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Christiania : 40 ans après, l'utopie hippie a dû composer avec le réel
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Les enfants de l'utopie

Cité autonome unique en son genre, Christiana, « ville libre » auto-proclamée, n'a ni chef, ni hiérarchie. Dans "Christiana ou les enfants de l'utopie", Laurene Champalle revient sur l'histoire de cette utopie hippie. Extrait (2/2).

Laurene Champalle

Laurene Champalle

Journaliste, Laurene Champalle est spécialisée dans les questions de société et le grand reportage. Les utopies et les modes de vie alternatifs font partie de ses sujets de prédilection.

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Née dans l’anarchie, la ville libre se dote aussi d’un règlement intérieur : les voitures sont bannies de l’enclave au profit des vélos, les armes à feu au profit de l’amour, les drogues dures au profit du haschich et du cannabis. Christiania est un bien collectif : la propriété privée et la spéculation immobilière sont interdites. Nul ne peut louer ou vendre le logement qu’il occupe, car nul ne possède ni logement ni terrain : le site, librement accessible à tous, appartient à l’État danois.

Au ministère de la Défense, plus précisément. La sélection des nouveaux arrivants par les habitants de l’enclave fait également partie des principes fondamentaux de Christiania, car la communauté a besoin de gens impliqués. Christiania ne peut fonctionner que si un maximum de personnes joue le jeu, en travaillant au sein de ses collectifs et en participant à ses nombreuses assemblées.

Pur produit du mouvement hippie, Christiania est une société égalitaire sans chef ni hiérarchie. Refusant toute ingérence des autorités dans leurs affaires, les Christianites ont fondé leur propre système politique et social sur le principe de l’autogestion et de la démocratie directe. La vie de la communauté est rythmée par des assemblées quasi quotidiennes tenues aux niveaux des quartiers, Christiania étant divisée en 14 quartiers, et des coopératives. Les assemblées sont les seules instances décisionnelles. L’Assemblée générale, convoquée sur les questions d’intérêt général concernant l’ensemble de la communauté, ou pour les arbitrages de conflits non-résolus aux niveaux inférieurs, est la plus haute autorité au sein de la ville libre. Il n’y a pas de police, ni d’institution de contrainte, ni de vote dans les assemblées de Christiania : après discussion, les décisions sont prises à l’unanimité, quand il semble qu’un consensus a été trouvé.

Près d’un millier de personnes, dont deux cents enfants, vivent aujourd’hui à Christiania. Les Christianites ne paient pas de loyer, mais une cotisation à la Caisse commune, à laquelle il faut ajouter l’eau et l’électricité, la rénovation intérieure et extérieure du logement. Cette cotisation finance, avec la taxe sur les bénéfices des coopératives et des commerces locaux, le « service public » interne de Christiania, assurant le ramassage et le recyclage des ordures, la maintenance des bâtiments, l’entretien du site, le courrier, un jardin d’enfants et une maison des jeunes, un fonds social pour les personnes âgées et les plus modestes, un centre de soins… Ni la Ville, ni l’État ne participent au financement du service public et des infrastructures de Christiania.

Si Christiania s’est construite en alternative à la société, elle n’a pourtant jamais réussi à s’en affranchir. Loin d’être autosuffisante, Christiania dépend largement du monde extérieur : une grande partie des Christianites travaille en dehors de l’enclave. Les autres survivent grâce à l’aide sociale. Les échanges avec l’extérieur sont nombreux, notamment le commerce du haschich et du cannabis : Pusher Street draine chaque jour des centaines de consommateurs.

Après des décennies de social-démocratie et d’un relatif statu quo pour la ville libre, la tolérance à l’égard de Christiania a changé à partir de novembre 2001, à l’arrivée au pouvoir des libéraux-conservateurs, soutenus au Parlement par l’extrême droite. Sous prétexte de rétablir l’ordre dans la zone hors-la-loi, le Premier ministre Anders Fogh Rasmussen, aujourd’hui à la tête de l’OTAN, est parti en croisade contre Christiania, bien déterminé à « normaliser » la ville libre.

« Normaliser », c’est-à-dire liquider le commerce illégal des drogues douces, toléré dans l’enclave du temps des sociaux-démocrates, et raser les constructions sauvages au bord du lac et sur les anciens remparts de la ville, afin de se débarrasser des squatteurs.

Le gouvernement a commencé par démanteler, début 2004, Pusher Street. En vain : le trafic a continué sous le manteau avant de reprendre, à découvert. À l’heure où la pression immobilière fait flamber les loyers de Copenhague, Pusher Street représentait pour l’État le prétexte idéal pour s’attaquer à Christiania et remettre la main sur son précieux terrain de 34 hectares de verdure en plein centre-ville, illégalement occupé depuis 1971. Sans compter que les anciennes casernes taguées de fresques psychédéliques et les cabanes de guingois de la ville libre détonnent dans les quartiers de Christianshavn et de Holmen, fraîchement réhabilités.

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Extraits deChristiana ou les enfants de l'utopie, Éditions Intervalles (septembre 2011)

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