Clickbait, infox, post-vérité : petit lexique de la désinformation contemporaine<!-- --> | Atlantico.fr
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Véronique Reille-Soult publie « L'ultime pouvoir La face cachée des réseaux sociaux » aux éditions du Cerf
Véronique Reille-Soult publie « L'ultime pouvoir La face cachée des réseaux sociaux » aux éditions du Cerf
©DENIS CHARLET / AFP

Bonnes feuilles

Véronique Reille-Soult publie « L'ultime pouvoir La face cachée des réseaux sociaux » aux éditions du Cerf. Propos haineux, cyberharcèlement, fausses informations, théories du complot, manipulation des masses... Les réseaux sociaux sont aujourd'hui propices à tous les excès, à toutes les dérives. En une vingtaine d'années, ils se sont multipliés et occupent désormais une place prépondérante dans notre vie quotidienne. Cet ouvrage donne des clés pour comprendre la révolution qui a bouleversé nos existences. Extrait 1/2.

Véronique Reille Soult

Véronique Reille Soult est présidente de Backbone Consulting, experte de l'opinion et de la gestion de crise. Elle a notamment publié "L'ultime pouvoir - La vérité sur l'impact des réseaux sociaux" (2023) aux éditions du Cerf.

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Certes, l’expression de l’opinion en ligne n’est pas représentative, mais elle est significative et influente. Elle l’est à double titre, par son volume et par la présence massive des lurkers, ces consommateurs passifs de contenu évoqués précédemment. Pour ce qui est du volume, nul besoin de rappeler l’influence et le poids des millions de messages exprimés en quelques jours dans le monde entier sur Twitter, Facebook ou Instagram (voir chapitre IV). Les nombreux témoignages de soutien aux Ouïgours ou le mouvement #BlackLivesMatter sont des exemples qui démontrent la puissance de la masse. En revanche, la force de la figure du lurker est plus méconnue, alors qu’elle est réelle : elle réside dans leur nombre, et leur poids repose essentiellement sur le relais qu’ils ont des informations en dehors des plateformes numériques, dans leurs réseaux et dans la vie réelle.

Quand on dit que les réseaux sociaux conduisent à une forme de populisme, le fait est surtout qu’ils font émerger des courants ou des personnalités que les intermédiaires avaient souvent décidé de filtrer. Ces derniers sont des leaders d’opinion, qui ont bien souvent été les alliés des gouvernements d’experts, aujourd’hui remis en question dans leur capacité à diriger le pays. L’opinion a ressenti le besoin de les critiquer, voire de les attaquer, ce que les réseaux lui ont permis de faire. Désormais, chacun peut exprimer son avis, avec plus ou moins de délicatesse et de compétences sur le sujet. Les internautes ne tolèrent plus de se sentir ignorés ou manipulés, et ils le font savoir, plus ou moins judicieusement, sur les diverses plateformes numériques.

Twitter a bien compris l’importance d’attirer et d’influencer les lurkers. Ils ne « partagent » quasiment jamais, « likent » très peu, en un mot, ils sont passifs mais ils suivent, lisent et se forgent leur opinion à travers les réseaux sociaux et Internet. Par essence, ils sont invisibles puisqu’ils n’agissent pas, et qu’aucun outil de massification ou d’écoute ne peut les prendre en compte, ce qui est regrettable quand on connaît leur rôle dans la construction de l’opinion en dehors du web. Or, Twitter indique désormais l’audience d’une publication avec le nombre de « vues » recueilli, ce qui permet de connaître la résonance d’un message, mais pas encore son impact dans l’opinion, même si on imagine bien que, plus l’audience est large, plus elle garantit un fort impact. Cette nouvelle fonctionnalité devrait faire des émules et les plateformes vont sans doute multiplier à l’avenir les outils pour mieux mesurer et comprendre le phénomène des lurkers.

LEXIQUE DE LA DESINFORMATION

Avant d’aller plus loin, il convient de définir brièvement les différents concepts qui relèvent de la désinformation, devenue aujourd’hui l’un des enjeux de notre société. Ce terme recouvre la création intentionnelle et le partage délibéré d’informations fausses afin de tromper une ou plusieurs personnes, souvent dans le but d’influencer et de manipuler l’opinion. Par exemple, en 2016, lors de la campagne pour l’élection présidentielle américaine, de nombreux sites ainsi que des messages postés sur Facebook et Twitter ont diffusé la nouvelle selon laquelle Hillary Clinton était gravement malade.

La mésinformation

Le terme regroupe les informations fausses, erronées ou périmées diffusées involontairement par manque de vigilance, de rigueur et de connaissance du sujet. Ainsi, de nombreux internautes ont partagé en toute bonne foi l’information selon laquelle l’application StopCovid (version précédente de TousAntiCovid) avait pour seul but de géolocaliser les citoyens et était installée d’office sur leur smartphone.

