Comment expliquer l’explosion du nombre de jeunes filles questionnant leur identité de genre ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des militants agitent des drapeaux arc-en-ciel à l’occasion du défilé annuel de la fierté LGBT dans les rues de Londres. 2 juillet 2022
Des militants agitent des drapeaux arc-en-ciel à l’occasion du défilé annuel de la fierté LGBT dans les rues de Londres. 2 juillet 2022
©Niklas Halle’n /AFP

Explosion

Les adolescents - et surtout les jeunes filles - se questionnent de plus en plus sur leur identité de genre. Une équipe de chercheurs du NHS a tenté de comprendre pourquoi

Sylvie Zucca

Sylvie Zucca

Sylvie Zucca est psychiatre. Elle a beaucoup travaillé dans le champ des marges, auprès de Sans Domiciles Fixes et de migrants. Elle exerce en consultation libérale et hospitalière auprès d'adolescentes anorexiques

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Atlantico : Une équipe de chercheurs du NHS a enquêté sur les raisons de l’augmentation considérable du nombre d’adolescents biologiques qui demandent à être orientés dans des cliniques spécialisées dans les questions de genre. Un peu moins de 250 personnes ont été orientés vers le Gender Identify Service il y a 10 ans contre 5000 l'année dernière, dont les 2/3 sont des jeunes filles. Comment peut-on expliquer cette augmentation soudaine ?

Sylvie Zucca : Cette augmentation exponentielle existe dans tous les pays occidentalisés. En France, elle est devenue particulièrement visible depuis quelques années, et encore plus dans l’après confinement. Auparavant, la population transgenre était ici majoritairement constituée d’ hommes adultes voulant devenir femmes. Aujourd’hui, nous assistons au contraire à une très forte demande de changement de sexes de femmes voulant devenir hommes, notamment des adolescentes et de jeunes majeur(e)s. Personne ne connaît «la cause» de ce processus je pense, mais on peut avancer un certain  nombre d’hypothèses. L’adolescence est un passage délicat, et chez les filles, elle se manifeste souvent par une préoccupation physique en lien avec un passage pubertaire qui peut être  douloureux(ce que l’on appelait avant «l’âge ingrat»). Cela a toujours existé, mais dans un monde d’images terriblement individualisé, c’est plus mal vécu, les miroirs et les écrans ont envahi nos univers. Si en plus, se greffe sur cela une histoire familiale et ou individuelle très complexe, voire traumatique, ou des symptômes(assez fréquents) d’ anorexie mentale, de dépression, d’autisme, il existe alors une propension via les réseaux sociaux et les contacts  à s’auto diagnostiquer très rapidement »tda», « tsa », » hpi »,«trans» et chercher une solution:  il faut au plus vite un corps sans plus de formes féminines, sans seins ni hanches, et être perçu comme un homme.

Il y a sans doute eu aussi chez certaines une banalisation de l’exposition au pornographique en période prépubère (chez les garçons et les filles) avec un rejet du sexuel, et une grande complexité  d’identification face à de multiples modèles féminins, beaucoup rejetés, hypersexualisés, d’autres anxieusement appréhendés à l’arrivée de la puberté. Dans nos cabinets de psychiatres, psychologues et psychanalystes arrivent donc de plus en plus de jeunes, en général grandes utilisatrices de réseaux, et ou proches d’une amie « en transition»  au collège ou lycée, et la demande peut arriver sous forme d ‘une demande de « certificat pour la testostérone ». 

