Choose France : ce qu’on oublie toujours de dire en vantant les investissements étrangers réalisés dans l’hexagone<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une session plénière dans le cadre de la 5e édition du sommet des entreprises "Choose France", à Versailles, le 11 juillet 2022
Emmanuel Macron lors d'une session plénière dans le cadre de la 5e édition du sommet des entreprises "Choose France", à Versailles, le 11 juillet 2022
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Chiffres à relativiser

A l’occasion de « Choose France », le sommet sur l’attractivité de la France, l'Élysée a annoncé que quatorze entreprises se sont engagées pour un montant global de 6,7 milliards d’euros. Mais cette annonce repose sur des fondements fragiles qu'il convient de relativiser

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Le gouvernement a annoncé 6,7 milliards d’euros de nouveaux investissements étrangers à l’occasion de Choose France. Et Ernst & Young avait salué l’attractivité de la France dans son rapport 2022. A quel point cela doit-il être relativisé ?

Michel Ruimy : L’attractivité est, en quelque sorte, le thermomètre de la bonne santé économique d’un pays. La cuvée de cette année, en termes d’intentions d’investissement sur notre territoire, montre qu’une quinzaine d’entreprises étrangères prévoient d’investir 6,7 milliards d’euros dans les secteurs industriels, dans la santé ou dans la technologie mais également, à l’approche des Jeux olympiques de 2024, dans les services. Au total, près de 4 000 emplois seraient créés. Ainsi, face au déficit commercial record enregistré par la France en 2021, cette déclaration serait un motif d’espoir dans la mesure où ces investissements pourraient nous permettre de regagner des parts de marché à l’exportation mais aussi dans la fabrication de biens que nous importons aujourd’hui. 

Toutefois, il convient de prendre cette bonne nouvelle avec précaution. En effet, ces investissements ne donnent à voir qu’une partie de l’attractivité du pays. Chaque année, la Banque de France publie le solde des investissements directs entre la France et l’étranger (IDE), qui permet d’apprécier si les firmes étrangères ont davantage investi en France que les entreprises tricolores n’ont investi à l’étranger. 

Par ailleurs, d’autres indicateurs viennent relativiser la bonne attractivité française. Selon la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), en termes de pays d’accueil des flux d’investissements étrangers, la France occupait, en 2020, le 18ème rang mondial alors qu’elle était en 12ème position avant la crise sanitaire. En outre, de 2015 à 2020, les flux d’IDE sortant de France étaient plus importants que les flux entrants. En d’autres termes, les entreprises françaises continuent d’investir massivement à l’étranger.

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Autre particularité. La France attire, en moyenne, des projets créant moins d’emplois que ceux que nos concurrents accueillent et a compté, ces dernières années, plus de projets d’extensions de sites existants que le Royaume-Uni ou l’Allemagne par exemple. Autrement dit, elle a plus de difficultés à attirer des projets « greenfield » (nouveaux).

Enfin, si, en 2020, la France a constaté des sorties nettes de 5,5 Mds d’euros, les IDE ont enregistré, en 2021, des entrées nettes de capitaux de 9,7 Mds d’euros. Ce bon résultat, qui résulte d’un effet de rattrapage, la France ayant subi davantage la pandémie que ses concurrents, sera vraisemblablement revu à la baisse pour 2022 en raison de l’invasion russe en Ukraine, qui provoque une triple crise : alimentaire, énergétique et financière, qui plombe le climat des affaires.

Dans quelle mesure y-a-t-il un hiatus entre les projets annoncés, pris en compte notamment dans les données de E&Y, et les investissements réels ?

L’annonce gouvernementale repose sur des fondations fragiles. Ces chiffres se fondent, en effet, sur le nombre de « projets annoncés » par les investisseurs et non, sur les montants réellement investis, chiffres absents des études du cabinet de conseil et de l’agence française « Business France ».

Et pour cause. La CNUCED, la référence en matière de montants effectivement investis par des acteurs étrangers, montre, depuis des années, qu’aucune corrélation ne peut être établie entre le nombre de projets d’investissement et le montant annuel des sommes réellement investies d’autant que les projets d’investissement sont réalisés sur des temps plus ou moins longs. Dès lors, rien n’indique, dans les faits, que la France soit réellement la première destination des IDE en Europe. Par exemple, en 2020, l’agence onusienne classait la France à la 6ème place en Europe, derrière le Luxembourg, l’Allemagne, l’Irlande, la Suède ou encore le Royaume-Uni. 

