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Cette grosse réforme d'Obama que Bernie Sanders a totalement oublié de prendre en compte avant de lancer sa "révolution socialiste"
©Reuters

Coup d’épée dans l’eau

Malgré des attentes claires en faveur d'une évolution du modèle d'assurance santé aux Etats-Unis, Bernie Sanders n'a pas pu surfer sur ce thème de campagne pourtant érigé en priorité. Et pour cause : Obama s'est déjà attaqué au dossier avec son programme ObamaCare.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : L'un des thèmes de campagne principaux de Bernie Sanders était celui d'une assurance santé gouvernementale, alors que tout un pan de l'électorat semblait demander une alternative au système de santé américain. Comment expliquer que ce thème ne l'ait pas davantage porté sur le devant de la scène ? Faut-il y voir un certain succès de l’ObamaCare, qui aurait coupé l'herbe sous le pied du candidat démocrate ?

Jean-Eric BranaaIl est vrai que l’attente première d’une grande partie des Américains dans les années 2010 a été la mise en place d’un système de santé qui n’exclurait plus personne.

La plus grande vertu de l’Affordable Care Act n’est pas d’être un système peu onéreux mais d’avoir interdit aux compagnies d’assurances d’imposer des périodes de carences interminables ou de refuser d’assurer tous ceux qui étaient atteints d’un mal chronique : asthme, diabète, etc., compris. La loi a obligé les assureurs à couvrir les risques, y compris les plus graves tels que les cancers, le sida, ou autre. Le premier grand succès de l’ObamaCare est donc qu’on ne meurt plus aujourd’hui aux Etats-Unis à cause d’un défaut d’assurances qui ferait que l’on ne se soigne pas. Ou plutôt, il serait plus juste de dire "beaucoup moins". Car si le nombre d’assurés potentiels non-couverts a très fortement chuté dans les Etats qui ont joué le jeu, il ne faut pas oublier qu’il reste toujours une population qui se voit exclue du système, soit parce que ces Américains vivent dans un Etat qui a rejeté le nouveau système, soit parce que ces Américains ne peuvent pas faire face aux franchises toujours imposées par les compagnies d’assurances dans certains cas.

Ceux qui rejettent l’ObamaCare – très majoritairement des Républicains – affirment qu’il détruirait des emplois et qu’il aurait fait s’envoler le coût des premiums. C’est une contre-vérité puisque la croissance des emplois est positive depuis l’entrée en vigueur de la loi et que les coûts de santé ont été maitrisés. Il n’est pas faux, toutefois, de dire que certains restent en dehors de la protection et que le sous-financement de l’ensemble du dispositif reste un de ses problèmes majeurs.

La demande formulée par Bernie Sanders visant à la généralisation de la couverture en passant par un payeur unique fait donc écho aux difficultés rencontrées par environ 10 millions de personnes. Mais elle ne trouve plus de répondant chez tous ceux qui ont vu leur situation changer depuis l’élection de Barack Obama. Pire, il y a une confusion entre les besoins élémentaires, qui sont susceptibles de créer un élan vers une mobilisation, et une diabolisation de l’existant qui consiste à rejeter l’ensemble, sous prétexte que les compagnies d’assurances se seraient récemment enrichies, donc grâce à l’ObamaCare. 

C’est là un double discours qui ne s’appuie pas sur les mêmes ressorts et finit par jeter la confusion. La démobilisation n’est pas loin sur cette question. Bernie Sanders n’a pas su être suffisamment pédagogue sur cette question en particulier : ses supporters sentaient "vaguement" qu’il y a quelque chose à changer et que la couverture quasi-universelle avec un payeur unique est préférable à l’empilement des systèmes qui repose sur un contrôle par les assureurs privés. Mais au fur et à mesure de la campagne, la seule réponse qui a été mise en avant pour justifier de ce changement a été la lutte contre "l’enrichissement des assureurs" ; pas de quoi mobiliser les foules dans un pays qui prône l’enrichissement personnel et considère que c’est un but à atteindre pour réussir sa vie.

En cherchant à surfer sur ce thème de campagne, Bernie Sanders n'est-il pas passé à côté des désidératas des Américains ? Si l'attente relative au système de santé était beaucoup plus forte dans les années 2010, n'a-t-il pas un train de retard sur l'électorat aujourd'hui ? Quelles sont les autres "erreurs de parcours" qui ont contribué à le relayer derrière Clinton ?

Non, Bernie Sanders a, au contraire – me semble-t-il – bien compris les désidératas des Américains. Dans son discours de lancement de sa campagne, il a annoncé une révolution économique, politique, sociale et environnementale.  De fait, il a transformé la période des primaires en campagne référendaire pour ou contre ce qui sera le contenu de l’élection générale : les idées qu’il a défendues vont en effet être présentes lors de l’élection générale, quoi qu’on en dise.

Cette élection va donc se transformer principalement en référendum sur le fait de conserver ou non les progrès que la société américaine a réalisé sur la santé, la réforme financière et l’environnement. Hillary Clinton s’inscrit désormais dans la continuité du travail accompli alors que Donald Trump propose de remettre en cause ce qui a été fait par Barack Obama. Il y a cependant peut-être une troisième voie. Rien n’est exclu. Car, bien qu’incomplètes, ces avancées sont réelles et peuvent éventuellement être poursuivies sous des formes nouvelles.  Elles demandent cependant à être évaluées, avant d’être poursuivies, adaptées ou stoppées. C’est le but d’une campagne électorale et la demande des électeurs a clairement été d’être associés à ce bilan. C’est ce que Bernie Sanders a parfaitement compris, tout comme Donald Trump d’ailleurs et c’est bien là la raison de leur succès.

