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Comment en finir avec nos égoïstes lamentations ? Freud et Flaubert à la rescousse
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Bonnes feuilles

"C’est vraiment trop injuste !" Qui n’a jamais exprimé la plainte de Calimero ? Qui n’a jamais, aussi, pesté contre les bougons qui passent leur temps à formuler leurs griefs ? Saverio Tomasella, psychanalyste, s’adresse ici aux Calimero qui voudraient devenir moins râleurs, ainsi qu’aux proches de ces individus difficiles à vivre. Nous faisons tous partie, plus ou moins consciemment, de cette cohorte d’éternels mécontents. Alors, comment sortir de la plainte ? Extrait du livre "Le syndrome de Caliméro" de Saverio Tomasella, aux Editions Albin Michel (2/2).

Saverio Tomasella

Saverio Tomasella

Saverio Tomasella est docteur en psychologie clinique et psychanalyste à Nice. Très médiatisé, il a publié de nombreux ouvrages aux éditions Eyrolles, parmi lesquels Le Sentiment d'abandon (2010). Chez Albin Michel, il est l'auteur de La folie cachée, survivre auprès d'une personne invivable, et Le Syndrome de Calimero.

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Réussir là où le paranoïaque échoue

Tout un programme, direz-vous ? À juste titre ! La formulation est saisissante. Elle émane de Sigmund Freud luimême. Dans une lettre devenue célèbre, datant du 6 octobre 1910 et adressée à Sándor Ferenczi, il écrit : « J'ai réussi là où le paranoïaque échoue. » Freud peut paraître péremptoire. Comment peut-il être si sûr de lui ? Le psychanalyste viennois est probablement aveuglé par son vœu d'être plus autonome et de retrouver sa liberté de pensée. La puissance de son désir d'indépendance pourrait alors en venir à occulter pour une part la complexité de la réalité.

Revenons brièvement sur le contexte de cette lettre pour mieux en saisir les implications pour notre propos. Au moment où Freud l'écrit, il s'efforce de prendre ses distances avec Wilhelm Fliess et de se défaire de la considérable influence que ce médecin berlinois a eue sur lui depuis leur rencontre en 1887, à travers une correspondance passionnée, très nourrie et quasi quotidienne, qui a permis à Freud de commencer à conceptualiser la psychanalyse.

De surcroît, Freud essaie de prendre la mesure de l'attraction et de l'affection de nature homosexuelle qui le liaient à Fliess. Cette mise en conscience est d'autant plus importante que Freud considère, à cette époque, l'homosexualité niée ou non reconnue comme une source majeure des troubles paranoïaques, associant une nette mégalomanie à des délires systématiques de rédemption, de persécution ou d'interpré- tation. Ces troubles se caractérisent aussi, plus particulièrement, par la tendance à attribuer à autrui ce qui est occulté en soi, appelée « défense projective » dans un vocabulaire plus technique.

Ainsi, au sein du même paragraphe de cette lettre, Freud affirme ne plus avoir besoin ni de « révéler sa personnalité » ni de s'appuyer sur autrui (« l'investir », écrit-il), et pouvoir alors « élargir son propre moi », idée la plus importante de la phrase. Un peu avant, Ferenczi découvre ou invente le concept fondamental d'introjection, qui consiste précisément à « élargir son propre moi », c'est‑à-dire à accroître sa conscience à partir de ses expériences vécues.

Plus concrètement, concernant la plainte, le fait de ne pas se centrer uniquement sur soi-même, de ne pas attendre trop de l'autre et d'ouvrir son regard à une vision plus large aide à moins se lamenter et à ne pas s'enfermer dans des jérémiades sans fin.

À propos de jérémiades, voici une lettre émouvante et empreinte de sagesse du tout jeune Gustave Flaubert à Ernest Chevalier (le 15 avril 1839) ; il n'a alors que 17 ans.

« Tu me plains, mon cher Ernest, et pourtant suis-je à plaindre, ai-je aucun sujet de maudire Dieu ? Quand je regarde au contraire autour de moi dans le passé, dans le présent, dans ma famille, mes amis, mes affections, à peu de chose près je devrais le bénir. Les circonstances qui m'entourent sont plutôt favorables que nuisibles. Et avec tout cela je ne suis pas content ; nous faisons des jérémiades sans fin, nous nous créons des maux imaginaires (hélas ! ceux-là sont les pires) ; nous nous bâtissons des illusions qui se trouvent emportées ; nous semons nous-mêmes des ronces sur notre route, et puis les jours se passent, les maux réels arrivent, et puis nous mourons sans avoir eu dans notre âme un seul rayon de soleil pur, un seul jour calme, un ciel sans nuages. Non, je suis heureux. Et pourquoi pas ? » 

Extrait du livre "Le syndrome de Caliméro" de Saverio Tomasella, aux Editions Albin Michel

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