Comment le poil est devenu l'ennemi numéro un des femmes (et même des hommes)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le "dégoût pileux" est construit socialement et culturellement.
Le "dégoût pileux" est construit socialement et culturellement.
©Weibo

S'en est fini des velus

L'été, c'est la grande période de la chasse aux poils disgracieux. La société de l'apologie du corps lisse veut que plus rien ne dépasse pour les hommes comme pour les femmes, la faute à la pornographie mais pas que...

Christian Bromberger et Stéphane Héas

Christian Bromberger et Stéphane Héas

Christian Bromberger est professeur d’anthropologie à l’université d’Aix-Marseille et membre de l’institut universitaire de France. Il est également l’auteur de « Trichologiques : Une anthropologie des cheveux et des poils » aux éditions Bayars.

Stéphane Héas est sociologue, maître de conférence Habilité à Diriger des Recherches en Sociologie à l'Université de Rennes 2. Il est co-directeur de la revue International Review on Sport and Violence et vice-président de la Société Française en Sciences Humaines sur la Peau. Il a également contribué au livre Anthropologie, mythologies et Histoire de la chevelure et de la pilosité, de Bertrand Lançon et Marie-Hélène Delavaud-Roux.

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Atlantico : La norme d'aujourd'hui veut des corps imberbes pour les femmes comme pour les hommes. Comment et pourquoi en quelques décennies les poils sont devenus le problème à chasser à tout prix ?

Stéphane Héas : La situation n’est pas équivalente et ne le sera sans doute jamais entre hommes et femmes, entre jeunes et vieux, entre telle ou telle aire culturelle, etc. Donc, il faut toujours se méfier d’annoncer des tendances homogénéisantes à l’œuvre qui sont davantage le fait d’une médiatisation par exemple d’un phénomène plutôt circonscrit dans le temps et l’espace.

Les poils sont cependant en effet "chassés", ôtés plus ou moins définitivement à certains endroits du corps suivant en cela une norme qui est imposée à la fois par les médias de masse et par des industries cosmétiques qui ont tout intérêt à vendre cette image puisqu’elle exige le recours à tel ou tel produit ou service spécialisé dans l’épilation. L’idée est alors de purifier le corps humain, et ainsi de le distinguer de ceux des animaux. Les relents anthropomorphes anthropocentristes ne sont jamais loin.

Cette aseptisation des relations à soi et aux autres participe d’un phénomène plus large et multiséculaire de purification. S’épiler et se raser permet aussi de se préparer au mieux à la confrontation du jeu social. Le "dégoût pileux" est construit socialement et culturellement.

Christian Bromberger : Cela relève d’une tendance générale à la désodorisation et à la désanimalisation. La modernité rime avec corps épilé il faut que rien ne puisse rappeler la nature animale de l’Homme. Cette volonté de s’affranchir du monde animal, accentuant un culte d’hygiène déjà très fort se retrouve chez les deux sexes. Là où il y a du poil, il y a des odeurs fortes, on souhaite neutraliser ses odeurs.

Qu'est-ce que cette tendance révèle de notre société : soumission aux codes de la mode et de la pornographie...? 

Christian Bromberger : Il y une soumission pour les femmes, c’est le désir d’avoir un corps lisse qui date de l’Antiquité. Le lisse féminin est la dominante dans l’histoire du corps à l’échelle de nos société. En même temps on trouve deux modèles chez les femmes qui peuvent être répulsifs : la porno star et la fillette. C’est pourquoi quand il y a épilation du pubis chez les femmes, certaines gardent quelques poils (ticket de métro) pour se démarquer de la tendance porno-star et de la poupée Barbie. L’apparition de poils est synonyme de puberté. Les poils témoignent d’un changement de statut.

Stéphane Héas : La soumission à la norme est agissante et s’immisce dans les tréfonds des corps, ceci n’est pas nouveau. La mode par définition revisite des codes souvent séculaires : les variations de couleurs, d’apparence, constituent alors des contre-tendances, des manières de choquer, de retenir l’attention des prospects, des clients, des diffuseurs, etc.

La pornographie est un secteur toujours florissant et largement diffusé désormais par l’internet. Obligatoirement, les épilations et les autres traitements corporels à base de lubrifiant, de tenues sexy plus ou moins contraignantes ou couvrantes, etc., peuvent devenir des modèles manifestes ou latents pour le commun des mortels.

Historiquement, est-ce que les modes varient ? Peut-on s'attendre à un retour du poil dans quelques années ?

Christian Bromberger: Je ne pense pas, même si il y a quelques mouvements de personnes qui se laissent pousser les poils, les "ours", notamment chez les homosexuels. On voit également des actrices comme Julia Roberts qui s’est laissé pousser les poils sous les aisselles à la fin des années 1990, début des années 2000. Cela reste une tendance marginale : car c'est le corps lisse et hygiénique qui correspond aux canons de la société actuellement.

Stéphane Héas : Les modes varient… et se recyclent. Les poils n’ont jamais totalement disparus, les réactions, et parfois les mobilisations et les revendications contre cette épilation normalisée ont toujours cours (cf. le mouvement M.I.E.L.). Les ajouts capillaires ont aussi du succès ne l’oublions pas notamment dans certaines catégories de la population française. La tendance au lisse et imberbe est relative à certains segments de populations-client(e)s…

Au-delà du côté esthétique, les poils sont-ils une façon de manifester une différence et des opinions ?

Christian Bromberger : A travers toute l’histoire les poils comme vêtements ont été des moyens de marquer son opposition. Il y a pleins d’exemples comme dans les mouvements révolutionnaires : Castro, Che Gevara… Et même plus proche de nous, les écologistes se laissent souvent pousser la barbe qui témoignent une volonté de respecter la nature plutôt que de la modifier. Mais aussi les barbes républicaines de la IIIème République des ministres, alors qu’aujourd’hui les leaders politiques ne jouent pas de leur pilosité faciale.

Stéphane Héas : Le poil est culturel comme l’a indiqué joliment Cyrulnik dans l’un de ses ouvrages, il peut constituer un moyen de lutte (cf. MIEL ci-dessus) contre les normes, les pouvoirs en place. Le crâne rasé ou au contraire chevelu permet d’indiquer sa réprobation contre l’ordre établi, ce n’est pas nouveau et cela va continuer.

Attention à ne pas oublier que parfois la perte des cheveux ou des poils est un indicateur involontaire de maladie par exemple ou d’exposition à des radiations. La peau imberbe devient alors un indicateur d’exposition, de risques encourus, etc.

Se raser, s’épiler permet aussi de "se refaire" une beauté, de "faire peau neuve", de renaître à minima sous un jour nouveau.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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