Comment la faiblesse initiale du ministère de la Santé a fragilisé l'efficacité de la lutte contre la pandémie de Covid-19 <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Olivier Véran lors d'une conférence de presse sur la crise sanitaire.
Olivier Véran lors d'une conférence de presse sur la crise sanitaire.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Bonnes feuilles

Marc Payet publie « Le Ministère des bras cassés » aux éditions Albin Michel. Face à la crise du Covid, l’organisation du ministère de la Santé s’est révélée inefficace. Les ordres et les contre-ordres, les fausses prévisions, les ratés en tout genre étaient nombreux. Ce livre remonte dans le temps pour nous permettre de mieux comprendre les raisons du désastre. Extrait.

Marc Payet

Marc Payet

Marc Payet est journaliste. Il a publié "Le Ministère des bras cassés" chez Albin Michel en 2022.

Voir la bio »

La crise a laissé des cicatrices au sein du gouvernement. Plusieurs ministères, et non des moindres, sont critiques sur la façon dont le ministère de la Santé a géré la crise. À  commencer par Bercy. La « forteresse » n’a pas apprécié ses imprécisions et sa lenteur. La ministre déléguée à l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, qui a été en première ligne depuis le début aux côtés du ministre de  l’Économie Bruno Le Maire, notamment pour les achats de masques et l’acquisition des vaccins, prend bien soin toutefois d’épargner son collègue de la Santé  : « Olivier a eu beaucoup de courage pour tenir au cours de cette période. Nous avons tous été solidaires au gouvernement car nous étions dans le même bateau . » Mais la ministre de l’Industrie déplore la lourdeur d’une partie de l’administration  sanitaire  : « Il y a dans ce ministère de la Santé des gens qui se sont tout de suite adaptés, voire qui se sont révélés. Mais d’autres en revanche avaient un goût immodéré pour les procédures juridiques, et mettaient un temps fou à réagir et de façon peu opérationnelle », tacle-t-elle. Une critique qui revient, de multiples sources.

À  Bercy, les décideurs ont failli souvent tomber de leur chaise. L’administration Santé publique France incarne à leurs yeux tout ce qu’il ne faut pas faire. Alors qu’il fallait aller au plus vite pour fabriquer les masques, cet organisme a encore voulu « faire valider cette étape par son conseil d’administration ». Et cette même agence a provoqué la colère au sommet de l’État en n’étant pas capable de fournir d’état précis de son fameux stock, l’évaluant une semaine à 800 millions d’unités, la suivante à 200 millions, la troisième à 500 millions… « C’était assez dément », lâche une source à Bercy. C’est à ce moment que le ministère de la Santé a été affublée du surnom de « bras cassés »…

La guéguerre a duré. Un autre exemple a concerné la mise au point de respirateurs pour les services hospitaliers de réanimation, qui en manquaient cruellement au plus fort de la crise. Pensez-vous que l’administration de la santé aurait applaudi des deux mains l’exploit des chaînes de fabrication des usines françaises qui les sauvaient ? Pas du tout. La ministre Agnès Pannier-Runacher n’en est pas revenue, devant tant d’absurdités : « Quand on a réussi à produire 10 000 respirateurs, fabriqués en urgence en France, en mettant en place un protocole nouveau d’utilisation, nous avons eu le soutien de plusieurs réanimateurs médicaux en France et à l’étranger qui ont travaillé sur le sujet. Nous avons même eu un article dans la littérature scientifique, qui a évalué ces respirateurs médicaux et a conclu que c’est très bien pour faire face au Covid. Et pourtant vous avez une partie des professionnels de santé qui a résisté, et qui a dit que ce n’est pas une qualité suffisante pour eux. C’était aberrant. » La ministre de l’Industrie, passée à un moment de sa carrière par les hôpitaux de Paris (AP-HP) au poste de dircab de la DG de l’époque, Rose-Marie Van Lerberghe, en 2005, connaît bien le système hospitalier, ses forces et ses faiblesses, mais aussi son mode de fonctionnement baroque. À Bercy, de nombreux hauts fonctionnaires estiment que le ministère de la Santé est beaucoup trop éclaté en de multiples structures, qu’il n’a pas de chaîne de commandement clair. Ils déplorent la multiplicité de ces autorités administratives indépendantes, qui pullulent, mais qui créent une confusion et une inefficacité dans la prise de décision. Certains, chez le grand argentier, plaident pour une reconstruction, en s’appuyant sur le modèle, plus vertical, de Bercy. C’est aussi pour cela que la riposte au Covid a été aussi lente en France, avant de s’améliorer au fil des mois. « À  un moment, on a dû donner des coups de boutoir, car l’administration traînait trop des pieds », ajoute-t-elle.

