Comment les Bobos ont accouché de notre démocratie malade (et c’est leur père à tous qui se livre à un grand mea culpa)<!-- --> | Atlantico.fr
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Des électeurs votent lors des élections régionales en France lors de la pandémie de Covid-19.
Des électeurs votent lors des élections régionales en France lors de la pandémie de Covid-19.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Paradis ou enfer ?

David Brooks est le journaliste américain qui a inventé le terme de bobos dans un livre de 2000 intitulé "Bobos in Paradise : The New Upper Class and How They Got There". Problème : non seulement, le Paradis qu’il espérait n’est jamais venu mais il considère maintenant que les Bobos ont saccagé l’Amérique… Et leurs homologues européens ne sont pas en reste.

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

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Atlantico : Dans son livre publié en 2001, « Bobos in Paradise : The New Upper Class and How They Got There », David Brooks a théorisé le terme bobo. Mais comment le paradis que les Bobos espéraient a-t-il tourné ?

Thibault Muzergues : Les Bobos sont arrivés à leur paradis, mais ils ont transformé la vie de beaucoup d’autres personnes en enfer et c’est le constat que l’on fait, David Brooks et moi. Dans la mesure où les Bobos ont pris de nombreux leviers culturels, politiques, économiques à la fin des années 2000 et au début des années 2010, il y a un vrai problème. En contrôlant ces points, ils ont imposé leur vision du monde au reste de la société. Ils ont aussi concentré les richesses car les cinquante aires métropolitaines les plus grandes au monde représentent 40 % de la richesse mondiale alors qu’elles ne représentent que 7 % de la population globale.

Cette catégorie bobo que j’appelle « la classe créative » dans mon livre « La Quadrature des Classes » est une contre-culture. Quand une contre-culture devient dominante et cherche à imposer sa contre-culture au reste de la société il y a deux parcours. Soit elle arrive à s’imposer par la force, soit elle s’impose par la persuasion sur le long terme. Étrangement, nous ne sommes arrivés à aucune des deux situations, mais à une guerre culturelle entre une contre-culture (qui représente 15 à 20 % de la population) et une autre partie de la société qui ne se reconnaît pas dans le discours de la classe créative sur les questions de diversité, de flexibilité. Il y a donc eu une véritable situation de backlash.

Aujourd’hui nous nous trouvons dans une situation assez paradoxale où cette contre-culture dominante a affaire avec une majorité de la population qui se sent dominée.

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Ce phénomène a-t-il touché autant la France que les États-Unis ?

David Brooks s’est concentré essentiellement sur les États-Unis, mais de mon côté j’essaie de transposer ses écrits sur le terrain plus large de l’Occident. Le livre de David Brooks a d’ailleurs eu plus de succès en France qu’ailleurs. On retrouve le phénomène de la classe créative partout en Europe et cela se voit avec certains dirigeants comme Emmanuel Macron ou Matteo Renzi en Italie. Le backlash est général car Renzi a créé Matteo Salvini et en France nous avons Eric Zemmour. Ce dernier est le représentant de la révolte d’une certaine partie de la population. Le contre-coup est extrêmement violent.

Avant l’émergence de la classe créative dans le paysage politique, nous étions dans un consensus mou qui convenait à tout le monde et aujourd’hui nous sommes passés à une polarisation de la classe politique. La montée en puissance de la classe créative y est pour beaucoup.

Qui incarne en France les Bobos en politique ?

Il s’agissait d’Emmanuel Macron, mais il essaie actuellement de faire le pont entre les Bobos et la classe moyenne. Il y parvient parfaitement, mais reste Bobo. La gauche s’est radicalisée avec les questions woke et elle est dans les camps des millennials. Aux États-Unis, par exemple, de 1965 à 2000, 10 % des libéraux blancs voulaient augmenter l’immigration et en 2018 ils étaient plus de 50% à cause de l’influence de cette gauche radicale. 

Emmanuel Macron, lui, devient de plus en plus un président de classe moyenne car il a compris que les Bobos sont en minorité et que pour avoir la majorité, il a besoin d’avoir une partie de la classe moyenne. Après les Giles Jaunes, on a vu une droitisation du discours d'Emmanuel Macron et un positionnement qui est passé de centre-gauche centre à centre-droit.

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Y a-t-il alors un risque pour la démocratie ?

Oui justement, le risque est pluriel. On a d’un côté des Bobos minoritaires qui estiment que leur vision est la bonne pour l’avenir du pays, c’est à dire un libéralisme sans démocratie et de l’autre il y a des gens comme Viktor Orban ou Eric Zemmour qui prônent une démocratie sans libéralisme qui au final n’est ni libérale, ni démocratique, dans la mesure où la la loi du nombre, en particulier lorsqu’elle est définie par un leader charismatique, aboutit immanquablement à la dictature d’une masse, puis à la dictature tout court - on a donc là aussi un danger pour la démocratie. Il y a un centre (droit et gauche) qui tente de sauvegarder la démocratie libérale en Occident, mais celui-ci est attaqué de toutes parts.

La classe créative refuse de voir les dégâts  causés par sa politique et continue d’avancer tout droit. Il ne faut pas nier aussi l’impact positif de cette classe sur le reste de la société, mais ils refusent de voir l’impact négatif de leur politique et de comprendre qu’ils sont minoritaires. Tout cela est un vrai problème pour notre démocratie.

Par ce refus de voir la réalité, cela a-t-il donc transformé leur paradis en enfer ?

C’est leur paradis, mais c’est notre enfer diraient certains. Il y a un décalage entre ce qui est vécu par eux et la peur du déclassement que ressentent beaucoup de Français, d’Américains, de Britanniques, d’Allemands, d’Espagnols et qui les poussent à voter pour des partis d’extrêmes-droite ou d’extrême-gauche. La démocratie est prise en tenaille entre deux extrêmes et c’est là qu’est le danger car il y une incapacité des élites à comprendre qu’ils ont été trop loin et qu’il faut rectifier le tir.

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On qualifie maintenant certains de boubours ou bourgeois-bourrins. Est-ce la réaction au bobos ?

C’est un phénomène qui a émergé en réaction aux Bobos. Eric Zemmour en est la dernière incarnation. À droite, il y a trois familles, il y a Marine Le Pen qui est dans son fief des nouvelles minorités, les ouvriers qui n’ont plus de travail et plus de perspectives économiques, une extrême-droite donc très socialisante. De l’autre côté, Eric Zemmour qui incarne une révolte culturelle boubours. C’est une chose qui est en train de devenir très français car dans tous les autres pays, la droite de la droite est en train de perdre du terrain. Cela correspond à une classe moyenne provinciale qui reste libérale au niveau économique. Le programme économique d'Eric Zemmour est un programme à droite alors que celui de Marine Le Pen est très à gauche.

Comment pourrait se terminer ce conflit de classe ?

Il y a un malaise dans la société très fort. La question est désormais de savoir si on arrive à stabiliser le système tel qu’il est, ce qui paraît improbable, ou alors on peut avoir des tensions sociales qui se cristallisent et qui sont prises dans une logique de radicalisation et de polarisation et nous serons dans une situation de pré-guerre civile. La France n’en est pas très loin. Des camps se constituent et c’est très dangereux.

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