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Comment le mouvement MeToo et l’affaire Weinstein ont permis de libérer la parole des femmes et de lutter contre le sexisme
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Angélique Gérard publie "Pour la fin du sexisme ! Le féminisme à l'ère post #MeToo" aux éditions Eyrolles. Le sujet des femmes est brûlant. En 2017 éclate le scandale #MeToo. À partir de ce formidable élan pour l'égalité, on a assisté à une nouvelle prise de conscience à l'échelle mondiale. Extrait 1/2.

Angélique Gérard

Angélique Gérard

Angélique Gérard est l'un des dirigeants historiques du groupe ILIAD (Free). Présidente de huit filiales du groupe, elle accompagne un effectif d'environ 7 OOO personnes affecté à la Relation Client du groupe. En 2O15, elle succède à Emmanuel Macron à la première place du classement Choiseul des « 1OO leaders économiques de demain ». En octobre 2O17, Angélique Gérard est décorée de l'insigne de chevalier de l'ordre national du Mérite. Elle rejoint en 2O18 le mouvement Led by HER en tant que mentor d'entrepreneuses.

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Le problème vient d’ailleurs du fait que, de manière générale, nous avons cette difficulté, largement expliquée par la place occupée par la femme dans notre société, à nous imposer, à  donner notre avis – en tout cas moins facilement que le font les hommes. Il faut nous y encourager, nous porter, car peu de femmes osent prendre la parole, en particulier lorsqu’il s’agit de donner son point de vue personnel ou à contre-courant de la pensée générale. Et souvent parce que les enjeux, liés au travail, à notre image, notre réputation, sont décisifs, déterminants dans nos vies. Nous n’avons très souvent pas le choix. Il faut dire que ce n’est pas tâche facile dans un contexte où l’on apprend aux petites filles à ne pas se faire remarquer, à rester modestes et discrètes. 

Si l’on ne devait donner qu’un exemple pour illustrer cela, ce serait clairement celui de l’histoire de la révélation #MeToo. Je l’évoquais plus haut, une omerta effroyable, presque surréaliste, a brutalement été dévoilée, dans le monde du cinéma, et l’univers artistique de manière générale – un système où la liberté des femmes était retenue prisonnière depuis des années. Et il aura fallu l’intervention presque miraculeuse de deux femmes journalistes du New York Times, Jodi Kantor et Megan Twohey, et d’un homme, Ronan Farrow, 26 ans, journaliste au New Yorker et avocat militant des droits de l’homme, pour délier les langues, ouvrir les scellés en donnant confiance, et enfin briser la loi du silence. Car si le New York Times a mis le feu aux poudres, c’est bien l’enquête accablante du New Yorker, longue de dix chapitres et de forts témoignages, qui lancera véritablement la machine. On comprend clairement par quel phénomène aucune journaliste engagée, sans l’appui ou la validation d’un homme, n’avait pu s’emparer de la question avec une telle ampleur auparavant. « Ce que je peux dire, c’est que, pendant des années, de nombreux médias ont tourné autour de l’histoire et subi de lourdes pressions », d’après Farrow. « La chose la plus effrayante qu’on puisse annoncer à un dirigeant […] actuellement ? “Ronan Farrow est en ligne.” » La boutade, lancée par le duo comique chargé de présenter la cérémonie des Emmy Awards en 2018, illustre bien la place qu’occupe désormais celui qu’on appelle le « coupeur de têtes ». Et ce personnage mérite qu’on s’attarde un petit peu plus longtemps sur son parcours inspirant. Unique fils biologique de l’actrice Mia Farrow et du réalisateur Woody Allen – ou probablement de son ex-mari Frank Sinatra, de l’aveu de l’actrice en 2013 –, il correspond à l’image que l’on peut se faire de l’enfant prodige. À la maison, il est entouré d’une grande fratrie, dont la plupart sont des enfants adoptés et nés aux quatre coins du monde, parlant six langues différentes. De quoi ouvrir l’esprit et la conscience sur les questions liées aux inégalités dans le monde. Diplômé du prestigieux Bard College à 15 ans, il est le porte-parole de l’Unicef, avec deux années d’engagement humanitaire à son actif, notamment en pleine guerre civile au Soudan, où il est correspondant pour des journaux américains prestigieux, relayant le quotidien et l’histoire des enfants-soldats au Darfour. Entré à 17 ans à l’université de droit de Yale, il travaille à 20 ans au département d’État des États-Unis en tant que conseiller aux affaires humanitaires, puis pour Hillary Clinton sur les questions internationales liées à la jeunesse. Tour à tour présentateur, écrivain et avocat, c’est ce personnage au parcours atypique, décoré du prix Pulitzer en 2018 pour avoir fait exploser la bombe Weinstein, qui a brillamment su faire sortir autant de femmes de leur silence. Il ne se qualifie pas de « féministe », mais de « simple diplomate au service des droits de l’homme », et refuse modestement de revendiquer le succès du mouvement : « Je pense que le paysage a changé et que cela devait arriver. »

