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Cette inquiétante fragilité de l’économie mondiale que révèle la volatilité du marché des matières premières
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

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Les indices boursiers des matières premières ont marqué une chute de 10% depuis le début de l'année. Et cela n'est pas sans conséquences sur l'économie mondiale.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Depuis le début de cette année 2018, les indices boursiers de matières premières ont pu marquer une chute de près de 10%, ce qui pourrait être compris comme un signe précurseur d'un ralentissement économique. Comment évaluer les risques que révèlent cette chute des matières premières sur l'économie mondiale ? 

Rémi Bourgeot : La financiarisation des marchés de matières premières a donné lieu, comme sur la plupart des marchés, à des attentes de gains continus alors même que la dynamique des prix avait commencé à s’émanciper des fondamentaux économiques et notamment de la faiblesse de grands émergents comme la Chine. Les prix des matières premières sont restés déprimés depuis leur grande chute de 2014-2015. On a pu observer une stabilisation et un début de rebond à partir de 2016 mais sans reprendre la voie des prix d’avant chute. Le même type de pari sur la hausse inexorable des prix, sur la base de tendances démographiques mondiales, se réaffirme pourtant mois après mois et donne lieu à une série de déceptions. 

On observe une situation de fond quelque peu différente naturellement en fonction des marchés. Dans le secteur énergétique, la production mondiale de pétrole a été affectée par l’effondrement de la production vénézuélienne notamment, et les nouvelles difficultés désormais de l’Iran, sans que le surplus de production attribué à l’Arabie saoudite ne vienne compenser cette situation intégralement. Par ailleurs malgré le rebond des derniers mois des prix du pétrole, la révolution technologique de la fracturation hydraulique n’a pas fini de bouleverser le paysage énergétique mondiale, d’autant plus que ces technologies ne cessent de progresser et de voir leur coût baisser.

De façon plus générale, les craintes quant à l’impact des tensions commerciales accroissent la pression sur les prix des matières premières, d’autant plus dans le secteur métallurgique qui est au cœur du conflit commercial porté par les Etats-Unis. Mais il serait naturellement erroné d’affirmer que ces tensions commerciales viennent briser une tendance de hausse continue. On peut simplement discuter de l’hypothèse selon laquelle ces tensions freineraient un rebond sur la base de niveaux de prix qui restent déprimés par rapport aux sommets atteints il y a quelques années.

Le fond du sujet demeure notamment lié à la relative morosité de l’économie chinoise, comparé aux attentes extraordinaires qui se concentraient sur le pays il y a encore seulement quelques années. Par ailleurs, de façon plus prosaïque, la cherté relative du dollar qui se poursuit dans le temps maintient les prix en dollars sous pression puisqu’il s’agit de la devise de dénomination de la plupart des matières premières. Le commerce mondial suit une tendance fondamentalement différente de celle d’avant la crise mondiale, et les tensions commerciales actuelles n’en sont qu’un élément.

Alors que les thématiques relatives aux matières premières peuvent concerner les pays émergents de manière disproportionnée, comment évaluer les vulnérabilités de ces pays au regard de cette baisse constatée depuis le début de l'année ? 

On trouve effectivement des exportateurs très importants de matières premières parmi les pays émergents comme la Russie, le Brésil, le Mexique par exemple, et également de grands importateurs comme la Chine, l’Inde ou la Turquie. La situation des pays émergents est assez diffuse de ce point de vue. Paradoxalement, on a tendance à voir les marchés émergents, et notamment les devises, évoluer de façon fortement corrélée par groupes, et non pas forcément en fonction de leur statut d’importateur ou d’exportateur de matières premières même lorsque ces prix connaissent une réévaluation brutale. De plus certains pays exportateurs de matière premières affichent néanmoins un déficit de la balance courante, comme c’est le cas par exemple du Mexique ou du Brésil. Et certains grands importateurs connaissent un excédent commercial important, comme c’est évidemment le cas de la Chine.

On a observé une certaine confusion en 2013/2014 quand s’est déroulée une crise assez générale des pays émergents, ce qu’on a appelé le « taper tantrum », déclenché notamment par l’annonce de la normalisation de la politique de la Fed aux Etats-Unis, puis quasiment en même temps l’effondrement des prix du pétrole qui a pesé sur de nombreux émergents, sans qu’on assite pour autant à une réappréciation positive des émergents importateurs qui en profitaient pourtant mais souffraient de la politique de la Fed.

