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Comment la gauche a subitement découvert les vertus de la vidéosurveillance
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Nul n’y a prêté attention mais une petite révolution vient de se produire : la gauche radicale s’est brutalement convertie à la vidéo-surveillance.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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 Cette conclusion peut paraître surprenante mais c’est pourtant ce qui ressort de la contestation contre le fameux article 24 de la future loi sur la « Sécurité globale ». Cet article, on le sait, prévoit de sanctionner la diffusion malveillante d’images de policiers. Il fallait donc s’attendre à ce qu’il suscite une vive critique de la part de certains milieux de gauche, dont l’amour pour la police reste erratique. Pour ces gens, il est hors de question de restreindre la diffusion d’images des policiers. 

Le hasard a voulu qu’une semaine avant la « Marche des libertés », organisée ce samedi, se produise l’affaire Michel Zecler, du nom de ce producteur de rap interpellé brutalement par la police après avoir refusé de se soumettre à un contrôle. Les images de cette interpellation tombent à pic car elles sont beaucoup plus parlantes, en termes de violence, que le modeste croche-pied donné par un policier lors de l’évacuation des migrants sur la place de la République. L’affaire Zecler est d’un autre calibre. Ce n’est donc pas étonnant si elle a été brandie par les manifestants de samedi, notamment sur cette pancarte qui résumait le sentiment général : « les images ont sauvé Michel »

L’affaire Zecler est du pain béni pour les contestataires. Elle prouve que les opposants à l’article 24 ont raison : les images sont nécessaires. Sans les images, disent-ils, pas de sécurité possible car, c’est bien connu, la police tue. Les images protègent, elles sauvent des innocents. Conclusion : tout le monde devrait donc pouvoir filmer tout le monde, partout, et dans n’importe quelle condition. 

Le seul hic de cette belle histoire est que les images en question n’ont pas été captées par un observateur anonyme ou par un courageux citoyen : elles ont été prises par une vulgaire caméra de vidéo-surveillance, disposée dans le local du producteur. Personne ne s’est rendu compte de cette petite incohérence. Or, ce n’est pas sans incidence. Car jusque-là, faut-il le rappeler, la vidéosurveillance faisait l’objet d’une profonde détestation de la part de la gauche, pour qui elle n’est qu’un instrument sécuritaire destiné à contrôler les citoyens. 

La vidéosurveillance a donc été régulièrement vilipendée, même si cela n’a pas empêché certains maires de gauche de l’installer discrètement sur leur commune. On ne compte plus le nombre d’articles ou de rapports qui se sont escrimés à dire tout le mal qu’ils en pensaient. Les politiques n’ont pas été en reste, le dernier en date étant sans doute le maire de Grenoble, Éric Piolle (EELV), qui s’est enorgueilli de supprimer les caméras dès son élection, quitte à oublier que ce sont justement des caméras installées dans le tramway qui ont permis d’identifier les auteurs d’un crime commis quelques années auparavant dans la capitale du Dauphiné

Mais pour les opposants, ce genre de mérite n’a aucun intérêt. Une armée de sociologues est venue en faire la démonstration, affirmant d’une même voix que la vidéosurveillance est aussi coûteuse qu’inutile, comme le dit tel expert ou tel autre. L’inévitable Laurent Mucchielli a même écrit un livre sur le sujet en 2018 : Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance. Ce livre a été largement salué, par exemple par un blogueur hébergé par Le Monde qui enrage de constater que les décideurs refusent obstinément de prendre en considération les vérités établies par les grands sociologues. Tout à sa rage, il s’en prend au « techno-solutionnisme » et au « terrorisme feutré de la technologie » qu’il voit se répandre dans la société

Les seuls à ne pas avoir condamné la vidéosurveillance, ce sont finalement les délinquants. Ce sont eux qui lui ont accordé un certain crédit, sans doute parce qu’ils n’ont pas lu les écrits des sociologues. Ce manque de curiosité est regrettable parce qu’il leur aurait évité de gaspiller leur énergie à vouloir détruire les caméras, comme récemment lorsqu’ils n’ont pas hésité à utiliser des engins de chantier, que ce soit à Montbéliard ou à Nantes. On peut aussi rappeler que c’est parce que des policiers ont eu la mauvaise idée de vouloir protéger des caméras de surveillance que ceux-ci ont été brûlés vifs dans leur véhicule à Viry-Châtillon en octobre 2016. Eux aussi, manifestement, n’avaient pas lu les dernières avancées de la sociologie et ont été séduits par le mirage du techno-solutionnisme. 

Mais oublions tout ceci. Les temps changent. L’affaire Michel Zecler est passée par là et ouvre de nouvelles perspectives. La vidéosurveillance est en passe d’être réhabilitée puisqu’il est désormais établi, grâce à l’affaire Michel, qu’elle participe à la recherche de la vérité. On pourrait presque s’attendre, lorsqu’un crime crapuleux se produira, à voir nos manifestants de samedi retourner dans la rue pour réclamer davantage de caméras. Mais ne nous emballons pas. Si l’extrême-gauche a beaucoup de défauts, elle s’y connaît question rhétorique. Gageons donc qu’elle va très vite trouver un bon argument pour expliquer que, si le fait de filmer des policiers est un acte salutaire pour la démocratie, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de filmer des délinquants en train de commettre un crime.

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