Ces critiques sont également formulées par le ministère de l’Intérieur. Dans l’entourage de Gérald Darmanin, on constate que c’est surtout la répartition des rôles entre les préfets – qui dépendent de l’Intérieur – et les directeurs des agences régionales de santé –  pilotées par le ministère de la Santé  – qui a posé problème. « Quand nous sommes arrivés à l’Intérieur, en juillet  2020, plusieurs cadres de la maison nous ont dit qu’il ne fallait pas faire la même erreur que celle de notre prédécesseur, Christophe Castaner, qui avait beaucoup trop laissé la main à la Santé. Beaucoup de préfets s’en plaignaient, et estimaient que les questions d’ordre public n’étaient pas assez prises en compte, alors que c’étaient les directeurs des agences régionales de santé, dépendant de ce ministère, qui étaient en première ligne. » Le ministère ne fait pas preuve de transparence  : selon nos informations, Olivier Véran a confié à la cheffe de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) le 29 juin 2020 une « mission de retour d’expérience sur les modalités de pilotage et de gestion de l’épidémie du Covid par le ministère de la Santé ». On est au cœur du sujet ! L’IGAS s’est donc vue confier une action secrète : décortiquer « l’organisation du centre de crise sanitaire (…) afin d’en identifier les réussites, les difficultés et les lacunes ». Mais la transparence a ses limites. Interrogé, le service de communication de l’IGAS nous donne un refus poli mais ferme le 8 novembre 2021  : « En réponse à votre mail, à ce stade ce rapport constitue un document préparatoire à une décision administrative. Il ne peut vous être transmis. » Le ministre de la Santé n’est pas plus précis. Sollicité à de nombreuses reprises pour s’exprimer dans le cadre de ce livre, Olivier Véran a botté en touche. Avant que son entourage ne refuse définitivement par sms le 16 juin 2021 toute information supplémentaire sur le sujet « par manque de temps » !

Pendant toute une partie de la crise la France n’a pas réussi à faire face. Le rapport Pittet l’explique très bien. L’Hexagone a pris deux fois de suite une vague d’ampleur, ce qui n’est pas le cas de certains pays d’Europe. Au départ, le « choc initial » a touché fortement à partir du mois de mars 2020 le Royaume-Uni, l’Italie, la France, la Belgique, davantage que l’Allemagne. En revanche, la deuxième vague a été assez uniforme en Europe, dans sa répartition et son intensité. Cela explique en partie les mauvais résultats de la France qui, en avril 2021, dépasse le cap symbolique des 100 000 morts du Covid. Avec ce chiffre terrible, la France fait partie du troisième et dernier groupe, dit des pays « très affectés », qui compte 33 membres (sur 179 pays mesurés en tout dans le monde). Autant de drames et de souffrances, mais aussi de combats incroyables menés par les soignants pour les éviter, dépeints avec brio par Florence Méréo et Elsa Mari, reporters en charge du secteur santé au Parisien, dans un podcast qui raconte le premier anniversaire de cette crise hors normes.

Dans d’autres régions du monde, notamment en Asie, des pays ont eu des résultats bien meilleurs que nous en testant beaucoup plus de personnes, et en les obligeant à s’isoler chez elles si elles étaient positives.