Globalement, on a vu une tendance au rééquilibrage assez importante dans les pays émergents ces dernières années depuis la crise émergente de 2013. Les pays connaissant un fort déficit commercial ou plus généralement un déficit de la balance courante ont eu tendance à revenir à une situation plus équilibrée, les rendant moins vulnérable qu’ils ne l’étaient à la veille de cette crise. Le poids des déséquilibres passés, massifs, se fait encore néanmoins sentir sous la forme de dettes en devises étrangères importantes pour de nombreux pays déficitaires sur le plan de la balance courante.

On a plus généralement vu des déséquilibres financiers très importants, conduisant notamment au maintien d’entreprises zombies comme en Chine et une situation délicate sur le plan de la croissance.

Alors que la question de la dette est souvent traitée de manière prioritaire concernant l'évaluation de la situation des Etats, quels seraient les critères les plus pertinents à prendre en compte pour mesurer la santé des économies émergentes ? 

La dette publique n’est qu’un aspect de la situation financière d’un pays et donc aussi d’un Etat, dont les finances sont in fine très directement dépendantes des maux économiques qui affectent l’économie nationale, en particulier par la courroie de transmission des problèmes financiers que constitue le secteur bancaire. Comme dans le cas de la zone euro, on peut voir des Etats dont les comptes publics apparaissent comme équilibrés être en réalité vulnérables à une détérioration soudaine venant d’un autre compartiment de l’économie, en particulier via le secteur bancaire. On a par exemple vu en Chine des montagnes de dette d’entreprise se développer au cours des dix dernières années, dans le contexte d’afflux de capitaux massifs et d’une politique monétaire également très relâchée au niveau national. Cette dette privée reste néanmoins en Chine assez largement de nature domestique, au contraire d’un grand nombre de pays en situation de déficit commercial dont les entreprises se sont souvent massivement endettées auprès de l’étranger, en devises comme le dollar et l’euro. La force actuelle du dollar vient déstabiliser le refinancement de ces montagnes de dettes privées.

On a donc d’un côté une résorption assez marqué des déséquilibres extérieurs des pays émergents depuis environ trois ans, mais ceux-ci vivent encore sous la menace des montagnes de dette, notamment en devises, qui se sont constituées dans les périodes de déficit extérieur important.

Par ailleurs, le poids de ces déséquilibres dépend évidemment de l’évolution de la croissance. La croissance mondiale décente des dernières années a permis de limiter ce poids financier. Les difficultés renouvelées auxquelles font face les pays émergents résultent de la tendance actuelle au ralentissement, à la cherté du dollar qui s’étend dans le temps et plus généralement à la normalisation des politiques monétaires des grandes banques centrales qui conduit à un certain assèchement monétaire sur les marchés mondiaux. Cet assèchement relatif intervient néanmoins dans un contexte d’excès d’épargne massif à l’échelle mondiale, dans le contexte de la course aux excédents commerciaux, ce qui se traduit par des taux d’intérêt qui restent donc tout de même relativement comprimés. On ne peut que constater l’imbrication entre les questions financières, commerciales et de croissance. Les déséquilibres mondiaux qui se sont creusés au cours des dernières décennies sont à la fois financiers et commerciaux, et les phases de stabilisation ne permettent pas un véritable retour à un régime de croissance forte et durable. Les pays émergents en particulier ont tendance, en plus de leurs difficultés financières, à souffrir d’une sorte de plafond de verre dans leur développement dès qu’ils atteignent un stade de développement intermédiaire en termes de revenus et de productivité. La situation de déséquilibre actuel ne profite véritablement à aucun pays dans la durée et l’enjeu des débats en cours dans le monde est de parvenir à un rééquilibrage qui libère la voie à une régime de croissance plus stable. Le débat sur le rééquilibrage commercial et financier est aussi essentiel aux pays développés qu’émergents en réalité, bien que les débats sur les modalités de ce rééquilibrage donnent lieu à de vives tensions internationales.

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