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Pérou : le nouveau président 
sauvera t-il la démocratie ?
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Mue de la gauche latino-américaine

Réconcilier la gauche avec le capitalisme de marché sans oublier la justice sociale. Michelle Bachelet au Chili et Lula au Brésil avaient ouvert la voir. Ollanta Humala, fraichement élu au Pérou, un temps proche de Chavez, pourrait tracer le même chemin.

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo est économiste et écrivain, ancien fonctionnaire à la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement). Il est diplômé d’économie politique de l’université Johns Hopkins (Baltimore).  Son dernier ouvrage, Ternes Eclats - Dans les coulisses de la Genève internationale (L'Harmattan) présente une critique de la diplomatie multilatérale.

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Depuis le triomphe de la révolution castriste, la gauche latino-américaine a souvent entretenu des rapports conflictuels avec la démocratie représentative. Imprégnée de l’idéologie castro-marxiste, la gauche du continent avait tendance à relativiser les mérites du multipartisme, le voyant comme un système de gouvernement parmi d'autres, qui pourrait dans certains cas s’avérer être moins approprié aux conditions d’un pays du tiers-monde que ne le serait une dictature soi-disant populaire.

Cette gauche fustigeait également le capitalisme de marché, celui-ci lui paraissant moins efficace que l’interventionnisme d’Etat et le protectionnisme pour accélérer la croissance et réduire les inégalités.
Toutes ces certitudes volèrent en éclats avec quatre phénomènes à peu près concomitants : l’échec et des mouvements guérilleros du continent et des gouvernements marxisants au Chili, au Panama et au Pérou ; la dérive totalitaire de la révolution cubaine ; les possibilités commerciales inouïes offertes par la mondialisation ; et la chute du Mur de Berlin.
La gauche latino-américaine dut revoir sa copie et tenter de se mouler à la démocratie représentative et au capitalisme de marché.
Un bon nombre de dirigeants firent la mue avec conviction. L’exemple fut donné par le parti socialiste chilien qui, arrivé au pouvoir par le biais d’élections après les années sombres d’Augusto Pinochet, ne remit pas en question les acquis économiques de la période de la dictature militaire, mais tenta – avec un succès incontestable, surtout durant le mandat de Michelle Bachelet – de s’attaquer aux inégalités. La reconversion du parti socialiste chilien se vit répercutée dans d’autres pays qui essayaient, eux aussi, de réconcilier démocratie, capitalisme et justice sociale. Ce fut le cas du Brésil de Lula da Silva, du Pérou d’Alan García et de l’Uruguay de l’ancien guérillero José Mujica, tous ayant mené ou menant actuellement une politique conforme à l’orthodoxie économique (pourquoi ne pas l’appeler « libérale » ?) et respectueuse du jeu démocratique.
D’autres leaders semblent voir dans la démocratie représentative un moyen surtout de prendre le pouvoir. Et une fois au poste de commande, ils se démènent pour restreindre progressivement les droits de la presse et de l’opposition et modifient la constitution en vue de se faire réélire à répétition. Dans ce groupe figurent Hugo Chávez au Venezuela, Rafael Correa en Equateur, Daniel Ortega au Nicaragua, Evo Morales en Bolivie et, dans une certaine mesure, les époux Kirchner en Argentine. Chez eux, les résultats économiques ne sont pas formidables et la réduction des inégalités, quand elle a lieu, se voit compromise par un marasme économique dû à des entraves contreproductives imposées au marché ou à des nationalisations dignes d’un autre temps.
C’est dans ce contexte de philosophies divergentes au sein de la gauche latino-américaine qu’arrive au pouvoir au Pérou un Ollanta Humala qui, après s’être déclaré un grand ami de Chávez lors des élections de 2006 – lesquelles il perdit –, s’est forgé une image plus modérée se voulant proche de celle de Lula.
Bien sûr, il peut s’agir d’une reconversion de façade destinée à gagner les élections. Néanmoins, Humala a tout intérêt à correspondre dans les faits à sa nouvelle posture plutôt que de se rapprocher politiquement de la ligne de Chávez à nouveau.
L’économie du Pérou affiche en effet une insolente santé, et ce grâce à une politique d’ouverture à l’économie mondialisée et aux investissements étrangers. Ne disposant pas d’une rente minière ou pétrolière comme l’ont Chávez ou Morales, Humala ne peut pas s’offrir le luxe de casser un modèle qui a produit de si bons résultats en matière économique. Sa tâche devra consister à faire bénéficier l’ensemble de la population de cette croissance impressionnante.
Puis, à la différence de Chávez, qui gagna la première fois par un raz de marée, Humala arrive au pouvoir par une marge serrée et n’aura même pas une majorité absolue au Parlement. Raison de plus pour composer avec l’opposition.
En même temps, il faut l’admettre, la politique a ses raisons que la raison ne connaît pas. Les pulsions originelles et l’entourage politique et familial pourraient pousser le nouveau président du Pérou à se comporter comme Chávez.
Qu’Humala respecte ses promesses – notamment celle de ne pas modifier la constitution pour se faire réélire indéfiniment – et c’est la démocratie qui en sortira renforcée partout en Amérique latine.
Si, en revanche, il essaie de se perpétuer au pouvoir, consolidant par là même la tendance mise en vogue par Chávez, on peut alors affirmer que les vieux démons des coups d’Etat militaires et des révolutions de palais pourraient malheureusement se réveiller. A quoi bon respecter le verdict des urnes, se demanderont certains, si cela ne sert qu’à introniser des présidents à vie ?

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