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Comment la science est en train de destituer l’humain
©Pixabay / CasualDestroyed

Bonnes feuilles

Bertrand Vergely poursuit sa réflexion stimulante sur le transhumanisme et montre la dangerosité totalitaire que le désir d'immortalité fait peser sur la société humaine toute entière. Il poursuit sa réflexion amorcée dans La Tentation de l'homme-Dieu sur le désir d'immortalité, désir proprement totalitaire de faire advenir une société parfaite. Extrait de "La destruction du réel La fin programmée de l'humain a-t-elle commencé ?" de Bertrand Vergely publié aux Editions Le Passeur. (1/2)

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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1984. On aurait aimé que le chiffre de cette année ne soit qu’un titre de roman, celui de George Orwell, et que la société totalitaire qu’il y décrit ne soit qu’un mauvais rêve. Pour Jacques Testart, tel n’est pas le cas, la science depuis 1982 avec la naissance du premier bébé-éprouvette, Amandine, étant en mesure de fabriquer la vie. D’où ce cri d’alarme lancé de sa part. Si l’homme se met à fabriquer l’homme, ne va-t-il pas devenir la chose de l’homme et par là même disparaître ? « Nous sommes les drogués d’un destin jamais pensé dont nous faisons mine d’être les maîtres1 », écrit-il dans un livre qui, à l’époque, fait sensation. Avant de conclure : « Viendra le temps où le solde de l’humanité sera tout entier contenu dans le souvenir de l’homme. » La science est en train de destituer l’humain. Avec l’arrivée des robots ne parvient-on pas au même résultat ?

Cela fait longtemps qu’il y a des robots dans nos vies. Des usines robotisées mettent de l’eau minérale en bouteilles. L’homme moderne est désormais dispensé de cette tâche. On ne va pas s’en plaindre. Il y avait jadis des poinçonneurs dans le métro. Ils ont disparu. La chanson que Serge Gainsbourg a consacrée au poinçonneur des Lilas est un chef-d’œuvre. Non le fait de faire des petits trous. Le robot n’est pas gênant. Ce qui en revanche risque de l’être, c’est le projet de faire des nouveaux robots avec qui nous allons, paraît-il, devoir vivre. Hier, ce que l’on redoutait, c’était que l’homme devienne un robot. Aujourd’hui, les choses changent. Ce sont les robots qui sont appelés à devenir des hommes. D’où la difficulté de penser le robot. Puisqu’il va être humain, pourquoi pas ? C’est là que le bât blesse. Un robot même très humain n’en cesse pas moins d’être un robot.

L’homme a une vie intérieure et c’est ce qui le distingue d’un animal, rappelle Ernst Cassirer. Quand un animal mange, il n’en fait pas un plat. Quand un homme mange, il en fait des bibliothèques. Si l’animal vit dans la nature, l’homme vit dans la culture en faisant vivre de multiples mondes. D’où son lien avec la nature qui consiste à rendre celle-ci encore plus vivante qu’elle ne l’est.

Si l’homme se distingue de l’animal par la culture, ce qui le distingue de la machine est autre. La machine qui sert à démultiplier des forces est présente dans la nature qui est une grande machine, rappelle Edgar Morin. En ce sens, il y a quelque chose de très naturel dans la machine.

Et l’homme est très naturel, quand, comme une machine, il démultiplie les forces qu’il trouve en lui comme autour de lui. Reste qu’il y a et il y aura toujours une différence de taille entre l’homme et la machine. Un robot peut faire bien des choses. Il y a toutefois une chose qu’il est incapable de faire : s’arrêter d’être un robot afin de devenir autre chose. Pour rêver, ne rien faire, vivre pour rien, vivre, savourer la joie de vivre. Pour changer de vie aussi. En partant voyager, en changeant de profession, en changeant le monde pour y introduire autre chose comme de la spiritualité. Comme les moines et les moniales qui, un jour, rompent avec la vie du monde afin de vivre un appel intérieur vers le transcendant. Un homme peut s’arrêter. Il peut s’arrêter d’être un homme normal afin de devenir autre chose. Un robot en est incapable. Programmé pour être un robot, il est incapable de se déprogrammer afin d’être autre chose. Même si demain on fabrique des robots capables de se déprogrammer, fabriqué pour être déprogrammé, le robot sera encore programmé.

Un robot est incapable de s’arrêter parce qu’il n’a aucun lien avec la transcendance. L’homme est capable de s’arrêter parce qu’il est capable de se laisser visiter par l’infini. Cela s’appelle la grâce, ce cadeau venu d’ailleurs qui donne à la vie une élégance et un charme indicible. L’humain est une grâce, un cadeau venu d’ailleurs. Si la nature est infinie, l’homme avec son humanité capable de faire vivre l’infini est infiniment infini, souligne Pascal. Alors que l’espace infini donne à l’existence son extension extérieure, l’infiniment infini que l’on trouve dans l’homme donne à l’existence son extension intérieure. C’est ce que Pascal appelle la finesse, cette capacité de faire vivre les choses et les êtres qui fait qu’on s’en souvient infiniment. Vladimir Jankélévitch l’appelle l’inachevé qui s’exprime par la nuance, le détail, le je-ne-sais-quoi, le presque rien. D’où le paradoxe de l’humain. Celui-ci ne vient pas de l’homme mais de l’au-delà de l’homme. Et l’ineptie consistant à dire que le robot est un homme en devenir, l’humain n’étant pas ce que l’on imite en provoquant un quiproquo entre la machine et l’homme, mais ce que l’on reçoit comme on reçoit une inspiration. On ne devient pas homme en jouant à l’être.

Le robot sera-t-il demain un homme comme un autre ? Si l’on met fin aux robots en laissant les hommes aller vers leur être infini, certainement. Il s’avère que les grandes firmes qui commercialisent aujourd’hui l’intelligence artificielle ne l’entendent pas de cette oreille. Assoiffées de pouvoir et de profit, elles veulent faire croire que demain le robot sera un humain comme un autre en noyant l’humain de l’homme dans les multiples façons de créer de l’humain. Il s’agit, si l’on entend demeurer libre, de dire non à ce mensonge et au totalitarisme soft qui va avec.*

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