Chère Virginie Despentes, sachez que n’est pas Dostoïevski ou Genet qui veut<!-- --> | Atlantico.fr
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L'auteure française Virginie Despentes s'adresse à la presse à son arrivée au restaurant Drouant à Paris avant l'annonce du lauréat du prix littéraire français, le prix Goncourt, le 4 novembre 2019.
L'auteure française Virginie Despentes s'adresse à la presse à son arrivée au restaurant Drouant à Paris avant l'annonce du lauréat du prix littéraire français, le prix Goncourt, le 4 novembre 2019.
©DOMINIQUE FAGET / AFP

Le coucou fait ses œufs dans le nid des autres

Son « Cher Connard » est à pleurer

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

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« Il est bon de suivre sa pente pourvu que ce soit en montant. » fait dire Gide à l’un de ses personnages dans « Les faux-monnayeurs. » Pour ma part, je me suis plongée ; que dis-je : je me suis abîmée dans le nouveau roman commis par Virginie Despentes : « Cher Connard ». Tout schuss, alors, j’ai dévalé (au lieu de la remonter) ma pente, bien comme il faut. Vous me direz : « pourquoi s’infliger pareille purge. Vous saviez où vous mettiez les fesses : Télérama encensait « l’autrice » et, dans Marianne, Éric Naullau habillait « l’écrivaine » pour l’hiver. Vous ne pouviez pas dire qu’on ne vous avait pas prévenue. Tant pis pour vous si vous avez été assez connasse pour acheter cet objet qui se prétend littéraire. » 

Oui, mais voilà, injustement prévenue, par snobisme certainement, je n’ai jamais lu du « Despentes ». Il me paraît donc plus honnête de dauber en connaissance de cause. De plus une chroniqueuse que j’estime a dit du bien du roman de Virginie. Je me suis donc lancée à reculons dans l’aventure. 

Ne pouvant me résoudre à entrer dans une librairie pour acquérir la chose, c’est mon fils que j’ai honteusement missionné. Il en est revenu enchanté, accueilli en héros par les libraires : « Vous lisez ça, jeune homme ? ÇA vous parle donc comme à nous qui avons l’âge d’être vos mères. Vous allez vous régaler : elle a une écriture géniale et parle à toutes les générations. Belle lecture. » Quand, à son retour, il m’a présenté le corps du délit et m’a rapporté goguenard les propos des libraires, définitivement, j’ai pensé : « Qu’allais-je faire dans cette galère. »

Pour en dire tout le bien que j’en pense, je partirai de l’interview que « l’auteure » rebelle donne dans Télérama : « Les féminismes, l’addiction, le vieillissement…Avec toujours autant de mordant, l’écrivaine explore les sujets qui la portent. Prête, une nouvelle fois à renverser la table. » Fichtre ! « Cher Connard » est l’évènement de la rentrée littéraire 2022. » Ben mes amis, je la sens bien, cette rentrée littéraire ! « Une fiction profondément méditative dans laquelle l’écrivaine met en scène le dialogue écrit par deux personnages : Rebecca, une flamboyante comédienne d’une cinquantaine d’année et son cadet, Oscar un écrivain jadis prometteur (…) Dans leurs échanges vient s’immiscer (…) Zoé, une jeune femme naguère harcelée par Oscar, désormais une militante féministe hyperactive sur internet et les réseaux sociaux. » Tout ce petit monde échange les pires horreurs pour se rapprocher et se sauver la vie, à la fin. Merveilleux. 

C’est Virginie elle-même qui en parle le mieux : « Il ne se passe pas grand-chose dans ce roman. » Ses thuriféraires de Télérama ajoutent : « Mais il s’y dit énormément sur notre monde contemporain, ses violences, ses injustices et, face à elles, le désarroi de l’individu. » Ben mon neveu !

Je vous donne un aperçu. Les hommes c’est des porcs : « Nous entraver est la tâche des soldats dupatriarcat. Ils craignent, si on nous laisse jouir tranquilles pour l’ordre du monde tel qu’ils l’ont construit. » 

Vieillir c’est moche : la femme se retrouve sur le carreau, surtout si elle a le malheur d’avoir été une actrice connue, autrefois jeune et belle. « Pendantdes années j’étais ce corps longiligne, cette attitude désinvolte, royale, indifférente. Et progressivement mon visage devenait sec, mon regard vide, mon teintlivide. ». Les mâles blanc patriarcaux la jettent alors comme un kleenex dans lequel ils se sont copieusement mouchés. Je serai curieuse, au passage, de savoir ce qu’en pense Fanny Ardant, 73 ans très sollicitée, elle : « Les jeunesAmants » de Carine Tardieu en février 2022 et en août 2022 « Les volets verts » de Jean Becker avec Gérard Depardieu. Pour la vieille forcément moche qui ne tourne plus, tu repasseras, Virginie.

