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Toujours plus nombreux, toujours plus resserrés : les ménages français, marque d'une société
en pleine mutation
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Nouvelle France

D'après une note de l'INSEE publiée le 28 juin, le ménage français est en profonde mutation : célibat, moins de familles nombreuses, ménage en solo... En perspective : vieillissement et problèmes de logement, mais aussi une nouvelle conception du couple... plus romantique.

Céline Clément

Céline Clément

Maître de conférences en démographie, Céline Clément travaille notamment sur la famille et l'entourage dans la société urbaine et la formation et déformation des couples en France à l'INED. Elle publie Réiventer la famille : l'histoire des baby-boomers en 2011.

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Atlantico :  En quoi les ménages français ont-ils évolué ces dernières années ?

Céline Clément : Concernant l’évolution des ménages, l’un des principaux changements depuis les années 1960 est que leur nombre croît plus vite que celui de la population. Toutefois, si le nombre de ces ménages est plus élevé qu’autrefois, la taille de ces ménages diminue également. Dans ces évolutions, le nombre des ménages d’une seule personne est certainement l’un des changements les plus profonds de notre société. La hausse du nombre de "ménage seul" s’explique par un double mouvement, celui du vieillissement de la population et des comportements face à la cohabitation. Ici, les inégalités face à la mort selon le sexe expliquent cette augmentation de ménage de personnes seules. On a ainsi une plus grande part de veuves parmi les personnes seules, ce qui s’explique par le fait que les femmes ont une espérance de vie plus longue que les hommes et sont en général plus jeunes que leurs conjoints (surtout pour les générations âgées) et se remettent moins souvent en couple après une séparation ou un veuvage. On a également le phénomène d’augmentation de l’espérance de vie sans incapacité qui conduit à une entrée en institution de plus en plus tardive et de plus en plus courte – surtout pour les femmes.

On l’explique également par le retard du calendrier de la mise en couple pour les plus jeunes qui s’inscrit dans un mouvement plus général d’entrée dans la vie adulte plus tardive. L’entrée dans la vie adulte est une étape de plus en plus longue, de moins en moins linéaire, qui se fait à petits pas, y compris l’entrée dans la vie conjugale – on expérimente la vie à deux, on éprouve la stabilité du lien, on s’approprie le choix du moment. Cela se traduit notamment par le développement de pratiques de vie en solo (surtout entre 20 et 30 ans), de vie en couple à temps partiel (ou couple semi cohabitant. Ou encore LAT – Living Apart Together pour reprendre les anglo saxons).

Autre élément qui peut expliquer cette tendance générale à la baisse de la taille des ménages et qui importe : la structure par âge de la population. En effet, les personnes âgées qui n’ont plus d’enfants à charge sont des ménages plus petits que la moyenne. A ce titre, on voit les effets des générations nombreuses du baby-boom qui arrivent aux âges où l’on voit habituellement ses enfants quitter le domicile familial, ce que l’on nomme parfois l’étape du nid vide. Par ailleurs, la hausse de l’espérance de vie allonge cette période où l’on se retrouve sans enfant cohabitant.

 Mais ici, deux effets se conjuguent encore : on a certes un vieillissement de la population qui engendre une diminution de la taille des ménages notamment avec le croissance des couples sans enfants, mais on observe aussi un délai plus long de la vie en couple avant l’arrivée éventuelle d’un enfant. Le nombre de couple sans enfants progresse également parmi les couples jeunes – ce qui s’explique par le retard de calendrier de naissance : pour les plus jeunes la phase pré-parentale s’allonge. L’âge à la formation du couple a reculé, mais l’arrivée d’un enfant dans le couple a encore plus reculé. Les jeunes couple attendent un certain nombre de conditions pour avoir une enfant, notamment d’avoir éprouvé la solidité de leur union, et d’être stable professionnellement (être prêt ensemble selon M. Masuy).

Enfin la réduction plus globale de la taille des ménages s’explique par la diminution des familles (très) nombreuses, le modèle étant celui de deux enfants (effets maîtrise de la fécondité).

 La montée des personnes seules résulte donc d’une modification du cycle de vie familiale, dont le déroulement est moins souvent linéaire. Auparavant les étapes étaient plus tranchées. Les jeunes quittaient le domicile de leurs parents pour se marier, les divorces étaient moins fréquents, et la période de vie solitaire se situait au moment du décès de l’un des conjoints. Aujourd’hui les jeunes quittent leurs parents, pour habiter seul, se mettent progressivement en couple et se séparent parfois. C’est l’apparition de ces périodes de vie solitaire aux différents moments de la vie familiale qui explique l’augmentation des ménages composés d’une seule personne (y compris liées à une séparation).