Car c’est bien cette faiblesse initiale du ministère de la Santé français qui explique son démarrage calamiteux. La mission du professeur Pittet l’écrit noir sur blanc, et dénonce « la dispersion des équipes de recherche, l’insuffisance du pilotage de la gestion des stocks stratégiques de masques et l’organisation de la biologie ». Une circonstance atténuante, toutefois, et elle est de taille, explique en partie la paupérisation de la défense sanitaire française  : « La priorité en matière de gestion de crise semble avoir été donnée au risque terroriste, qui s’est dramatiquement concrétisé lors des attentats de 2015 et 2016. » Bien sûr qu’il fallait préparer la France au risque d’attentats… mais il ne fallait pas désarmer la santé publique.

Le ministère de la Santé sort donc exsangue de la crise, mais avec la satisfaction de l’avoir surmontée. Les équipes sont épuisées. C’est la conséquence de dizaines d’années de disette en France en matière de santé publique, qui les ont appauvries. Au contraire, une succession de réformes absurdes a créé des usines à gaz administratives dont les compétences des « experts » s’entrechoquent : Haute Autorité de santé, Santé publique France, Haut Conseil à la santé publique, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, toutes reliées d’une façon ou d’une autre à la Direction générale de la santé. Un « mille-feuille  ingérable », dit-on dans les allées du pouvoir. « Ce système est à bout de souffle. On a de bons médecins, pour le soin, mais une santé publique médiocre. Actuellement on n’est toujours pas capable de connaître précisément comment évolue l’épidémie, les systèmes d’information sont très peu précis. Il faut nous renforcer en embauchant des épidémiologistes, des statisticiens, des logisticiens. Notre modèle est trop centré sur l’hôpital. Il faut complètement le transformer », estime l’économiste de la santé Jean de Kervasdoué. Charles Hufnagel, conseiller communication d’Édouard Philippe, a aussi une lecture critique du « mille-feuille » de la santé : « L’Assurance maladie, cela tourne bien, elle s’est bien réformée. La DGS c’est plus flou. Sur Santé publique France, il y a beaucoup d’améliorations à apporter », assure-t-il.

Le ministre Olivier Véran est même prié de trouver des solutions, car les critiques affleurent après certains ratés dans la gestion de la crise : « Olivier est un énorme bosseur. C’est fluide et direct avec le président. Mais il aurait pu simplifier l’organigramme de la Santé. Ce n’est pas une situation facile pour lui », nous confie-t-on au sein de l’exécutif. Les épreuves laissent des traces : « On a eu des ratés à la rentrée 2020. Sur le tester-évaluer-tracer ou sur l’anticipation du vaccin, le ministère était en retard. Ce ministère doit bouger », ne se prive-t-on pas d’ajouter.

La bonne solution commencerait par simplifier ce qui peut l’être. C’est un vrai casse-tête pour les médecins de terrain. Le docteur Philippe Houdart, médecin généraliste à Paris, s’est engagé dans la campagne de vaccination des médecins libéraux, menée avec les équipes de la Ville de Paris et de l’Assurance maladie. Ce médecin, qui fut aussi journaliste au Point et à Sciences et Avenir, est très informé. Pourtant, même lui n’arrive pas à comprendre la cartographie extrêmement complexe des différents organismes qui composent cette administration sanitaire. « Entre ce que fait précisément la Haute Autorité de santé, l’Agence nationale de sécurité du médicament, ou l’agence régionale de santé, j’avoue que je m’y perds un peu, il faut une boussole », nous explique-t-il. « L’administration de la santé française est tentaculaire, kafkaïenne. Impossible de s’y retrouver. Son inefficacité a joué un grand rôle dans l’échec du contrôle de l’épidémie », accuse le très libéral docteur Jean-Paul Hamon, président d’honneur de la Fédération des médecins de France.

Extrait du livre de Marc Payet, « Le Ministère des bras cassés », publié aux éditions Albin Michel

Lien vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !