Comment les mégapoles chinoises empêchent les communautés rurales, pas assez éduquées à leur goût, de s'installer en ville<!-- --> | Atlantico.fr
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Afin de relancer le secteur très porteur qu'est celui du bâtiment, le Premier ministre chinois Xi Jinping a mené une grande réforme du système résidentiel national en vigueur depuis 1958, le "hukou", afin de redonner un coup de fouet à l'urbanisation.
Afin de relancer le secteur très porteur qu'est celui du bâtiment, le Premier ministre chinois Xi Jinping a mené une grande réforme du système résidentiel national en vigueur depuis 1958, le "hukou", afin de redonner un coup de fouet à l'urbanisation.
©Reuters

Immobilité sociale

Afin de soutenir la croissance et doper la consommation intérieure, le gouvernement chinois a décidé de reformer la très critiquée politique résidentielle du "hukou" qui compliquait sérieusement la tâche des populations rurales désirant migrer en ville. Désormais, les villes accueillent davantage de provinciaux, à condition qu'ils soient un minimum éduqués.

La Chine a connu une croissance économique à deux chiffres depuis le début des années 2000. Cependant, celle-ci commence à s'infléchir sérieusement depuis 2010. Afin de relancer le secteur très porteur qu'est celui du bâtiment, le Premier ministre chinois Xi Jinping a mené une grande réforme du système résidentiel national en vigueur depuis 1958 (sous Mao Zedong), le "hukou", afin de redonner un coup de fouet à l'urbanisation du pays, aux constructions et à la consommation. Entrées en vigueur le 1er janvier 2016, ces mesures devaient ainsi permettre de régulariser les quelque treize millions de migrants intérieurs qui attendent d'obtenir leur statut, huit rien que pour la ville de Pékin. Seulement, sans réellement résoudre le problème, elles en ont créé un autre : l'accentuation des inégalités entre les catégories socioprofessionnelles. Voici pourquoi.

Héritage communiste

C'est le site américain The Atlantic qui met le doigt sur ce point de détail, qui a toute son importance. Comme l'article l'explique bien, cette réforme est paradoxale. Car si la Chine veut redonner de l'allant à son marché de l'immobilier, elle a toute les peines du monde à accueillir davantage de monde dans ses plus grandes agglomérations, chargées par la pollution et le trafic routier. Les statistiques sont parlantes : alors que la population chinoise a augmenté de 6% entre 2000 et 2010, celle de Pékin s'est envolée de 40%. Et d'ici 2020, la capitale aux 21 millions d'habitants devrait accueillir encore deux millions de personnes supplémentaires.

Dans les années 1970, quelque 80% de la population chinoise vivait encore à la campagne. Pour cause, il était interdit de changer de ville sans se plier à une procédure très contraignante. Comme le stipulait (et le stipule encore) le "hukou", chaque habitant de se devait de posséder une sorte de passeport intérieur dans lequel était renseigné toutes sortes d'informations. Directement inspiré de la propiska russe, ce permis obligatoire de résidence était pour le régime un instrument permettant de planifier et de contrôler la redistribution des ressources, surtout alimentaires, mais également de créer une base de données sur la population afin de la classer selon le danger qu'elle représentait pour le gouvernement, expliqueLe Journal International.

Exode rural

Mais à partir des années 1980, des réformes ont permis aux populations rurales de se rendre en ville, notamment pour y vendre leurs produits, sans pour autant pouvoir y habiter, en théorie. Car en pratique, ces mesures ont déclenché un véritable exode rural, motivé par l'envie de devenir citoyen urbain. Pour cause, les détenteurs d'un "hukou" urbain, habitants citadins de longue date, se voyaient attribuer une protection sociale, un système de retraite, un accès facilité à l'éducation et aux soins, une assurance maladie, choses dont les populations rurales ne bénéficiaient pas. Mais s'exiler en ville n'a, évidemment, pas suffi aux populations rurales pour obtenir leur sésame comme par magie. De là sont nés les "mingongs", qui se traduit littéralement par paysans ouvriers, les "provinciaux" qui venaient travailler en ville sans aucune couverture sociale, la plupart du temps dans des conditions de vie très précaires et à un salaire équivalent à 60% celui des populations urbaines "de souche", précise l'universitaire Chloé Froissart dans l'une de ses études sur le "hukou".

Pékin a donc décidé de réagir par le biais de ces nouvelles réformes permettant de régulariser ces migrants ruraux, tout en évitant que les mégapoles déjà surpeuplées ne finissent par devenir invivables. Un jeu d'équilibriste, que le gouvernement veut tenir en sélectionnant sur le volet ces potentiels nouveaux citadins, et en privilégiant leur accueil dans les villes de moins de 500 000 habitants. Pour ces agglomérations-là, il suffira d'occuper un logement légal et stable et d'avoir un emploi déclaré pour être éligible au "hukou" local. En revanche, pour les plus grandes villes, les conditions sont plus contraignantes, et donnent lieu à un accroissement des inégalités.

Système de points

Il s'agit pour le gouvernement d'effectuer une relocalisation des populations selon le potentiel de chaque habitant. Pour cela, un système de points a été mis en place, dans lequel les individus qui en comptent le plus sont ceux qui bénéficient du plus large choix de destinations urbaines. Une élite qui n'est pas accessible à n'importe qui. Pour pouvoir "concourir", il faut préalablement avoir déjà été embauché et avoir cotisé durant sept années consécutives au régime de sécurité sociale local. Une fois ce premier tri effectué, les points sont attribués selon le niveau de diplôme dont bénéficient les individus. Ainsi, une Licence équivaut à 15 points, un Master à 26 points, et un doctorat à 37 points.

Or, plus le diplôme est prestigieux, plus il y a de chances que son détenteur soit issu d'une classe socioprofessionnelle aisée. En effet, dans les régions rurales, les agriculteurs des classes modestes ne peuvent pas se permettre de financer les études de leurs enfants, qui de plus ne pourront pas les aider au champ. De la sorte, difficile de permettre la mobilité sociale.

En agissant de la sorte, le gouvernement chinois organise une fuite des cerveaux à grande échelle qui à terme, donnera lieu à des villes splendides, hauts lieux de culture et d'économie, mais également à des régions nécrosées, où la misère continuera de régner. Ce qui, on le devine, provoquera à nouveau un afflux migratoire des zones rurales vers les villes et continuera de façonner les banlieues des agglomérations, entre bidonvilles et tours d'ivoire.

La Chine est grande. Peut-être trop grande, pour un pouvoir et des institutions aussi centralisés. 

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