Journalistes d’influence 

On peut lire un peu partout que Brad Pitt va produire un film sur l’affaire Weinstein. C’est faux. Les sociétés de production californiennes Annapurna Pictures et Plan B, la maison de production de Brad Pitt, déclarent effectivement avoir acquis les droits pour tourner un film portant sur la genèse du mouvement #MeToo. Mais le film retracera l’histoire des deux journalistes à l’origine du séisme et se concentrera plutôt sur le puissant travail de l’ombre des reporters du New York Times, pas sur le prédateur sexuel dont on a assez entendu parler. Ironie du sort, puisqu’à la sortie des premiers articles, Harvey Weinstein l’intouchable, fort d’un incommensurable sentiment d’impunité, avait déclaré publiquement : « L’histoire est bien, je veux bien acheter les droits… »

Avec les journalistes d’investigation Ronan Farrow, Michael Schmidt et Emily Steel, Jodi Kantor et Megan Twohey reçoivent le prestigieux prix Pulitzer en 2018, dans la catégorie « journalisme de service public », pour leur travail colossal sur la révélation des terribles secrets bien gardés jusqu’alors par un lourd mur de silence hollywoodien. Des lauréats qui « incarnent les valeurs d’une presse libre et indépendante, […] [synonyme d’une] démocratie en bonne santé », selon l’administratrice du Pulitzer, Dana Canedy. Des mois de travail, dont Jodi Kantor garde un souvenir intense : « Je me suis trouvée physiquement quasi incapable d’arrêter de travailler. » L’enquête, encadrée par la rédactrice en chef Rebecca Corbett, est publiée le 5 octobre 2017. Dans un contexte où les détracteurs de Trump avaient mis le harcèlement des femmes sur le devant de la scène politique, elle attaque le célèbre producteur Harvey Weinstein en tant que symbole du premier domino à faire tomber pour détruire tout un système. Les témoignages sont édifiants. Ashley Judd y affirme par exemple que le magnat, il y a vingt ans déjà, l’avait invitée à le rejoindre dans sa chambre d’hôtel pour lui demander un massage et le regarder prendre sa douche… La lame de fond Weinstein initie un grand débat sur le rapport entre femmes et hommes dans la société, et fait rapidement tache d’huile : le réveil est douloureux pour beaucoup d’hommes dont l’emprise est anéantie dans de nombreux domaines – télévision, médias, sport et politique. Un livre sur l’affaire est en cours de rédaction chez Penguin Press. Megan Twohey, diplômée de l’université de Georgetown en 1998, n’en est pas à sa première récompense. Son travail, à l’origine de lois sur la protection des personnes vulnérables et des enfants, est déjà reconnu par deux prix nationaux du journalisme en 2013. Jodi Kantor n’est pas non plus un nouveau talent du journalisme d’influence. Issue de l’université de Columbia, elle est l’autrice du best-seller The Obamas publié en 2012, et a également reçu une pluie de récompenses pour ses publications, principalement axées sur la place de la femme dans le monde du travail.

Extrait du livre d’Angélique Gérard, "Pour la fin du sexisme ! Le féminisme à l'ère post #MeToo", publié aux éditions Eyrolles. 

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