Comment les islamistes ont réussi à noyauter la pensée universitaire sur... l’islamisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Dévoiement

Après l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine, de nombreuses questions se posent sur les défis au coeur de l'Education nationale. L'université est également concernée. La pensée universitaire est-elle suffisamment mobilisée face à certaines idéologies ? Les chercheurs qui travaillent sur l'islamisme ont-ils des difficultés ?

Florence Bergeaud-Blackler

Florence Bergeaud-Blackler

Florence Bergeaud-Blackler est anthropologue, chargée de recherche au CNRS dans le Groupe Sociétés, Religions, Laïcités. Paris Sciences et Lettres Université (PSL University).

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Atlantico.fr : Vous dénoncez les manquements de la pensée universitaire sur l'islamisme, voire leur dévoiement. Quels constats dressez-vous ?

Florence Bergeaud-Blackler : L’islamisme est étudié dans les universités mais essentiellement par les chercheurs qui travaillent sur les aires du Moyen-Orient et du Maghreb. Il y a quelques exceptions avec les travaux de Gilles Kepel poursuivis aujourd’hui par Bernard Rougier sous l’angle salafiste surtout, par Hugo Micheron qui travaille sur les jihadistes.

En revanche il y a un manque de travaux sur l’islamisme made in Europe, un islamisme bon teint, policé, costumé et rasé de près pour les hommes, en hijab ou bandana coloré pour les femmes. Cet islamisme est porté par des classes moyennes, par cette beurgeoisie initiée à l’islam par les étudiants islamistes venus se réfugier en France dans les années 1980-1990. Il s’épanouit dans le monde du halal, les salons, les associations sportives, culturelles, les entrepreneurs halal, le développement personnel, la médecine, l’aide sociale etc. Les femmes, grandes oubliées, jouent dans cet islamisme européen un rôle essentiel.

D'où vient la thèse d'un islamisme vu comme un « construit occidental » ?

Pour le comprendre, on peut distinguer trois temps. Au début des années 80-90 les spécialistes du monde arabo-musulman, souvent nourris aux idées marxistes, ont pris fait et cause pour les islamistes qu’ils voyaient comme des révolutionnaires, des Che Guevara à l’orientale.

Malgré les discours violents que les Frères tenaient dans les mosquées et leur intransigeance quasi obsessionnelle à l’égard du voile, ils ont été défendus par ces tiers-mondistes qui voyaient en eux d’authentiques révolutionnaires contre l’impérialisme euro-américain. Ces chercheurs, comme François Burgat, compagnon de route des islamistes, n’avaient aucune connaissance du terrain français, et, devant les micros tendus, appliquaient leur grille de lecture moyen-orientale ou maghrébine, à ce qui se passait en France. Les musulmans de France représentaient la revanche du tiers-monde convertit aux idéaux d’émancipation, ce qui s’associait fort bien avec l’idéologie de gauche et d’extrême gauche qui avait trouvé son nouveau prolétariat.

Ensuite, le rôle effectif de la CIA dans le développement de l’islamisme mondialisé à partir de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS a fini de convaincre qu’il s’agissait d’une créature occidentale. Que des révolutionnaires aspirant à la modernité avaient juste revêtus les habits de l’islamisme comme on retourne un stigmate, que, comme le résume très bien,  G.Achcar, « l’islamisme » était un simple mode d’expression – « le parler musulman ».

Enfin, la « créature » est devenue un simple « construit » sous l’influence d’autres théories de la  fabrique des identités, qui a aboutit à des « idéologies bulldozers» caricaturales et culpabilisantes, comme l’intersectionnalité ou le néo-féminisme. Celles-ci réduisent les êtres humains à la combinatoire de trois variables – sexe, race classe-, et combattent l’ « Occident » accusé d’être  responsable des malheurs du monde.

