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Comment Poutine a réussi à subtiliser le Moyen-Orient au nez et à la barbe des Etats-Unis
©JORGE SILVA / POOL / AFP

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La Russie est devenue un acteur majeur dans le cadre de la stabilisation du Moyen-Orient. Vladimir Poutine a également occupé un rôle important lors des décisions sur la crise syrienne.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico.fr : La Russie est de plus en plus présentée comme un acteur majeur de la stabilisation du Moyen-Orient. Poutine serait devenu l'éminence grise capable d'influencer les décisions des principaux acteurs autour de la crise syrienne. Comment expliquer cette réussite de la part d'un pays dont les dépenses militaires, relativement à celles de l'OTAN ou des Etats-Unis, sont faibles, et qui a été l'objet d'une grande méfiance de la communauté internationale depuis une dizaine d'années ?

Cyrille Bret : Depuis l’intervention militaire en Syrie en septembre 2015, la Fédération de Russie a fait un retour très remarqué sur la scène stratégique, diplomatique et économique du Moyen-Orient. Appelée par la présidence Al-Assad, elle a déployé un contingent militaire terrestre, naval, aérien et cyber en Syrie et dans la zone pour soutenir les forces gouvernementales dans leurs combats contre l’EI mais aussi contre l’opposition. Il s’agit là d’une politique qui plonge ses racines dans la période soviétique et même dans la période tsariste. Vladimir Poutine a réactive l’alliance que l’URSS avait scellée avec Al-Assad père au début des années 1970 et a plus largement repris la politique d’alliance de la Russie dans la zone… jusqu’à l’étendre. Il partage certains objectifs avec l’Iran en Syrie et en Irak. La Russie a même réussi à se rapprocher de l’Arabie Saoudite de MBS, pourtant allié central des Etats-Unis dans la zone. Elle entretient des liens forts avec Israël. Elle est même parvenue à se rapprocher du rival séculaire turc, pilier de l’OTAN, jusqu’à l’inviter au salon de l’armement MAKS 2019. Aujourd’hui, la Russie ne façonne pas seule le destin de la région mais fait de nouveau partie des acteurs majeurs du Grand Jeu qui s’y déroule

Peut-on dire que l'influence russe au Moyen-Orient est aussi liée à de mauvaises décisions de la part des pays occidentaux ? Quelle est la part de responsabilité du gouvernement américain dans cette nouvelle donne géopolitique ?

Le retour très rapide de la Russie en Syrie et dans toute la région doit en grande partie à l’impression, répandue dans la région, d’un désinvestissement américain – réel ou supposé. La présidence Obama et la présidence Trump ont marqué un retrait des Etats-Unis après une décennie 2000 marquée par l’intervention américaine en Irak. La priorité des deux présidents a été de se désengager d’Irak, de limiter les ressources dans la zone pour les redistribuer en faveur du « pivot » vers l’Asie et de diffuser dans l’opinion américaine l’idée que le Moyen-Orient n’était pas nécessairement un intérêt vital pour les Etats-Unis. Ainsi, ils se sont fort peu occupés du conflit israélo-palestinien, ils ont critiqué leurs alliés saoudiens et ont laissé planer le doute sur leur volonté de s’impliquer dans la guerre en Syrie. La Russie a utilisé le vide relatif laissé par les Etats-Unis dans la région.

L'intervention russe en Syrie et son levier d'influence au Moyen-Orient peut-elle lui permettre de briser son isolement ? Dans quelle mesure cette intervention peut-elle affaiblir et diviser l'OTAN ?

L’isolement de la Russie est limité à son flanc ouest. A l’est et au sud, elle parvient à nouer des partenariats stables. Avec la Chine, avec l’Iran, avec l’Egypte et naturellement avec l’Algérie, le Vietnam et l’Inde, ses clients depuis l’ère soviétique en matière d’armements. Au Moyen-Orient, l’OTAN est en tension. La Turquie s’est rapprochée de la Russie jusqu’à lui passer commande de batteries anti-aériennes S400. Mais l’influence de la Russie est-elle une cause ou une conséquence ? Le régime turc est entré en tension avec l’Union européenne et les Etats-Unis depuis bien avant le début du rapprochement de 2015. De même, le rapprochement avec Israël, qui n’est pas membre de l’OTAN mais allié des Etats-Unis est la conséquence de facteurs structurels internes au pays qui n’ont que peu de rapport avec l’intervention russe en Syrie de 2015. Le retour de la Russie sur la scène du Moyen-Orient est un symptôme autant qu’une cause.

L'Europe et les Etats-Unis sont-ils désormais condamnés à passer par l'acteur russe pour organiser la désescalade à la frontière syrienne et maintenir des victoires contre le terrorisme ? Ou peuvent-ils espérer redevenir des acteurs clés dans les années à venir ?

Dans la sortie de crise en Syrie – qu’on espère rapide mais qu’on pressent difficile – la Russie est devenu un élément incontournable. Elle s’est en effet positionnée comme l’avocat et le défenseur du régime Al-Assad. De sorte qu’une solution politique sera conditionnée par l’accord de la Russie, la pression qu’elle voudra exercer sur son allié et les garanties qu’elle obtiendra sur ses buts de guerre comme la base navale de Tartous dans le nord du pays. Toutefois, il convient de ne pas surestimer les capacités de la Russie dans le jeu syrien. On le voit concernant l’intervention de la Turquie contre les Kurdes dans le nord de la Syrie : la Russie se trouve prise entre deux alliances devenues incompatibles d’une part avec le régime Al-Assad qui commence à combattre avec les Kurdes et, d’autre part, avec le président Erdogan qui a lancé les hostilités.

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