A l’Observatoire de la Petite Sirène, nous prônons une prudence et le recours à une une réelle évaluation du mal-être psychique et ou psychiatrique, des soins appropriés, avant un engagement médico chirurgical de transition médicale : les effets secondaires sont en grande parti irréversibles, engagent la vie entière, et la décision peut avoir été prise dans un moment de dégoût, avec beaucoup de souffrance, de son propre corps -et cela est très fréquent chez les filles.Les multiples propositions via des influenceurs très suivis sur des réseaux comme Tiktok laissent trop penser aux jeunes filles que d’un coup de filtre, en numérique et dans la vraie vie, on peut changer de corps, de visage, et de genre, le tout dans une grande confusion entre anatomie, physiologie et apparence genrée, qui correspond en fait  aux caractères sexuels apparents. A ces suggestions de modification d’apparence, un discours sans faille vient faire complément, par exemple«même si je me trompe, en faisant la torso(mastectomie), on pourra toujours me remettre des seins plus tard». Certes. Mais personne pour parler de la sensibilité perdue, ni, qui sait pour certaines, d’une envie ultérieure d’allaiter, bien  abstraite et lointaine quand on a 15 ans, c’est sûr. Internet et les réseaux permettent une sorte de virtualisation du corps qui peut rendre l’identification à la transidentité très rapide, avec un langage pro-actif très  influenceur trans très rôdé: on ne choisit pas son corps, on y a été assigné à la naissance, on peut  donc en changer. 

Les filles sur le net regardant plus tout ce qui touche à l’image du corps y sont  sans doute alors plus vulnérables, mais beaucoup de garçons eux aussi entament cette démarche, il faut le savoir.

La médiatisation des enjeux liés aux questions trans donnent-elles d’autant plus d’ampleur à ces questions ?

Oui bien sûr! L’adolescence est un âge particulièrement sensible à ces questions de médiatisation, via internet: ce sont les plus gros consommateurs de réseaux  sociaux dans la population Il y a toujours eu, probablement depuis que le monde existe, des adultes / enfants  authentiquement trans.  Mais actuellement, on ne peut que se poser la question d’une banalisation-attraction, vers, qui plus est(ce qui est nouveau en France) une médicalisation rapide hormonale que nous tentons d’interroger.Mais immédiatement des cris et des insultes graves s’élèvent déraisonnablement: «Vous êtres transphobes!» Des personnes trans adultes sont elles- mêmes inquiètes de ces diagnostics rapides  chez tant de mineures, elles qui sont le mieux placées pour connaître le prix à payer physiquement et psychiquement, d’une transition médico chirurgicale souhaitée et assumée en toute connaissance de cause.

Pourquoi une majorité de fille est concernée ?

En plus de la prégnance questions d’apparence, des souvenirs de moqueries et ou de harcèlements ou traumas passés, le confinement a exacerbé le rapprochement parents/ enfants à un moment où au contraire il aurait fallu un détachement progressif, pour «tester» l’autonomisation, l’indépendance. La seule aventure alors a pu être pour beaucoup d’ados celle proposée par les écrans: une aventure décorporéisée, beaucoup de garçons ont eu du mal à en sortir, scotchés à leurs écrans eux aussi, les jeux etc. 

Tout cela a amplifié une peur de la sexualité et de l’altérité et ses risques(au bon sens du terme). La promesse d’appartenir à une communauté- ici, trans- peut aussi faire réponse à cette peur,avec des identifications massives (tu es comme moi, tu es trans) et le besoin d’être inclus dans un groupe pour sortir d’une souffrance.

C’est pour cela qu’il faut parler avec ses enfants, bouger, sortir, voyager, retrouver le goût du corps en mouvement et surtout, de temporalités qui sortent les parents et les enfants d’une hyperréactivité numérique omnipotente : nous vivons un monde  trop anxiogène et les très jeunes y sont hypersensibles

Le projet le plus récent du NHS sur la façon de soutenir les adolescents sur l’incongruence de genre met l’accent sur le fait que pour certains enfants il s’agit d’une phase transitoire. Comment prendre en compte cette possibilité ?

Ce qui a été démontré clairement est que les enfants qui se disaient trans et ont été orientés vers un traitement de bloqueurs de puberté ont en très grande majorité poursuivi leur trajet «trans» en prenant des hormones croisées dans la foulée. Chez des enfants se disant trans sans avoir reçu ces traitements, l’abandon de l’autodiagnostic trans et de la demande médicalisée est majoritaire quelques années plus tard. 

D’où nôtre appel, comme c’est le font beaucoup d’autres soignants et citoyens dans beaucoup de pays, à une prudence thérapeutique et diagnostique chez les mineurs.

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