Ainsi, la France, à la première place, en termes de volume, pourrait rétrograder, en termes de montants investis.

Quelle part des investissements étrangers réalisés dans l’Hexagone se traduisent par des passages d’entreprises sous pavillon étranger ? Dans quelle mesure cette bonne santé sur le plan de l’investissement étranger se fait-elle au détriment de la souveraineté française ?

Le fait que la France représente une « valeur sûre » pour les investisseurs étrangers doit être appréhendé avec prudence par ce que ces investissements disent du modèle de croissance français - et européen - sous perfusion étrangère. En outre, cette communication autour de ces résultats n’est-elle pas contradictoire, dans le contexte actuel, avec la notion centrale de souveraineté.

Au-delà du fait que la croissance des investissements étrangers masque cette réalité, il faut bien comprendre que les leviers d’action à la portée des européens se réduisent considérablement en raison de la part croissante du capital des entreprises européennes passant sous le contrôle d’investisseurs étrangers. Un rapport de la Commission européenne (2019) concluait qu’entre 2007 et 2016, le montant détenu par des acteurs étrangers avait été multiplié par 4 et d’un peu moins de 40% du capital des sociétés européennes cotées se trouve désormais détenu par des non-résidents européens. La hausse des acquisitions étrangères a été particulièrement importante dans des secteurs stratégiques essentiels à toute politique industrielle moderne (électronique et optique, pharmacie, machines-outils…). Même constat du côté de la « R & D scientifique » où plus de 40% du volume des acquisitions ont été réalisées par des entreprises extra-européennes. En valeur, cette part se monte à plus de 80% ! 

Ainsi, au-delà des chiffres, doit-on réellement célébrer la forte attractivité de la France et de l’Europe alors qu’elle traduit la perte de souveraineté des Européens ? Les emplois nouvellement créés offrent certes un certain réconfort. Mais combien d’emplois supprimés par les délocalisations et les fermetures d’entreprises, ces nouveaux emplois viendront-ils vraiment compenser ? 

Au final, attractivité ou souveraineté, il faut choisir au risque, à l’instar de grands précédents historiques, que l’Europe ne soit condamnée à devenir un gâteau que l’on se partage.

Ce recours à l’investissement étranger et la relative faiblesse des investissements français à l’étranger témoignent-ils d’une situation plus précaire qu’il n’y paraît du système économique français ?

Durant son précédent quinquennat, Emmanuel Macron a régulièrement reçu des patrons étrangers lors des sommets « Choose France » pour vanter les attraits de la France comme site d’implantation, mettant l’accent sur les réformes du marché du travail et la baisse de la fiscalité sur les entreprises, sur les plans France Relance et France 2030 pour réindustrialiser le territoire et favoriser l’innovation mais aussi sur sa situation géographique, centrale au sein du marché unique, sur sa démographie dynamique, sur ses infrastructures ou encore sur son niveau de formation. 

Or, la France doit affronter deux crises de nature différente, mais dont les conséquences sont similaires. D’une part, la crise sanitaire a mis en lumière certaines faiblesses de l’économie européenne et de l’Hexagone. Comment continuer à produire, à s’équiper, à se soigner lorsque les chaînes d’approvisionnement sont partiellement ou totalement rompues ? Des réponses ont dû être apportées en urgence à cette question jusqu’ici théorique. Force est de constater que les plans de relance ont produit leurs effets. D’autre part, aux ruptures technologiques, environnementales, sociétales sont venues s’ajouter des tensions géopolitiques inédites depuis la guerre froide avec l’attaque russe contre l’Ukraine. Désormais, répondre à de simples enjeux de compétitivité n’est plus suffisant. Le développement durable et la souveraineté, notamment technologique et énergétique, sont des priorités toutes aussi importantes pour la France et ses partenaires européens face aux grands blocs américain et chinois.

Dès lors, pour garder son pouvoir d’attraction, rester compétitive et ne pas se laisser dicter son futur par d’autres, la France doit poursuivre ses efforts c’est-à-dire moderniser son industrie, stimuler l’innovation et la R & D, favoriser la montée en gamme des compétences… 

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