Cependant, cela ne signifie pas absence de vie en couple. On observe ainsi depuis quelques années le développement de formes de conjugalité non cohabitantes et semi-cohabitantes où l’on forme un couple, mais sans s’installer ensemble au quotidien, tout en revendiquant un statut de couple. Chacun à son logement respectif, pratique que l’on retrouve aussi bien parmi les jeunes que les femmes divorcées et ayant la garde de leurs enfants ou les couples formés au moment ou après la retraite, formes de vie conjugale que le recensement ne permet pas de mesurer.  

A quoi ressemble le ménage français aujourd'hui ?

C’est délicat de répondre étant donné que le recensement est une photographie de la population à un moment donné. Le nombre de personnes composant un ménage l’est à un moment. Par exemple, un ménage composé d’une personne seule l’est à un moment donné, mais pas toute sa vie, et cela correspond à une diversité de statut matrimonial (célibataire, divorcé, veuf), différents âges… Si on reprend néanmoins les chiffres du recensement, on observe une réduction de la taille des ménages (2,3 au lieu de 3,06 en 1968), on note que plus de la moitié des ménages vivent en couple (co-résidents et de sexe différent selon la définition de l’Insee), avec ou sans enfants, pratiquement un tiers sont des ménages seuls, environ 8% des ménages monoparentaux.  A noter que le recensement ne distingue pas les familles recomposées.

Quelles conséquences sur notre société, notamment sur le logement ?

Là également il est difficile de répondre. Certes il y a moins de familles très nombreuses, mais le modèle est tout de même de deux enfants. Finalement, le plus difficile est de faire correspondre son logement à son cycle de vie ! On est seul, on vit en couple à temps partiel, on s’installe, on a des enfants, on se sépare, on se remet en couple avec un conjoint ou une conjointe qui a également des enfants et l’on se trouve face à une famille « accordéon » dont le nombre d’enfants fluctue au rythme des gardes le week-end ou lors des vacances scolaires, on reçoit ses petits enfants, on se retrouve seul suite à un veuvage… Il est délicat dans ces conditions d’avoir une idée sur le type de logement et sa taille à privilégier.

S'agit-il d'un phénomène mondial, ou typiquement français ?

Le phénomène de réduction de la taille des ménages se retrouve dans la plupart des pays occidentaux du fait de la réduction de la cohabitation entre générations, de nouvelles formes de conjugalité, des séparations etc.

A quoi peut-on s'attendre dans les prochaines années ?

Honnêtement, difficile encore de répondre. Tout dépendra de l’évolution de l’espérance de vie, si les écarts entre hommes et femmes s’atténuent etc. des comportements liées à la conjugalité, à la parentalité. 

Concernant le couple, je ne vois pas nécessairement une augmentation future de la fragilisation des unions. Somme toute, même si le couple se fragilise, on tente une nouvelle expérience conjugale.

On explique bien souvent la fragilisation des unions par la montée de l’individualisme, de la liberté des choix individuels, de l’exigence de la réalisation de soi, le triomphe de l’amour romantique où le couple change de sens.  Cela se traduit dans un premier temps par le primat de l’affection, avec un idéal de sentiments authentiques, ce qui signifie que, dès lors que les sentiments amoureux disparaissent, on se sépare, le couple étant fondé sur l’amour et non sur des devoirs et surtout sur une relation jugée épanouissante pour chacun. Mais dès lors que les conditions ne sont plus favorables à cet épanouissement, on se sépare. Cela entraîne un changement profond dans les relations conjugales, dans la conception de la vie à deux puisque l’éventualité de la rupture est inscrite dans l’histoire du couple, elle fait partie du contrat initial du couple. Elle apparaît comme une issue probable, avec l’idée que la vie conjugale peut n’être qu’un engagement temporaire.

Mais, finalement comme le rappelle G. Neyrand, auteur de Mariages mixtes et nationalité française, cela montre la force du couple : la plus grande fréquence des ruptures et des remises en couple indique l’ampleur des attentes à l’égard de la vie conjugale. Le couple demeure donc une référence centrale, mais un peu plus instable. Bref, plus fragile et idolâtré, mais plus fragile parce que idolâtré.

Et je ne pense pas voir le nombre de familles avec enfants diminuer. Il y a bien un retard de calendrier des naissances en France mais pas d’infécondité volontaire étant donné qu’il semble y avoir une « pression » plus forte en France à concevoir que dans la plupart des pays européens.

Propos recueillis par Ania Nussbaum.

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