élevé que les hommes qui sont à 48%. Et ce n'est pas la seule conséquence des smartphones sur la vie sexuelle des couples.

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle est docteur en sociologie et ingénieur télécom (ENST Bretagne). Elle est professeur à l'ISC Paris et co-fondatrice de la Chaire Digital BusinessSes domaines de recherche couvrent les usages des TIC (téléphone portable, Internet, médias sociaux…)

Elle a publié La télévision mobile personnelle : usages, contenus et nomadisme,  Les usages du jeu sur le téléphone portable : une mobilisation dynamique des formes de sociabilité  aux Editions L'Harmattan et J'arrête d'être hyperconnecté ! : 21 jours pour réussir sa détox digitale chez Eyrolles.

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Atlantico : Une enquête de  VoucherCodesPro , menée sur 1747 personnes, est sans appel. Les chiffres montrent que 62% des femmes participant aux questionnaires avouent avoir déjà interrompu un rapport sexuel pour regarder leur téléphone portable, contre 48% chez leurs partenaires masculins. Comment expliquer cet acte ?

Catherine Lejealle : N’ayant pas plus d’informations sur le type d’appels auquel les femmes répondent, on ne peut que mettre ce chiffre en regard des études sur la "care", à savoir la prise en charge des enfants et de la famille. Les enquêtes montrent que les hommes se chargent des tâches prévisibles comme réserver un billet de train pour l’enfant qui part chez les grands parents ou la demande en ligne de formalités alors que les femmes sont en charge de la partie imprévisible. Ce sont elles que la crèche ou l’école appelle si l’enfant est blessé ou encore pour tout autre urgence. Elles sont donc les contacts pour les appels entrants. Ceci peut expliquer que les femmes regardent davantage leur mobile pendant un rapport. 

Le Smartphone est de plus en plus présent dans l'intimité du couple. En quoi cela peut influencer

Le mobile n’agit pas de façon unique pour tout le monde. Il faut tenir compte des habitudes de communication du couple, et s’ils peuvent être contactés pendant la journée. En tout cas, du fait des forfaits illimités, de l’essor de l’écrit dans toutes les relations (professionnelles inclus) on observe une inflation dans le nombre de sms, mails, selfies, MP etc… envoyés au sein des couples. Et une densification des communications, une possibilité d’être en présence connectée toute la journée et de partager en temps réel tout ce qui arrive. Ainsi, pour beaucoup d’entre nous, le lien amoureux et les liens avec les meilleurs amis est alimenté, entretenu par les échanges médiés.

Le mobile apporte de nouvelles opportunités de formats d’échanges notamment écrits qui permettent de désinhiber, d’oser et pour les plus timides au moins dans la phase de relation amoureuse naissante, d’exprimer des choses qu’on a pas encore le courage de dire en face à face. Il faut voir ces possibilités comme des opportunités, des plus, qui s’ajoutent à ce qui existait déjà – libre à chacun de les utiliser ou pas. 

Est-il vrai que plus nous avons recours à "l'intimité numérique" (le lien amoureux par le biais du téléphone au travers de textos et autres applications), moins l'intimité réelle est préservée ?

Non il n’existe pas de relation déterministe. Comme je l’ai dit plus haut, les textos ou sextos ou les vidéos s’ajoutent et ne se substituent pas. Elles peuvent tisser de l’intimité et permettre d’être relus pour apporter du réconfort et du plaisir pendant les moments où l’on est éloignés parce qu’on est au travail !

La perte d’intimité arrive comme dans le film Sex Tape lorsque la synchro via le cloud rend ces vidéos et échanges privés complètement publics et visibles. Des chercheurs de l'Université du Missouri ont interrogé des centaines d'utilisateurs de Facebook de 18 à 82 ans, qui affirment que l'utilisation du réseau sur leurs téléphones portables a augmenté les conflits dans leur relation.

Comment l'utilisation du site augmente-t-il la jalousie au sein du couple ?

Cette étude aborde un autre aspect qui est la médiatisation de la relation et la visibilité des traces numériques que chacun laisse ou dépose. Il y a essentiellement 3 cas de figures qui posent problème. Premièrement  les photos ou infos qu’un partenaire met dans son actualité – elle peut ne pas plaire – parce que la photo qui nous met en scène n’est pas jolie et qu’on ne s’y trouve pas à son avantage – mais c’est exactement le même cas qu’avec des amis qui postent des photos de soirées arrosées ou autres qui ne nous mettent pas en valeur ou  que nous nous ne voulons pas voir publier.

