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Comment la Russie a refait des Etats-Unis le leader du monde libre
©TIMOTHY A. CLARY / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

Le XXIème siècle s’annonçait américain. La chute de l’Union soviétique avait alors fait des États-Unis la seule super puissance qui marquait le monde de son empreinte dans tous les domaines. Les attentats du 11 septembre 2001 notamment sur le World Trade Center ont radicalement changé la donne.

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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L’oncle Sam s’est alors lancé dans deux aventures guerrières qui lui ont coûté sa suprématie :

  • À la recherche du cerveau des actes terroristes du « nine eleven », Oussama Ben LADEN, Washington fait adopter une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies autorisant une coalition internationale à débarquer en Afghanistan et à renverser le régime des Talibans. Ce fut fait. Mais il a fallu attendre près de 11 ans, le 21 mai 2011, pour que les forces américaines tuent au Pakistan le chef d’Al Quaïda. Pendant ce temps, elles se sont installées en Afghanistan sans avoir réussi à changer la nature profonde de la société afghane, et ont dû partir en catastrophe l’été dernier.

  • En 2003, avançant de fallacieux prétextes, les États-Unis et le Royaume Uni, deux membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, envahissent l’Irak pour y détruire des armes de destruction massive, à ce jour introuvées, et y installer une démocratie libérale. L’absence d’accord du Conseil de sécurité a durablement écorné la crédibilité de cette organisation, dernièrement mis à mal avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité.

Cette expédition militaire fut un fiasco.

Comme je l’ai écrit le 14 septembre 2021, « …, les États-Unis vont payer pendant très longtemps les guerres de Bush Jr. Le « Costs of War Project » de l’université Brown a évalué là le coût des guerres en Afghanistan, en Irak, en Syrie et au Pakistan depuis le 11 septembre 2021. Vingt ans de guerres auraient couté 8 000 Md$, fait 929 000 morts dont 387 000 civils, occasionné 38 millions de réfugiés… » Cela renvoie au sujet de l’influence à Washington du lobby militaro-industriel.

Quel gâchis !

Pendant ce temps :

  • La Chine prospérait, devenait la première usine du Monde, la seconde puissance économique et s’affirmait de par les continents, avec « les routes de la soie », et surtout en Mer de Chine.

  • Vladimir POUTINE en a profité pour avancer ses pions en Tchétchénie, en Transnistrie détachée de la Moldavie, en Géorgie avec l’occupation d’une partie de son territoire, en Crimée avec son annexion en 2014, mais aussi pour soutenir les séparatistes de l’Est ukrainien, ou intervenir massivement en Syrie, en Centrafrique et au Mali...

  • Des dictateurs comme le Nord-Coréen Kim JONG-UN ou le Turc Recep Tayyip ERDOGAN, ou les mollahs iraniens ont saisi cet affaiblissement américain pour renforcer leurs capacités nucléaires ou s’affirmer dans la péninsule arabique et en Afrique.

  • La parenthèse des « printemps arabes » s’est refermée. Après le retour en force des militaires égyptiens, la victoire de Bachar El ASSAD avec l’écrasement de toutes ses oppositions sous les ruines, et la reprise en main du pouvoir par les familles des généraux algériens qui ont fait le dos rond face aux nombreuses et impressionnantes manifestations, le tour est bouclé avec l’installation en Tunisie d’une dictature policière.

S’est progressivement constitué un front contre l’Occident, ses intérêts, ses valeurs. L’Occident semblait dépassé, surclassé avec une Chine qui grignotait des positions sur tous les fronts. Repliés sur eux-mêmes après la déroute afghane, les États-Unis semblaient absents à l’image de leur Président.

Dans le même temps, les principes de la démocratie libérale étaient remis en cause par les réseaux sociaux, la généralisation des « fake news », contestés par des extrêmes de droite comme de gauche. Certains pays européens ont basculé. Les régimes autoritaires, le recours à la force attiraient de plus en plus des opinions publiques déboussolées. Par anti-américanisme et haine de la démocratie libérale, de nombreux responsables ont fait preuve d’indulgence vis-à-vis de ces tyrans.

Mais, le 24 février et l’invasion de l’Ukraine semble inverser un processus qui paraissait inéluctable. Vladimir POUTINE a réussi le tour de force de :

  • Mobiliser les démocraties. En un délai record, elles ont adopté et appliqué des sanctions d’une ampleur inégalée et décidé de livrer des armes à l’Ukraine.

  • Redonner vie à l’OTAN. Alors qu’elle était « en état de mort cérébrale », plusieurs pays européens comme la Finlande, la Suède ou la Moldavie envisagent désormais de rejoindre l’Organisation.

  • Créer un nationalisme ukrainien qui s’est trouvé un héros, un héraut, Volodymyr ZELINSKY.

On ne peut qu’être impressionné par la résistance et la résilience des Ukrainiens qui acceptent tous les sacrifices, y compris celui du sang, pour faire rentrer l’ours russe dans sa tanière.

