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Comment les révolutions technologiques bouleversent le secteur du marquage fiscal
©NICOLAS TUCAT / AFP

Les Arvernes

Le progrès technique bouleverse des segments entiers d’activité, et mets à mal des acteurs historiques. Le marquage fiscal, activité vieille de plusieurs siècles consiste à imprimer sur un produit un timbre fiscal validé par l’administration publique afin d’en assurer la traçabilité, en est un exemple.

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Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Chateaubriand disait de la modernité qu’elle est une « force qui va », soulignant ainsi combien il était vain de prétendre tenter de s’y opposer. Adaptant cette formule littéraire au domaine économique, Alois Schumpeter a rendu célèbre l’idée de « destruction créatrice » pour désigner le processus continuellement à l'œuvre qui voit se produire de façon simultanée la disparition de secteurs d'activité économique conjointement à la création de nouvelles activités économiques. 

Concepts bien connus dira-t-on. Certes. Mais, pour autant, porteurs de difficultés. Car l’économie étant par définition politique, le progrès technique, en même temps qu’il apporte des solutions, créé des problèmes nouveaux. 

C’est évidemment le cas pour ce qui concerne les emplois : le développement de la robotisation et de l’intelligence artificielle fait craindre la disparition entière de métiers et contraint en tout état de cause à de puissants efforts d’adaptation des compétences. Dans le même ordre d’idée, si la politique de la concurrence européenne est abondamment critiquée, c’est en réalité moins parce qu’elle est inefficace que parce qu’elle nourrit une instabilité chronique dans l’économie qui fragilise les plus faibles ou les acteurs qui refusent de s’adapter.

Plus largement, le progrès technique bouleverse des segments entiers d’activité, et mets à mal des acteurs historiques. Le marquage fiscal, activité vieille de plusieurs siècles consiste à imprimer sur un produit un timbre fiscal validé par l’administration publique afin d’en assurer la traçabilité, en est un exemple. 

Ce secteur connaît depuis une vingtaine d’année une révolution permanente liée à deux facteurs. D’abord, les innovations technologiques et l’arrivée de timbres fiscaux digitaux, qui bouleversent les méthodes de production des vieux acteurs du marché. Ensuite, dans un monde marqué par une exigence toujours plus grande de transparence et donc de traçabilité, les gouvernements – qui n’oublient pas leurs finances publiques – imposent de nouvelles normes, telles que celles que recèle un protocole de l’OMS signé par 180 pays.

Dans un tel contexte, les acteurs du marquage fiscal sous soumis à une obligation d’innover de se transformer aigue, qui attise la concurrence entre eux, comme l’atteste, par exemple, l’appel d’offre géant actuellement en cours pour le marquage fiscal du Maroc, auquel soumissionnent SIPCA, Inexto, Madras Services et, enfin, la vénérable De La Rue. Le cas de cette dernière est particulièrement intéressant de la difficulté qu’éprouvent les acteurs traditionnels à s’adapter à une évolution technologique qui les bouscule, voire les dépasse, rognant leurs parts de marché et déstabilisant jusqu’au qu’au cœur de leur organisation. Entreprise fondée en 1821 à Londres, plus vieille entreprise d’imprimerie fiduciaire du monde, elle se débat pour survivre dans un secteur de plus en plus concurrentiel. Las, si des contre-exemples d’acteurs établis capables de continuer à innover existent (St Gobain dans le verre par exemple), tel ne semble pas être le cas de De La Rue, confrontée à une évolution technologique trop rapide.

Cannibalisme tardif

Aujourd’hui, au bout de deux cents ans d’histoire, l’entreprise britannique semble à la croisée des chemins.

Au niveau stratégique, « DLR » semble poussée par des vents contraires. En 2018, elle inaugurait en grande pompe une usine dernier cri pour fabriquer des passeports et des timbres fiscaux, à Malte. L’investissement, d’une valeur de 27 millions d’euros, était censé lui permettre de se réinventer. Moins d’un an plus tard, De La Rue annonçait la vente de sa division passeport, le départ potentiel de ses 200 employés, et la vente de cette même usine pour 42 millions d’euros. À peine de quoi rembourser les sommes investies depuis des dizaines d’années – mais un choix de raison après la perte du contrat des nouveaux passeports post-Brexit du Royaume-Uni. 

Aujourd’hui, sentant le vent tourner, De La Rue veut se recentrer sur le marquage fiscal, malgré une expérience technologique assez faible sur ce secteur. Cette manœuvre, connue dans le monde de la stratégie d’entreprise, s’appelle la cannibalisation produit : faire d’une division, même rentable, une proie qui servira à nourrir une nouvelle, plus adaptée au monde nouveau. Ce fut le cas de Steve Jobs, qui en 2005, choisit de « cannibaliser » l’iPod Mini, alors en tête des ventes, en créant le Nano. Le résultat est connu : l’iPod Nano est devenu le baladeur MP3 le plus vendu de l’histoire.

Toutefois, cette démarche de cannibalisation doit être entreprise quand la division ou le produit « cannibalisé » est encore rentable. Ce n’est déjà plus le cas pour De La Rue qui, après plusieurs profit warnings et une perte de 77% de son chiffre d’affaires, conséquence de contrats perdus ou parfois d’impayés, et pris dans la tempête d’une accusation de corruption au Sud-Soudan, dispose d’une marge de manœuvre serrée. Les quelques contrats engrangés avec l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis ne peuvent que ralentir le déclin. Et tout parier sur le contrat marocain, comme DLR semble le faire, ne convainc pas les experts Outre-Manche, où l’avenir de l’entreprise pluri centenaire fait régulièrement la Une des journaux.

Nul ne peut connaître la suite de l’aventure pour De La Rue. Toutefois, l’exemple de l’imprimeur n’en demeure pas moins éclairant pour toutes les industries qui se croient encore à l’abri d’un chamboulement technique qui renverse, sans discrimination, tous les secteurs, même les plus anciens et les plus institutionnels. Combien de De La Rue en puissance se cachent-ils en France, convaincus que jamais le train du progrès technique ne partira sans eux ?

L’évolution du marché du marquage fiscal, victime d’une concurrence féroce qui confine au darwinisme, l’atteste : l’adaptation permanente aux exigences des consommateurs et des régulateurs est plus qu’une obligation, elle est une question de survie.

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