Comment la (première des) justification(s) employée par Poutine pour envahir l’Ukraine lui est revenue boomerang<!-- --> | Atlantico.fr
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"La France parle français, l'Ukraine parle ukrainien" peut-on lire sur cette pancarte, lors d'une manifestation organisée à Kyiv en avril 2019.
"La France parle français, l'Ukraine parle ukrainien" peut-on lire sur cette pancarte, lors d'une manifestation organisée à Kyiv en avril 2019.
©SERGEI SUPINSKY AFP

Guerre en Ukraine

Au début de la guerre, Vladimir Poutine a beaucoup utilisé la rhétorique de la protection de la langue russe et des Ukrainiens russophones pour justifier son invasion. Son action a finalement permis de renforcer forcement la langue ukrainienne.

Sergej Sumlenny

Sergej Sumlenny

Sergej Sumlenny est un journaliste, politologue et écrivain d'origine russe.

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Atlantico : Au début de la guerre, Poutine a beaucoup utilisé la rhétorique de la protection de la langue russe et des Ukrainiens russophones. Dans quelle mesure cette rhétorique s'est-elle retournée contre lui ?

Sergej Sumlenny : L'argumentation de Poutine a changé plusieurs fois. Il a tout dit pour justifier l'intervention : protection des russophones, dénazification, discrimination de l'église orthodoxe, etc. Il trouve n'importe quelle raison pour justifier son action. Aucune d'entre elles n'est réellement vraie. Mais en effet, l'idée de défendre la langue russe s'est beaucoup retournée contre lui. Cela a commencé en 2014. Si l'on regarde les opinions des Ukrainiens sur la politique linguistique, personne ne parlait de l'ukrainien comme seule langue utilisée et pas beaucoup de promotion de l'ukrainien. Même lorsque le président Porochenko est arrivé au pouvoir, il a promis de défendre les deux langues. Le sujet de la langue n'était pas un problème à l'époque. Il a été largement ignoré. Depuis l'invasion de l'été 2014, jusqu'à l'accord de Minsk, Poutine a beaucoup utilisé la rhétorique de la langue russe. Et cela s'est déjà retourné contre lui. De nombreux Ukrainiens ont commencé à utiliser la langue ukrainienne encore plus souvent qu'auparavant, ou ont commencé à l'utiliser en premier lieu. Il y a eu une augmentation du nombre de locuteurs ukrainiens entre 2014 et 2016, puis un plateau parce que tous ceux qui voulaient passer à l'ukrainien l'avaient fait.

Il en a été de même pour la vision de l'OTAN. Le soutien à l'adhésion à l'OTAN a beaucoup augmenté après l'invasion puis a atteint un chiffre stable. En 2019, une loi a garanti à l'ukrainien le statut de langue officielle, mais elle n'a pas augmenté le nombre de locuteurs. À l'époque, nous avons vu des slogans "Je ne veux pas parler russe parce que je ne veux pas que Poutine vienne me sauver". Ils mentionnaient clairement la rhétorique russe comme la raison pour laquelle ils ne voulaient plus être appelés russophones afin de neutraliser cette rhétorique. Le prochain changement majeur est survenu avec l'invasion actuelle. De nombreuses personnes bilingues ont cessé d'utiliser le russe dans un certain nombre de situations.  

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Qu'est-ce qui déclenche exactement la montée du sentiment pro-ukrainien et l'augmentation du nombre de locuteurs ? 

Il y a au moins deux facteurs. D'abord, l'émotion pure. La Russie joue la carte de la langue et les Ukrainiens ont tendance à l'associer à l'agression et à ne plus l'utiliser. La deuxième raison est plus pratique. Pour commencer à parler ukrainien, il faut avoir des Ukrainiens dans son entourage, pas seulement ses voisins, mais aussi sa famille, ses collègues de travail, etc. Avant, c'était difficile. Il y a dix ans, les livres et tout le reste étaient importés de Russie. Et les Ukrainiens acceptaient de consommer du contenu russophone. Maintenant, une majorité refuse de le faire. Il en va de même pour la presse. La presse sérieuse était à 95% en russe, l'équivalent ukrainien n'existait pas avant 2014. Maintenant, ces médias existent. La culture ukrainienne s'est révélée, avec des auteurs ukrainiens et tout le reste.  Elle a été aidée par des décisions politiques restreignant les importations de contenus russes. 

Quelle est la force du sentiment pro-ukrainien en Ukraine actuellement ? Et du sentiment pro-russe ? 

Question délicate, car il est difficile de définir le sentiment pro-russe. Mais je dirais que plus de 90% de la population pense que l'Ukraine va gagner la guerre. Si on regarde les sondages, seulement 2% de la population voit l'Etat russe de manière positive. C'était 50% avant février, et 85% en 2013. En même temps, cela ne signifie pas que seulement 2% de la population s'identifie comme russophone ou ethniquement russe (même si je ne crois pas qu'une telle chose existe). La russophonie n'a jamais été synonyme de soutien à la Russie. Le président Zelensky n'a commencé à parler ukrainien qu'après son élection. De même pour ses ministres. Mais avant que les Russes n'aient militarisé la question, ce n'était pas important.

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