Deuxièmement cas très fréquent en début de relation, le statut : l’un se considère encore comme célibataire alors que l’autre considère que non, ils sont engagés – ça heurte forcément ! mais dans la vie hors du clavier également- on pouvait déjà du temps de nos ancêtres observer des querelles lorsqu’en public un considérait que l’autre faisait le joli cœur.

Enfin 3ème raison, les photos et infos déposées par d’autres mettant en scène le conjoint – là aussi l’autre se sent exclus, à tort ou à raison, d’autant  que cette exposition est publique et qu’on se demande où vous vous étiez - c’est comme dans le roi lear de Shakespeare, ce qui pose problème c’est que la troisième fille dit publiquement aimer son père comme un père mais qu’elle aimera un jour un homme encore plus – c’est l’affront public qui pose problème et le contraint de réagir car il a l’impression de perdre la face – dans l’intimité d’un salon cet aveu aurait été sans conséquences.

Donc les 3 raisons font qu’on ne contrôle plus la communication et l’image qu’on veut donner de son couple – ce qui est nouveau, c’est la multiplication des moyens de se mettre en scène et donc l’impossibilité de tout maitriser car on n’est pas seul émetteur à publier sur son couple

Une autre étude de l'Université d'Oxford met en lien l'utilisation de réseaux sociaux et la satisfaction conjugale. Plus les couples découvrent la vie passionnante des autres sur les médias sociaux, plus ils sont susceptibles de voir leur propre déception et mépris.

Comment s'articule la relation dans le couple depuis que nous sommes ultra-connectés ? 

 Là encore on aborde un autre aspect de la relation conjugale à l’ère du digital, celui de la comparaison de nos vies à celles mises en scène par les autres. Comment s’explique le succès de loft story ? pour la première fois chacun pouvait observer l’intimité des autres et en l’occurrence une vacuité, une vie peu palpitante – qui donnait l’impression que la sienne l’était tellement !

Aujourd’hui chacun a acquis une compétence pour se mettre en scène, pour informer les autres de tout ce qu’on fait en donnant l’impression que même un simple cup cake est extraordinaire et cela conduit à une surenchère – il est important de savoir s’octroyer des moments loin des projecteurs, des moments que l’on vit pleinement pour soi sans être dedans et dehors – c’est-à-dire sans être en train de vivre et de se regarder le vivre. De plus se faire rare et désiré a plein d’avantages : ce qu’on poste a plus de valeurs.

Par ailleurs Michel Foucault parlait de panopticon pour décrire l’univers carcéral – avec des tours miradors qui permettent de voir tout le monde sans que personne ne garde aucune intimité. Il est amusant de voir comme nous nous y mettons de notre plein gré et de garder en tête que nous avons besoin de ces moments de répit.

Enfin Erving Goffman, éminent sociologue spécialiste des rites d’interaction parle de coulisses pour décrire les espaces où se nouent les relations loin des feux de la rampe et de la mise en scène de soi. Y renoncer serait se priver d’une modalité constitutive de notre condition d’animal social.

Quelles peuvent-être les solutions à apporter pour préserver le couple de cette intrusion technologique ? Comment en parler ? 

 Rappelons qu’il ny a pas de mauvais outil mais seulement de mauvais usages qui arrivent parce que les devices évoluent très vite et ajoutent des fonctionnalités. Chacun se laisse griser par la possibilité de publier des contenus, les partager, les voir commenter. On se sent exister, être présent au monde. Les verrous financiers et techniques sont levés : les forfaits illimités et la 4G permettent d’entretenir les médias sociaux de contenus en continu. Avant de poster des contenus il faut se poser la question de l’accord de l’autre et de savoir si dans quelques années on aura encore envie que tout cela soit visible et public. Tant qu’on se préserve des petits dîners en tête à tête amoureux sans selfies pour informer les autres ou autres moments de qualité sans publication, il ny a aucun risque d’intrusion. Au même titre que pour les relations amicales, il est tentant de participer au tourbillon de photos et contenus pour partager et appeler à commentaires.

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