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Comment le Père Noël s’est imposé dans l’imaginaire collectif en France
©Valery HACHE / AFP

Bonnes feuilles

Martyne Perrot publie "Le cadeau de Noël, histoire d’une invention" aux éditions Autrement. Chaque hiver, les cadeaux de Noël foisonnent, hâtivement déballés, puis, parfois, revendus aussi vite. Martyne Perrot livre un récit minutieux de la naissance et de l’évolution de ces objets situés quelque part dans un interstice entre le rêve et le négoce. Extrait 1/2.

Martyne Perrot

Martyne Perrot

Chercheur au CNRS, sociologue et ethnologue, Martyne Perrot a étudié les mutations du monde rural, les objets migrants de la mondialisation et la fête de Noël dans ses multiples dimensions. Elle a publié notamment Les Mariées de l’île Maurice (Grasset, 1983), Paysage au pluriel (éd. MSH, en collab.) et Ethnologie de Noël (Grasset, 2000), Faire ses courses (2009) et Faut-il croire au Père Noël ? (2010).

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En France, en dehors de très anciennes personnifications qui n’offraient pas de cadeaux, le Père Noël s’impose au tout début du XIXe siècle. Dans ses souvenirs d’enfance, en date de 1807, George Sand en livre une description très précise :

« Ce que je n’ai pas oublié, c’est la croyance absolue que j’avais à la descente par le tuyau de la cheminée du petit Père Noël, bon vieillard à barbe blanche, qui, à l’heure de minuit, devait venir déposer dans mon petit soulier un cadeau que j’y retrouverais à mon réveil. Minuit, cette heure fantastique que les enfants ne connaissent pas, et qu’on leur montre comme le terme impossible de leur veillée ! Quels efforts incroyables je faisais pour ne pas m’endormir avant l’apparition du petit vieux ! J’avais à la fois grande envie et grand peur de le voir ; mais jamais je ne pouvais me tenir éveillée jusque- là, et le lendemain, mon premier regard était pour mon soulier, au bord de l’âtre. Quelle émotion me causait l’enveloppe de papier blanc, car le Père Noël était d’une propreté extrême, et ne manquait jamais d’empaqueter soigneusement son offrande. Je courais pieds nus m’emparer de mon trésor. Ce n’était jamais un don bien magnifique, car nous n’étions pas riches. C’était un petit gâteau, une orange ou tout simplement une belle pomme rouge. Mais cela me semblait si précieux que j’osais à peine le manger. L’imagination jouait encore là son rôle et c’est toute la vie de l’enfant. »

L’implantation du Père Noël porteur de cadeaux ne suit toutefois pas une ligne si nette. Les vicissitudes politiques y ont joué leur rôle. La guerre de 1870, en particulier, permit à saint Nicolas et au Christkindl de faire un bref retour. Environ 200 000 Alsaciens et Lorrains quittèrent leur région, devenue allemande, pour venir s’installer en France de l’intérieur. Les Alsaciens emportèrent avec eux Christkindl et le sapin à Paris et dans les localités où ils étaient assez nombreux pour faire revivre ces coutumes. Certaines familles catholiques parisiennes furent vite acquises à ce nouveau donateur. Les Lorrains, de leur côté, amenèrent saint Nicolas. Mais ce dernier n’étant pas familier aux enfants français, il fut supplanté par le Bonhomme Noël, et cela avec d’autant plus de vigueur que les anticléricaux, ceux qui luttaient alors contre le « nouvel ordre moral », voyaient d’un mauvais œil l’entrée d’un personnage religieux, fût-il patron des écoliers, dans les écoles de la République. 

Bref, l’établissement officiel du Père Noël est tardif. L’enquête de l’Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, menée quelques années plus tard, la fixe à l’année 1897, confortant du même coup Van Gennep dans l’idée qu’il s’agissait bel et bien d’« un cas de folklore naissant ». À partir de cette époque, dit Van Gennep, le Père Noël, vieillard à barbe blanche, coiffé d’un bonnet de fourrure et vêtu d’une vaste houppelande bordée d’hermine, a rapidement conquis les villes, les bourgs et même certaines campagnes, de la même manière que l’arbre de Noël. En 1903, dans les pages de Lectures pour tous, il est présenté comme un fidèle messager du Petit Jésus. Puis il s’impose peu à peu à travers le pays. En Saône-et-Loire, il remplace le Père Janvier à partir de 1915, et gagne le Dauphiné, où il était inconnu avant 1925. En Flandre, il ravit le rôle à saint Martin et à saint Nicolas. En Franche-Comté, après 1950, il se substitue à la Tante Arie, mais aussi, dans l’Est, à saint Nicolas, au Père Chalande et à l’Enfant Jésus, bien que les cohabitations soient encore tolérées. À vrai dire, il n’était pourtant pas si séduisant, avec ses allures de pauvre hère. « Ce père Noël, assure ainsi Jean- Louis Hue , est le portrait craché du colporteur, il en a la silhouette frêle et voûtée, […] il a choisi l’hiver pour quitter ses terres et partir en tournée… et c’est la même bimbeloterie qu’il charrie : raquettes, palettes, tambourins, boîtes de bois peintes, horloges de sable, jeux de quilles, sifflets et damiers. » 

Sur les cartes postales colorisées du début du siècle, il a conservé quelques attributs épiscopaux, et sa générosité envers les enfants est toujours sélective. Catherine Lepagnol, qui a analysé de près journaux d’enfants, cartes postales, chromos et découpies entre 1850 et 1930, y décèle encore quelques ressemblances avec « un moine, un empereur russe, un homme en uniforme ».

Mais l’allure austère et parfois même inquiétante de ce vieillard, auquel il arrivait, dans un très vieux réflexe, d’emporter quelque enfant indiscipliné, n’y change rien. Il s’est « diffusé rapidement par l’intermédiaire des associations patriotiques, des organisations charitables et des écoles ». À la fin du XIXe siècle, alors que la tradition des étrennes se maintient encore, le Bonhomme Noël passe désormais, durant la nuit du 24 décembre, pour distribuer des jouets.

Ce Père Noël au teint hâve, maigre, parfois pieds nus dans la neige, et souvent vêtu d’une robe de bure terne et brune, ne résistera pourtant pas bien longtemps, à son tour, aux grands magasins, au chemin de fer et surtout à la figure, joviale et généreuse, qui se prépare dans le Nouveau Monde : Santa Claus. Bénéficiant d’une promotion commerciale jusque-là inédite, ce dernier s’impose en effet dans toute l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En France, sa « grande vogue » est liée au savoir-faire commercial des grands magasins. Mais elle doit aussi beaucoup au prestige dont les États-Unis, pays des libérateurs, et leur mode de vie jouissaient en France dans l’immédiat après-guerre. Le nouvel attachement à l’enfant, dont la presse féminine se fait largement l’écho, et le souci de gâter ceux qui sont nés dans la paix rencontrent alors la mise sur le marché de jouets nouveaux. Il fallait cela pour que Tino Rossi puisse, en 1946, chanter ces cadeaux du ciel qui tombent par milliers.

Extrait du livre de Martyne Perrot, "Le cadeau de Noël, Histoire d'une invention", publié aux éditions Autrement.

Lien vers la boutique : ICI

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