La drogue, c’est mal, mais c’est tellement bon : « Avant même de me sentir déstabilisé, en fait, je suis déjà en train de chercher ce que je vais prendre comme défonce, qui va rendre la journée plus intéressante. C’est mon remède contre l’ennui, contre la gêne, contre la honte, contre la tristesse, c’estma façon de fêter les évènements heureux, de me détendre, de chercher l’inspiration, de chasser la nostalgie. » La phrase ici relevée est l’une des plus travaillée du roman, qu’on se le dise !



« Cher connard », c’est donc 344 pages de bouillie consensuelle, soit une grosse soupe dans laquelle les mots épars flottent comme des croûtons spongieux. Virginie est nature : elle écrit comme elle cause et n’a pas peur des quelques mots qu’elle laisse vivre leur meilleure vie. Ils s’accouplent entre eux comme ça leur chante, en phrases étiques. « Bite », « chatte », « sucer », « ma main dans ta gueule », « Nous devons apprendre à nos filles à être fières de leurs fellations », « garçon, garde tes excuses, garde ton monologue », « un bon mec est un mec que mes frangins n’oseront pas faire chier. », « Certaines me disent qu’elles sont devenues féministes en lisant mes publications, et ça me fait bizarre, bordel. »

Ce que dit Virginie à propos de la défonce, c’est exactement ce que j’ai éprouvé, violemment, en lisant son roman : « La défonce est un sport extrême (tout comme lire « Cher connard »). Il faut avoir envie de dynamiter toutes tes identités. Degenre, de classe, de religion, de race. Et toi, ce que tu désires au contraire, c’est conserver le petit peu de respectabilité que tu avais réussi à amasser. »

On m’avait dittu verras, il y a des accents de Zola, Dostoïevski, voire Genet. Je les cherche toujours. Effectivement, eux aussi, ont dit toute la laideur du monde mais, alchimistes de talent, ils ont changé la boue en or avec leur plume. Genet, par exemple, dans « Le Funambule » écrit pour son jeune amant Abdallah. Il lui enjoint, pour pratiquer son art, de se farder excessivement afin de se rendre troublant, androgyne. Ça n’a rien à voir avec la prose indigente de Despentes : « Homme ou femme ? Monstre à coup sûr. Plutôtqu’aggraver la singularité d’un pareil exercice le fard va l’atténuer : il est en effet plus clair qu’un être paré, doré, peint, équivoque enfin, se promène là, sans balancier, où n’auraient jamais l’idée d’aller les carreleurs ni les notaires. » Plus près de nous, Hervé Guibert décrivit non sans une certaine beauté dans l’écriture sa vie dissolue et les ravages du Sida. Mais avec Virginie, la boue devient cloaque.

Si l’indigence de l’écriture de Despentes est évidente (Je ne parle même pas des sujets abordés dans un roman où les protagonistes contemplent avec complaisance leur triste nombril), elle n’en donne pas moins, force est de le reconnaître, un instantané de notre univers contemporain. En ce sens, il faut bien en convenir, notre époque a trouvé sa plume.  

Virginie écrit le monde comme il va : ça chie, ça pue, on se congratule, on se victimise, on gueule, on dégueule. Nous sommes en fin de civilisation, à la fin d’un cycle.

Une fois de plus c’est Yourcenar qui le dit le mieux, dans ses « Mémoires d’Hadrien » : « Nos lettres s’épuisent ;nos arts s’endorment ; Pancratès n’est pas Homère ; Arrien n’est pas Xénophon (…) nos progrès techniques ne résisteraient pas à l’usure d’une longue guerre ; nos voluptueux eux-mêmes se dégoûtent du bonheur ».

Despentes n’est ni Zola, ni Dostoïevski ni Genet, hélas. Mais elle est pourtant, et encore une fois hélas, l’écrivain de son temps.

Isabelle Larmat, professeur de Lettres modernes

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