Est totalement indécent que certains laissent entendre que notre soutien à Kiev pourrait être contesté à cause d’éventuels délestages d’électricité ou de difficultés économiques. Oui, Volodymyr ZELINSKY a raison de nous rappeler régulièrement que ses concitoyens se battent et meurent pour notre liberté.

Au début de l’invasion, les commentateurs prédisaient une victoire rapide des Russes et une chute de Kiev. Neuf mois après, ce sont les Russes qui reculent en laissant derrière eux des charniers et des ruines, se barricadent, frappent des cibles civiles pour faire fléchir les Ukrainiens… Comme en 1905 face au Japon, comme en 1941 face aux armées nazies, l’armée russe a du mal à faire face à l’ukrainienne ; l’histoire se répète !

Parallèlement, le tsar POUTINE est contesté par :

  • Des citoyens qui n’ont pas hésité à affronter les forces de sécurité et les risques d’emprisonnement pour marquer leur opposition à la guerre

  • Des militaires qui préfèrent la prison à l’enrôlement ou qui n’hésitent pas à se rendre à l’ennemi

  • Des épouses et des mères qui s’opposent à la guerre et demandent le retour au foyer de leurs proches

  • Des Russes qui quittent leur pays pour chercher la liberté sous d’autres cieux

  • Des voisins de « l’étranger proche », notamment les membres de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et surtout l’Arménie qui ont pris des distances lors de son dernier sommet à Erevan. POUTINE ne semble plus être leur parrain !

Alors que les Chinois et les Indiens ont clairement indiqué leur opposition à toute utilisation d’arme nucléaire que reste-t-il à Wladimir POUTINE et Sergueï SOUROVIKINE pour faire fléchir les Ukrainiens ? Vont-ils, comme en Syrie, raser certaines villes ou utiliser des armes chimiques… ? Jour après jour, semaine après semaine, les Russes, convaincus de leur impunité, n’arrêtent pas de franchir des lignes rouges. Les exactions commises en Ukraine ainsi que l’impact croissant des sanctions vont très probablement amplifier la contestation contre le pouvoir poutinien.

Sans établir un lien de cause à effet avec les effets collatéraux de la guerre en Ukraine, la liberté semble redevenir une valeur universelle avec des manifestations diverses et variées de par le Monde :

  • Après l’assassinat de Nika SHAHKARAMI, 17 ans, par la police iranienne, les femmes iraniennes se révoltent, manifestent, depuis plus de deux mois, malgré des « gardiens de la révolution » qui n’hésitent pas à tirer sans aucune sommation. Le mouvement prend de l’ampleur jour après jour et des formes de plus en plus variées (mollahs agressés dans la rue, maisons de dignitaires incendiées, joueurs de l’équipe nationale de football serrant les dents pour ne pas chanter l’hymne national…)

Alors que les femmes iraniennes se battent pour avoir la liberté de ne pas porter le voile, certains responsables politiques oublient les principes de la laïcité en instrumentalisant des électeurs favorables aux signes religieux ou communautaires.

  • Tout aussi impressionnant sont les énormes manifestations chinoises comme la politique de « zéro COVID ». Tout cela a démarré comme un ras-le-bol généralisé face aux multiples restrictions pour cause de COVID. Cette situation pose une question fondamentale. Pourquoi la Chine maintient-elle une telle politique alors que tous les autres pays de par le Monde ont abandonné ces mesures ? La situation de la pandémie dans l’Empire du milieu serait-elle plus grave que celle présentée par les autorités ? Trois après le début de la pandémie partie de chez eux, que nous cachent encore les Chinois ?

À force de mettre le couvercle sur la marmite, il a fini par voler ! La révolte contre les restrictions sanitaires s’est vite transformée en manifestations politiques avec des slogans demandant la démission de Xi JINPING. Son installation à vie à la tête de la Chine a entrainé une main mise sur l’ensemble des leviers du pouvoir chinois. Xi JINPING a, en quelques années, instauré une dictature implacable peu compatible pour un pays ouvert sur le Monde. Comme POUTINE, Xi JINPING a un logiciel d’un autre temps et croit pouvoir par la force contrôler près d’un million et demi de personnes. Comme en 1989, la répression va être terrible et accentuer l’enfermement du pays comme je le décrivais dans ma chronique de janvier 2022.

  • La coupe du monde de football au Qatar est également l’occasion de certaines manifestations sur cette compétition. L’Occident et surtout l’Europe aurait dû trouver une formule pour marquer sa réprobation sur un choix obtenu grâce à la corruption, problématique au regard des obligations de développement durable, masquant les atteintes aux droits de l’humain et oubliant les morts occasionnés par les constructions des stades…

Le monde libre se doit de défendre la liberté, sa liberté. Il ne peut se retrancher derrière des Ukrainiens, des Iraniennes ou des Chinois.

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