Les islamistes en costume pensent que c’est par l’éducation et la culture qu’ils s’établiront. Ils ont un plan et une conception du monde totalitaire qu’ils ne peuvent pas révéler et qu’ils ne peuvent pas négocier avec l’Occident puisqu’il implique la mort de celui-ci. Alors, ils mobilisent ces idéologies bulldozers, comme des chevaux de Troie, » sur les campus européens et américains, pour se déblayer le chemin. Ils pensent un peu comme les judokas, qu’il vaut mieux utiliser la force de l’adversaire contre lui-même.

Quelles difficultés rencontrent les chercheurs qui travaillent sur l'islamisme ?

Dans les universités, le marxisme a laissé la place à un relativisme culturel initié par la gauche culturaliste aux Etats-Unis à partir des penseurs de la déconstruction comme Foucault ou Derrida. Pour cette gauche, il n’existe que des communautés (noire,  LGBT, femme etc.). Chacune doit se définir, et aucune ne peut définir l’autre car cela revient à « juger » l’autre à partir de soi, ce qu’interdit le relativisme.

Tout discours porté sur l’islam est illégitime à moins qu’il soit prononcé par un musulman. Si je dis quelque chose sur l’islam, par exemple que l’islamisme n’est pas l’islam, on n’écoute pas ce que je dis. Je fais de « l’ingérence », ce qui est interprété comme une tentative de domination, attribuée à la couleur de ma peau, blanche, et à l’histoire dont je suis supposée être dépositaire, la colonisation.

Donc en tant que chercheuse si je pense sur la société, c’est nécessairement pour imposer mon modèle et ma domination. C’est la caricature de la science comme pouvoir de M. Foucault, qui sert de point d’appui à la « cancel culture », et hélas à la répartition des budgets de recherche…

L’institutionnalisation de l’islamophobie et la création du CCIF procèdent de cette logique d’accusation et d’annulation.

Dissoudre le CCIF est-il la solution ?

Dissoudre le Collectif Contre l’Islamophobie en France revient à abattre l’arbre qui cache la forêt de l’islamisme, ce qui ne sert pas à grand-chose si l’on ne s’occupe pas de traiter la forêt. L’islamisme est une maladie de l’islam pour reprendre l’expression de A.Meddeb. C’est une idéologie totalitaire née au début du XX°siècle comme le communisme et le nazisme. L’islamisme a infusé dans les structures islamiques bien sûr, comme les mosquées, mais aussi dans les associations, dans les universités, dans les entreprises, dans les commerces, sous couvert de culture, de mode et de style de vie. Et qui n’adhère pas à ce séparatisme culturel est taxé d’islamophobe. Pour comprendre comment on en est arrivé là il faut lire la littérature islamiste, celle des pères fondateurs Hassan El Banna (1906) et surtout Mawlana Maudoudi (1903), l’architecte de l’islamic way of life. C’est en étudiant le marché halal global, cette créature islamiste adaptée à notre monde néo-libéral, que je me suis familiarisée avec la méthodologie de l’islamisme, avec ses acteurs, avec ses stratégies. Il ne faut pas se représenter l’islamisme comme un complot, mais il ne faut pas non plus, à l’inverse, lui ôter sa colonne vertébrale. Si vous lisez la stratégie de l’ISESCO vous verrez qu’elle se base sur un certain nombre d’idées simples mais très efficaces pour faire imploser le contrat social grâce à une guérilla permanente et sourde qui s’appuie sur la culpabilisation de l’occident impie, matérialiste et sans foi. Cette stratégie peut paraître moyenâgeuse et pourtant elle commence à résonner chez les jeunes générations (musulmanes ou non) que le relativisme a désarmé et pour lesquels la laïcité n’a pas plus de sens que l’universel.

Que suggérez-vous pour traiter la forêt de l’islamisme ?

Il faut relancer les études sur l’islamisme qui ont été interrompues par le fameux « pas de vagues ». Nous avons les compétences mais il nous faut les moyens humains et financiers. Et il faut assurer la sécurité des enquêteurs.

Florence BERGEAUD-BLACKLER

Anthropologue

Chargée de recherche CNRS au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités 

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