La révolution prônée par Bernie Sanders pourrait prendre forme dans une proposition de réforme de l’ObamaCare qui reste encore à préciser concrètement : le projet de Barack Obama a préservé les assurances privées, notamment pour ne pas heurter la population par des changements trop profonds, ce qui est risqué sur le plan politique : comment l’imposer en effet à tous ces Américains qui avaient déjà une bonne assurance ou comment faire pour ne pas déstabiliser le secteur de l’assurance ? Hillary Clinton a déjà fait un pas dans cette direction en proposant d’engager une réflexion profonde sur cette question. On peut rappeler que c’était également sa propre intention lorsque son mari lui avait confié la réforme de ce secteur en 1992.

On ne peut donc pas parler véritablement de "raté" ou "d’erreur de parcours" sur cette question pour Bernie Sanders. Il s’agit surtout d’un sujet qui a perdu une grande partie de son attraction quand des millions d’Américains ont retrouvé la possibilité de s’assurer. Les dysfonctionnements, voire les millions de gens qui sont encore exclus du système, ne sont plus suffisants pour entrainer une adhésion de masse telle qu’on la souhaite dans les campagnes électorales.

En revanche, une autre question a causé beaucoup de tort au sénateur du Vermont et il ne s’attendait certainement pas qu’elle prenne une telle place dans cette campagne : il s’agit de la question du port d’arme. Ses prises de position ambiguës, clairement du côté des chasseurs et du droit à porter une arme, sont en contradiction avec l’attente de l’électorat démocrate, y compris des plus jeunes. 

En parallèle, quelles sont les dynamiques qui l'ont porté ? En un sens, les jeunes ne représentaient-ils pas un ressort beaucoup plus fiable que le système de santé, où Obama a mené une réforme susceptible de lui avoir coupé l'herbe sous le pied ?

La révolution de Bernie Sanders a trouvé un écho auprès des jeunes. Une des racines de ce succès est d’avoir su se positionner en porte-parole, plutôt qu’en guide suprême. Ses meetings, sa propagande, toute sa campagne se sont transformés en tribune pour des mouvements déjà existants, tels que Black Live Matters et Fight for $15. Ce n’est pas tant les jeunes en tant que tels qui ont été visés par la campagne de Bernie Sanders : le candidat s’est appuyé sur des mouvements politiques qui luttent contre les forces conservatrices qui sont parfois puissantes, du moins dans certains Etats, et qui proposent sans relâche des lois anti-avortement, anti-LGBT, de réduction de l'électorat ou contre les salaires décents.

Avoir étroitement associé ces mouvements, s’être appuyé sur eux, est une forme de populisme extrêmement classique aux Etats-Unis. L’habillage de 2016 est, par contre, nouveau, en y accolant les mots "socialisme" et "révolution". C’est cet habillage, ce marketing pourrait-on dire, qui a fait basculer toute la jeunesse, comme un seul homme, dans les bras du vieil homme. Cela a créé une alchimie assez magique qui a entrainé une dynamique puissante qui fait qu’il a été en capacité de bousculer très fortement Hillary Clinton et de gagner quasiment tous les scrutins dans la deuxième partie de la primaire.  Ce n’est certes pas le système de santé, sa possibilité de réforme ou la généralisation vers un système universel et un payeur unique qui ont été capables de produire un tel effet. Peut-être cela aurait-il été différent si Barack Obama n’avait pas mis en place sa réforme. Qui sait ?

Fondamentalement, Bernie Sanders ne s'est-il pas trompé d'année pour sa révolution ?

Fondamentalement, non. Sa révolution arrive aujourd’hui parce que c’est aujourd’hui que les Etats-Unis – voire le monde – sont dans les conditions pour l’accueillir. On observe un peu partout sur la planète une montée des mouvements citoyens, une défiance par rapport aux anciens systèmes de gouvernance et une demande de plus en plus forte de la part des citoyens d’être pris en compte. La place des média classiques, en tant que lien et traducteur, entre le pouvoir politique et les citoyens, est farouchement disputée par la montée inéluctable des réseaux sociaux et des nouveaux média. La parole politique n’appartient-elle pas aujourd’hui à tous, pourvu qu’il soit équipé d’un smartphone ou d’une connexion Internet ? Le rôle des politiciens est en mutation, et de plus en plus de voix s’élèvent pour demander une redéfinition. Ce n’est certes pas encore la remise en cause de la démocratie représentative, mais on distingue toutefois que l’establishment est très fortement bousculé. Ce n’était pas encore aussi flagrant lors des précédentes élections et Bernie Sanders n’aurait certainement pas eu la même audience. Si on regarde de l’autre côté, en revanche, vers l’avenir, un autre Bernie Sanders (rappelons qu’il a tout de même 74 ans !) sera peut-être en capacité d’imposer une nouvelle révolution aux Etats-Unis. A moins que l’orage ne passe…

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