Cette rupture politique en vue qui s'impose aux Pays-Bas (et qui pourrait bien faire des émules en Europe)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le chef du Parti pour la liberté (PVV) Geert Wilders prononce un discours lors d'une réunion post-électorale au centre de conférence Nieuwspoort à La Haye, le 23 novembre 2023.
Le chef du Parti pour la liberté (PVV) Geert Wilders prononce un discours lors d'une réunion post-électorale au centre de conférence Nieuwspoort à La Haye, le 23 novembre 2023.
©JOHN THYS / AFP

Coalition gouvernementale

Après près de 6 mois de négociations et alors que le Parti de la liberté de Geert Wilders est arrivé en tête lors des législatives de novembre 2023, une coalition gouvernementale semble en vue aux Pays-Bas avec la signature hier d’un accord de coalition.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »

Atlantico : Après près de 6 mois de négociations et alors que le Parti de la liberté de Geert Wilders est arrivé en tête lors des législatives de novembre 2023, une coalition gouvernementale semble en vue aux Pays-Bas avec la signature hier d’un accord de coalition. S’agit-il pour vous d’un « remix » de configurations politiques déjà connues ou de quelque chose qui pourrait plutôt s’apparenter à l’entrée dans une nouvelle ère politique ?

Christophe de Voogd : L’accord entre les quatre partis en pourparlers depuis six mois (populistes, libéraux, nouveau centre-droit chrétien réformateur et Mouvement paysan-citoyen), signé hier et révélé cette nuit, est un vrai bouleversement à la fois dans le jeu politique et le contenu des politiques menées depuis longtemps et surtout depuis la dernière décennie. Il annonce, sauf accident, le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays depuis 60 ans avec une coalition où ne figure aucun parti de gauche ni même de centre gauche. C’est là la suite logique des élections de novembre dernier qui ont vu la nette victoire de la droite populiste et globalement de la droite avec 60% des sièges. Encore fallait-il surmonter le tabou qui frappait aux Pays-Bas comme ailleurs « l’extrême droite » : d’où la longueur des négociations et surtout les nombreux coups de sang et de théâtre qui les ont placées à plusieurs reprises au bord de la rupture.  

C’est pour cela qu’il faut rester prudent, l’accord atteint étant encore assez général - on l’a prudemment nommé « accord sur les grandes lignes » et non « accord de coalition » : il devra être précisé sur de nombreux points dans ce qu’on appelle « l’accord de gouvernement » final. L’enfer est ici comme ailleurs dans les détails. Et il ne faut pas oublier que les populistes ont déjà participé (en 2002-2003) ou soutenu (en 2010-2012) le gouvernement : deux expériences, deux échecs.

Ceci dit, ils sont cette fois-ci, et de loin, la première force politique du pays et, si le choses se concrétisent, c’est un changement important du jeu politique qui s’annonce : ainsi pour le gouvernement qui ne sera pas composé des grands leaders parlementaires (à commencer par Geert Wilders le grand vainqueur avec son PVV des élections) et dont le chef (c’est ce qui se dit) pourrait même être un « repenti » de la gauche. Une réforme des institutions est annoncée avec un changement du système électoral et l’instauration d’une Cour constitutionnelle.

Quant au contenu de la politique annoncée, tout est déjà dit dans le titre de l’accord : « espoir, audace et fierté » qui rompt avec les slogans mièvres habituels.

Les mesures annoncées sont de fait impressionnantes et tournent le dos à la politique menées depuis dix ans au moins : réduction drastique du droit d’asile, fin du regroupement familial automatique ; demande de clauses d’opting out à Bruxelles en matière migratoire ; durcissement des conditions de naturalisation (avec enseignement obligatoire de l’Holocauste et fin de la double nationalité pour les postulants) ; assouplissement, voire abandon des contraintes écologiques sur l’agriculture, la construction et les transports ; baisse des impôts et des dépenses publiques de fonctionnement ; mesures sociales pour les catégories populaires : tout cela porte fortement la marque de Wilders. Mais les libéraux et le centre droit réformateur ont imposé en échange l’équilibre budgétaire, le contrôle de constitutionnalité des lois, le maintien du soutien total à l’Ukraine et la condamnation de « la haine des musulmans ». Enfin une mesure très symbolique et très chère à Wilders est évoquée mais reste encore à trancher : le transfert de l’ambassade néerlandaise à Jérusalem.

Vous venez de publier une note à la Fondapol sur cette victoire populiste aux Pays-Bas. Vous y décrivez le double dilemme politique qui déstabilise les démocraties européennes : celui qui pèse sur les partis de gauche rattrapés par le réel (immigration non contrôlée, croissance faible, rejet de l’écologie punitive notamment) d’une part, celui qui pèse sur les populistes qui contestent un système que les électeurs ne veulent pas, eux, jeter avec l’eau du bain même s’ils réclament du changement. Pourrait-on le résumer par l’idée que les responsables politiques n’ont pas su penser le monde d’aujourd’hui ?

