Chirac, Hollande, une histoire corrézienne : quand les deux candidats se rencontrent pour la première fois<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande et Jacques Chirac en Corrèze
François Hollande et Jacques Chirac en Corrèze
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Bonnes feuilles

Chirac, Hollande : deux ambitions, un même terroir. Deux Présidents élus au long cours d’un département du Massif-Central rural et pauvre, voisin des anciens fiefs de Pompidou et de Giscard, où poussent les ministres, autant que les cèpes. Avec des anecdotes savoureuses et certaines confidences inédites, Denis Tillinac restitue le parcours corrézien de ces deux présidents qu’il a bien connus et observés en romancier. Extrait de "Chirac-Hollande : une histoire corrézienne", publié chez Plon (2/2).

Denis  Tillinac

Denis Tillinac

Denis Tillinac est écrivain, éditeur  et journaliste.

Il a dirigé la maison d'édition La Table Ronde de 1992 à 2007. Il est membre de l'Institut Thomas-More. Il fait partie, aux côtés de Claude Michelet, Michel Peyramaure et tant d'autres, de ce qu'il est convenu d'appeler l'École de Brive. Il a publié en 2011 Dictionnaire amoureux du catholicisme.

 

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L’alerte a été chaude. En fait, Chirac n’a jamais obtenu plus de 55 % dans sa circonscription et Mitterrand risque de s’attarder à l’Elysée. D’où les vagues rumeurs d’une évasion dans la circonscription voisine du Cantal, celle de Mauriac et Saint-Flour où se trouve Montboudif, le lieu de naissance de Pompidou. La gauche n’a jamais fait recette aux environs de la chaîne des Puys. Si la Corrèze bouffe du curé, le Cantal vomit le « rouge », et presque autant le rose. Rumeurs sans suite. Quant à Hollande, on suppose au RPR qu’il ira assouvir ses ambitions sur des terres plus avenantes.

On se trompe. Ce sans-grade des débuts du mitterrandisme a de la suite dans les idées et les amis de Manoux n’ont pas envie de le perdre. Hollande se présente en 1982 aux cantonales de Bort-les-Orgues et se fait rétamer par Jean-Pierre Dupont, futur grand-duc de la chiraquie. Cependant, il est majoritaire en voix dans la ville, cequi laisse envisager une victoire aux municipales de l’année suivante. Hollande obtiendrait ainsi son premier mandat dans la cité des tanneries. Il est tenté de jouer cette carte-là.

Les socialistes ussellois ont su le convaincre de ne pas les abandonner et de se présenter dans leur ville. Il prend la tête d’une liste dont Manoux sera le numéro deux et sur laquelle figure Martine Leclerc. On l’aurait étonnée en prédisant qu’un jour elle serait maire d’Ussel, le temps d’un mandat. Un jour encore lointain. La liste de Hollande se fait battre sans appel par celle de Belcour. Au lieu de décamper discrètement comme on pourrait le prévoir, il va tenir pendant six ans son rôle de chef de l’opposition aux côtés de cinq autres élus, redescendant de Paris en train pour assister à chaque conseil. Avec quoi rime cette obstination ? Hollande croit-il pouvoir mettre fin à l’emprise de Chirac sur le pays ussellois ? L’hypothèse semble d’autant plus irréaliste que Chirac est réélu à Paris au même scrutin de 1983 en réalisant le « grand chelem », vingt arrondissements sur vingt.

Hollande est jeune encore, mais il a perdu sa candeur en grenouillant à Paris dans les antichambres du pouvoir et il n’est pas pusillanime. Le soir de sa défaite aux législatives, il était allé féliciter Chirac aux « Gravades », contre l’avis de ses amis et de sa « compagne » Ségolène, une énarque de sa promotion plutôt timide, d’autres diraient coincée. Elle n’avait pas voulu le suivre. Les journalistes parisiens étaient réunis chez « Momon » Fraysse. Hollande avait eu le culot d’aller à leur rencontre. Il aimait déjà frayer avec les médias. Il semblerait que Fraysse l’ait viré, arguant qu’il était maître chez lui. Sous-entendu chez Chirac.

Durant cette campagne contre Chirac, Hollande était allé lui porter la contradiction à Neuvic, escorté de Calmon, de Manoux et de quelques militants. Ils ne manquaient pas d’un certain courage, car les gros bras du RPR de Noël Maurin commis au service d’ordre n’étaient pas des enfants de chœur, et les communistes eux-mêmes, qui avaient de quoi perturber n’importe quelle réunion publique, se hasardaient rarement à les défier. L’échange était resté courtois. Un peu désarçonné, Chirac avait tout de même haussé le ton, à la manière d’un maître d’école remballant un potache insolent. Hollande ne s’était pas démonté, rappelant ironiquement à son adversaire qu’il était « moins connu que le labrador de Mitterrand».

— Qui êtes-vous, Monsieur ?

— Je suis François Hollande, votre adversaire socialiste, Monsieur le Premier ministre.

— Que faites-vous dans la vie ?

— Je suis auditeur à la Cour des comptes, Monsieur le Premier ministre.

— Ah ? Moi aussi...

Le fait est que les deux hommes ont en commun d’avoir été diplômés de Sciences-Po, réussi le concours d’entrée à l’ENA et d’en être sortis à un assez bon rang pour intégrer la Cour des comptes. Promotion Vauban pour Chirac, promotion Voltaire pour Hollande. Ils ont l’un et l’autre rencontré leur future conjointe sur les bancs de Sciences-Po. Bernadette Chirac et Ségolène Royal furent des étudiantes timides et studieuses avant de révéler, chacune dans son registre, une force de caractère et une pugnacité peu communes. Elles ont pareillement affronté le suffrage universel, certes pas au même niveau, mais le moment venu Bernadette Chirac interviendra sur la scène politique nationale, et en 2002 sa contribution à la campagne présidentielle de son mari sera importante, sinon décisive.

Si Hollande s’obstine à rester en Corrèze, c’est qu’il en escompte un gain politique à terme. A Ussel ou ailleurs. Tôt ou tard, estime-t-il, le PS supplantera un PCF que Mitterrand, de son propre aveu, a compromis avec quatre ministres dans l’exercice du pouvoir, pour mieux lui faire la peau. En prenant la tête du PS corrézien, Hollande s’ouvrira des perspectives. Il sera le seul opposant d’envergure à un ténor qui capte la lumière médiatique ; sa propre notoriété se renforcera d’autant. Le calcul paraît fumeux ; il se révèlera fructueux.

Extrait de "Chirac-Hollande : une histoire corrézienne", de Denis Tillinac, publié chez Plon. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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