La manipulation par décontextualisation

Il s’agit d’informations largement déformées, construites à partir de segments de nouvelles réelles mais diffusées dans un autre contexte. Il peut s’agir de nouvelles réécrites, d’images tronquées, de vieilles vidéos remastérisées avec de mauvais sous-titres. Si le créateur initial a parfaitement conscience de sa manipulation, les internautes peuvent relayer ensuite la nouvelle en toute bonne foi en la croyant authentique. Citons comme exemple la diffusion d’une photo de la foule prise lors de l’investiture de Barack Obama en 2009, en prétendant qu’il s’agit de celle de Donald Trump en 2017.

Les fausses informations ou infox

C’est ce que l’on désigne souvent par le terme anglais fake news. C’est une information volontaire‑ ment trompeuse fabriquée par une personne, ou un groupe, sur des faits imaginaires. Elle est inventée de toutes pièces, souvent inspirée par des situations possibles, parfois élaborée à partir de l’agrégation de faits et données qui n’ont pas de rapport entre eux. L’objectif est d’induire le public en erreur, de diffuser une idée, ou encore de nuire à une personne ou à une organisation. Ainsi, Donald Trump a affirmé en novembre 2020 que les élections présidentielles amé‑ ricaines avaient été truquées grâce à de faux votes par correspondance. Les électeurs de Trump sont particulièrement réceptifs aux théories du complot, à 65 % selon l’étude Ifop et le site AMB-USA publiée en avril 2023. Cette théorie a fonctionné puisque 40 % des Américains et 26 % des Français la croient véridique, selon cette même étude. De même, certains ont prétendu que les ondes 5G étaient responsables de la pandémie de Covid-19.

Les théories du complot

On désigne ainsi les thèses, propagées par les courants conspirationnistes, qui affirment qu’un groupe de personnes puissantes et mystérieuses manipulent le monde entier, un pays ou un événement. Les théories du complot, dans leurs documents et vidéos, utilisent souvent une mise en scène et une musique dramatiques, l’accumulation d’arguments souvent invérifiables (ce qu’on nomme un « millefeuille argumentatif »), des coupables désignés de manière explicite ou non, des questionnements récurrents adressés au spectateur pour instiller le doute. En voici deux exemples : l’épidémie de Covid-19 aurait été créée intentionnellement par les gouvernements pour décimer les citoyens les plus pauvres ; le président des États-Unis aurait lui-même organisé les attentats du 11 septembre 2001 afin d’envahir l’Irak et de s’approprier les ressources pétrolières du pays (théorie à laquelle croient 33 % des Français et 42 % des Américains, selon l’étude Ifop 2023).

Les pseudosciences

Il s’agit d’arguments présentés sous des apparences scientifiques ou faussement attribués à la science, mais qui n’en ont pas la démarche, ni la reconnaissance, ou du moins de manière incomplète. L’objectif est de s’attribuer le crédit et la légitimité dont jouissent la science et les scientifiques. Ces pseudosciences s’appuient généralement sur des conclusions hâtives, une confusion entre corrélation et causalité ou encore des manipulations statistiques qui permettent par exemple à un laboratoire pharmaceutique d’annoncer que son nouveau produit est efficace dans 25 % des cas, en omettant de signaler que les placebos obtiennent le même résultat.

Le clickbait (« piège à clics »)

Le terme anglais clickbait (littéralement « appât à clics »), également appelé « putaclic » désigne des titres délibérément trompeurs et accrocheurs concernant des faits inventés ou grossièrement déformés afin d’attirer le lecteur vers des articles dont le contenu ne tient pas la promesse du titre et qui se révèlent par conséquent souvent décevants. L’objectif est d’attirer les internautes et de les amener à cliquer sur un article ou publicité, générant par conséquent des revenus pour les web‑ masters. On trouve ainsi souvent des titres à la fois sensationnels et amusants, du type « Vous ne croirez jamais ce qui est arrivé à cet homme quand… », « Le Top 10 des plus… le 3e est incroyable ! », généralement accompagnés de visuels accrocheurs.

La post-vérité

Selon l’Oxford Dictionary, la post-vérité (post-truth) désigne « une situation dans laquelle les faits objectifs ont moins d’influence sur l’opinion publique que les appels à l’émotion ou à la croyance personnelle ». L’expression qualifie notamment, depuis le milieu des années 2000, une culture politique dans laquelle les dirigeants, à des fins électorales, orientent volontairement le débat vers l’émotion par l’usage intensif d’éléments de langage et en ignorant consciemment des faits. Les politiciens tentent ainsi de justifier un discours ou des actions politiques en ralliant le public à leur cause. La déclaration de Colin Powell (général et secrétaire d’État américain) aux Nations unies en février 2003 en est une parfaite démonstration. Au cours de cette intervention, il a présenté des preuves de la prétendue production d’armes de destruction massive par l’Irak (notamment un flacon rempli de poudre censé démontrer concrètement le danger) afin de justifier des sanctions internationales et une intervention militaire collective aux côtés des États-Unis.

Extrait du livre de Véronique Reille-Soult, «  L'ultime pouvoir La face cachée des réseaux sociaux », publié aux éditions du Cerf

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