Les événements néerlandais confirment bien le double dilemme que j’évoque dans cette note. C’est d’abord le dilemme de la gauche, prise entre son agenda favorable à l’immigration et à l’écologie d’une part et les demandes de sa clientèle populaire traditionnelle d’autre part, qui l’a conduite à la défaite. C’est ensuite le dilemme des populistes, pris entre leur agenda souverainiste et l’attachement de la population aux bénéfices concrets de l’Europe (marché unique, libre circulation, euro) et à la cause ukrainienne. Cela les a conduits à céder largement sur ces deux points dans l’accord d’hier.

C’est peut-être un avantage des systèmes de coalition à la néerlandaise que d’obliger au compromis ; à condition toutefois de respecter la volonté populaire majoritaire. Il semble que ce soit ici le cas et je m’attends à une large approbation par l’opinion des mesures préconisées – et à des protestations encore plus unanimes et bien plus sonores dans les médias, notamment publics  qui sont visés par une réduction budgétaire de 100 millions d’euros. 

Comment expliquer que la droitisation de l’électorat néerlandais ne se traduise pas par une victoire des partis de droite « classiques » ? Et quelles leçons européennes en tirer ?

Je l’explique d’abord par le rejet populaire de la transaction politique majeure qui a été conclue (sans être explicite) dans la période de Mark Rutte, au pouvoir pendant treize ans : les libéraux avaient imposé leur agenda social et économique rigoureux ; en échange de quoi, ils avaient cédé à la gauche sur l’immigration, l’écologie et l’idéologie woke qui a gagné tout le monde universitaire et culturel. La bonne santé financière et économique du pays a permis au VVD, le parti libéral, de sauver les meubles lors des dernières élections mais il a perdu sa position dominante et une partie de son électorat qui refusait cette « gauchisation » sociétale. Il est fort probable qu’un tel scénario joue au plan européen, comme le montre la montée des partis populistes et conservateurs dans les sondages. Il est clair que les opinions sont hostiles à l’immigration de masse et à l’écologie contraignante. 

Mais il faut ajouter un autre événement décisif pour « comprendre le monde d’aujourd’hui » comme vous dites, et dont peu aux Pays-Bas, surtout à gauche mais aussi à droite, ont perçu tout de suite l’impact (que j’ai souligné dans ma note pour la Fondapol) : à savoir le pogrom du 7 octobre qui a profité à Wilders, fervent soutien d’Israël, dans le pays d’Anne Frank où l’on reste très sensible à toute résurgence de l’antisémitisme. L’événement lui-même et les manifestations propalestiniennes, voire pro-Hamas, qui ont suivi ont clairement desservi la gauche lors des élections; or, l’agitation souvent violente qui se poursuit dans les universités est très impopulaire et la nouvelle coalition a promis une répression sévère.

Je pense, comme Gilles Kepel, que le 7 octobre et ses suites sont une rupture majeure qui va aussi peser sur les prochaines élections européennes.

La vague du populisme du mitan des années 2010 avait reflué aux Pays-Bas comme ailleurs dans les démocraties occidentales (Trump, Brexit, etc…). En vertu de quoi les populistes des années 2020 pourraient-ils obtenir des résultats différents ?

Une première réponse me parait aussi simple que souvent occultée : les résultats électoraux des populistes sont calqués sur le calendrier des vagues migratoires : le tsunami de 2015-2016 avait « boosté » ces partis ; le reflux migratoire lié à la période Covid les a, inversement, desservis (tout en stimulant l’obéissance aux gouvernements en place). Avec la fin de la pandémie et le retour d’une forte immigration, les ingrédients sont là pour une nouvelle poussée populiste. J’observe au demeurant que, malgré ses hauts et ses bas, et malgré le vœu souvent entendu dans les élites et les médias d’un « retour à la normale », le populisme reste, bon an mal an, une force très présente dans toute l’Europe depuis une vingtaine d’années.

C’est ce fait structurel qu’il faudrait expliquer au fond : il est lié selon moi à une crise générale de la gouvernance, perçue par les opinions comme de moins en moins représentative et de moins en moins efficace, tout en étant de plus en plus contraignante pour le citoyen moyen. Ce qui ne veut pas dire que la population s’aligne sur l’ensemble des positions populistes, dont elle rejette le maximalisme ; mais elle souhaite que les vrais problèmes soient enfin posés et réglés. Et cela vaut aux Pays-Bas comme ailleurs.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !