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Des députés de la NUPES le 8 février 2023.
Des députés de la NUPES le 8 février 2023.
©JULIEN DE ROSA AFP

Bordelisation

Thomas Portes a été exclu de l’Assemblée nationale pendant 15 jours pour avoir posé avec un ballon à l’effigie de la tête d’Olivier Dussopt. C'est la dernière frasque en date d'un membre de la NUPES, groupe qui semble avoir fait du pourrissement du débat démocratique une de ses marques de fabrique.

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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William Thay

William Thay

William Thay est président du Millénaire, think tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Atlantico : Thomas Portes a été exclu de l’Assemblée nationale pendant 15 jours pour avoir posé avec un ballon à l’effigie de la tête d’Olivier Dussopt, dernière frasque en date d’un membre de la NUPES. A quel point les actions et discours de la NUPES témoignent-ils d’une logique insurrectionnelle réelle au sein du parti ?

William Thay : La NUPES par l’intermédiaire de son chef Jean-Luc Mélenchon adopte à la fois une posture insurrectionnelle et également révolutionnaire. Cette posture révolutionnaire fait référence à la Révolution française de 1789 dans laquelle les membres de la NUPES et en particulier de la France Insoumise puise de nombreuses références. Si faire référence à la Révolution française ne pose pas de problèmes particuliers dans la mesure où c’est l’événement déclencheur qui a permis à la France de passer progressivement d’une monarchie à la République, le souci est que la France Insoumise s’inspire en particulier d’une période sombre : la Terreur. Ainsi, plusieurs cadres de ce parti n’hésitent pas à réhabiliter des personnalités comme Robespierre. D’où la polémique avec le député Thomas Portes, et celles sur les têtes coupées. Ce point est problématique parce qu’il va à l’encontre d’un des fondamentaux de la démocratie libérale : celle de pacifier le débat politique à travers la démocratie représentative et l’État de droit.

Ensuite, la NUPES adopte une logique insurrectionnelle pour marquer sa volonté de rupture avec le paradigme actuel. Il ne s’agit pas tant de s’opposer à Emmanuel Macron mais surtout de vouloir renverser le système de la République notamment celui de la Vème et de l’économie de marché. En quelque sorte, Jean-Luc Mélenchon s’inscrit dans les pas des leaders de certains régimes autoritaires qui ne souhaitent pas que la prophétie de Francis Fukuyama se réalise. Dans la Fin de l’Histoire et des derniers hommes, ce dernier indiquait qu’il pensait que la démocratie libérale et l’économie de marché allait s’imposer dans le monde entier pour plusieurs raisons. Seulement, on assiste depuis plusieurs années et en particulier depuis la crise de 2008 à une crise de ces deux modèles. Cela aboutit à l’émergence de modèles alternatifs comme le modèle autoritaire chinois par exemple d’un côté et de l’autre à l’avènement de ce qu’on appelle le populisme dans les démocraties occidentales. Ainsi, pour prendre un exemple frappant, le comportement des cadres de la France insoumise à l’égard des journalistes n’est pas différent de celui d’un Donald Trump par exemple. Cette volonté insurrectionnelle et de rupture complète peut être retranscrite principalement dans les « démocraties » d’Amérique latine qui inspire les cadres de la France insoumise. Il s’agit ainsi de trouver un nouveau modèle et cadre pour imposer leur changement de société sur les plans économiques, politiques et sociétaux.

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Luc Rouban : Cette logique insurrectionnelle ne caractérise pas la NUPES en général mais LFI et EELV en particulier. En fait, les leaders de LFI, et Jean-Luc Mélenchon en tête, ont toujours contesté les résultats de l’élection de 2022 étant donné à la fois l’absence de toute réelle campagne où se seraient affrontés le macronisme et la gauche et la configuration du second tour où le choix entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen conduisait à voter par défaut pour le Président sortant plutôt que pour soutenir son programme. Cette contestation des résultats a fait l’objet de déclarations très claires et très précoces de la part, par exemple, de Mathilde Panot. Elle a conduit à mettre en cause la légitimité électorale du président de la République, laquelle, en revanche, n’est nullement dénoncée par le PS ou le PCF. Au fond, l’idée est que le macronisme est le résultat d’une violence politique contre la « vraie France politique » que LFI pense incarner et qui s’arroge donc le droit d’arborer le style révolutionnaire pour s’opposer à ce qui est considéré comme un coup de force démocratique et légal mais sans fondement populaire. L’argument est donc double : il existe une fracture entre le macronisme et le peuple et ce que l’on vit depuis 2017 est une imposture démocratique. Donc, il ne faut pas jouer le jeu d’institutions truquées et les divers incidents à l’Assemblée nationale témoignent d’une volonté d’opposer une autre violence à cette violence institutionnelle en ne « jouant pas le jeu » de la bienséance, de l’écoute courtoise et en convoquant la mémoire révolutionnaire par le biais d’une sémiotique adaptée (le ballon avec le visage d’Olivier Dussopt, à l’image des guillotines des Gilets jaunes, ou les interpellations permanentes lors des discours en référence aux séances de la Convention de 1792).

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Il est vrai qu’Emmanuel Macron a vu sa base électorale se rétrécir en 2022 et que celle-ci comporte une majorité d’électeurs de catégorie moyenne ou supérieure, diplômés et relativement fortunés. Cet argument est sociologiquement vrai. Cependant, la seconde partie du syllogisme, qui conduit à justifier une posture insurrectionnelle, ne l’est plus car si la démocratie électorale s’est affaiblie par l’abstention ou la défiance à l’égard des élus, ce n’est pas le fait du macronisme mais de mécanismes sociaux bien plus profonds et plus anciens, comme l’absence de méritocratie réelle, qui expliquent la mobilisation de foules importantes dans les manifestations de ces derniers jours contre les retraites. Donc, derrière la dénonciation de l’élection présidentielle, on trouve également l’activation par LFI d’un registre caché, celui d’un état quasi-révolutionnaire de la société française.

Quelle est la finalité visée par LFI avec ces discours extrêmes ? Quels peuvent être leurs conséquences réelles ? 

Luc Rouban : La finalité de LFI est de développer une stratégie cohérente de dénonciation des institutions de la démocratie représentative telle qu’elle fonctionne sous la Vᵉ République. Si l’on poursuit l’analogie historique, LFI a en tête le passage de la Convention au Comité de salut public et à la concentration jacobine du pouvoir autour d’une poignée de révolutionnaires. Toutes ces provocations et tous ces incidents de séance ont pour objectif de montrer que l’on est désormais entré dans une phase historique de changement profond et que l’on ne peut plus se contenter de petits ajustements périphériques comme le Grand débat national, les conventions citoyennes sur le climat et tous les gadgets pour retraités que l’on dirait sortis d’un rapport de séminaire à l’ENA afin de répondre à la question « comment revitaliser la démocratie représentative ? ». Le projet de LFI reste de fonder une VIème République, parlementaire et référendaire. Néanmoins, les enquêtes montrent que les Français, s’ils sont demandeurs de référendums, ne sont pas nécessairement épris de grands changements constitutionnels, qu’ils sont en majorité ancrés à droite, qu’ils demandent du social mais aussi de l’autorité et de la sécurité, ce qui nous éloigne évidemment du programme de gauche voire d’extrême-gauche porté par LFI. 

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L’effet le plus immédiat de cette posture brouillonne et insurrectionnelle risque fort d’être un rejet encore plus prononcé du parlementarisme, ce qui est à l’opposé des projets de LFI. L’image d’une Assemblée en ébullition où certains se permettent de s’invectiver, de s’insulter, de bloquer la procédure législative nous renvoie directement aux souvenirs effroyables que les Français ont gardé des régimes parlementaires et notamment de la IVᵉ République dont les débats étaient tout de même d’une autre tenue mais ne débouchaient sur rien. Il ne faut pas oublier que derrière le mécontentement que l’on désigne à tort comme « populiste » se trouve une attente très forte d’efficacité autant dans le fonctionnement des services publics et de l’État que de l’ensemble des institutions. Si l’on donne Guignol au Palais-Bourbon, on ne s’étonnera pas de voir les électeurs s’orienter vers l’abstention ou la seule droite sociale (ou à prétention sociale) qui existe, à savoir le RN.

William Thay : Pour eux, il s’agit de véritables inspirations à la fois pour prendre le pouvoir et également imposer un changement de modèle. 

Sur le plan de la conquête du pouvoir, la France Insoumise cherche à identifier les marqueurs du « système » actuel pour se mettre en opposition face à eux pour incarner la rupture afin de profiter de la crise de la démocratie. Ainsi, ils vont attaquer les riches dans un pays marqué par la passion pour l’égalité afin de jouer sur le clivage des inégalités. De même, ils vont s’attaquer aux journalistes ou à minima se mettre en posture d’opposition face à eux. Vous allez avoir ainsi de la part de la France insoumise la volonté d’identifier les acteurs qui peuvent être apparentés à ce qui incarne notre modèle actuel pour les attaquer de front. Cela d’autant plus que la confiance des Français à l’égard des certaines professions et certaines institutions n’ont jamais été aussi faibles dans la crise de la démocratie que nous traversons. Avant le front syndical uni, il y avait de même la volonté de la part de Jean-Luc Mélenchon de concurrencer les syndicats dans leur monopole de la grève et de la manifestation.

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De même, il y a peut-être la tentation de la part de la France insoumise d’avoir une stratégie électorale derrière cette logique insurrectionnelle. Ainsi, on peut soulever plusieurs questions et points. Est-ce que Jean-Luc Mélenchon ne vise pas implicitement à instaurer un match entre Marine Le Pen et lui dans la mesure où ce serait le seul duel qu’il pourrait remporter dans le cadre d’un second d’une élection présidentielle ? Ainsi, est-ce qu’il ne faudrait pas imposer une « zadification du débat public » pour décourager du débat public et donc du vote les électeurs dits raisonnables soit ceux qui votent pour les partis de Gouvernement ? Donc favoriser la participation des électeurs sortis de jeux démocratiques ceux que Brice Teinturier appelle les « plus rien à faire, plus rien à foutre », et décourager celle des électeurs votant principalement pour les partis de Gouvernement. De plus, cette stratégie permet à la fois de répondre à la radicalisation de l’électorat auquel nous faisons référence notamment de celui de droite mais qui touche également celui de gauche. Ainsi, sa stratégie permet à la France Insoumise d’avoir le leadership sur les forces de gauches en possédant le plus grand magot électoral. Enfin, sur le plan démocratique, ce discours va continuer d’affaiblir les corps intermédiaires et les institutions qui participent au jeu politique soit davantage affaiblir le cadre démocratique actuel. Mais de toute façon, la France insoumise considère qu’il s’agit d’acteurs qui ne leur sont pas favorables.

En allant vers toujours plus de radicalité, et se rendant, d’une certaine manière, de facto inéligible en agissant de la sorte, dans un paysage politique déjà bloqué, la Nupes ne renforce-t-elle pas l’impossibilité de l’alternance à gauche et, par-là, le risque de violence que cela engendre ?

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William Thay : Il est possible voire vraisemblable que la NUPES et en particulier la France insoumise occupe la même fonction que le Front national des années 80 mais à cette fois-ci à gauche. Cela va emporter plusieurs conséquences : sur la gauche et sur l’impossibilité d’alternance. 

Alors que la gauche subissait une véritable crise politiquement depuis le quinquennat de François Hollande, et même idéologiquement avec l’affaiblissement de la social-démocratie, sa reconstruction va être encore plus difficile avec la mainmise de la France Insoumise sur la Nupes. Ainsi, il apparait peu vraisemblable à moins d’une grande crise et encore qu’elle bénéficierait davantage au Rassemblement national, que la NUPES puisse être majoritaire électoralement et donc politiquement dans le pays. En effet, depuis les dernières élections législatives, on remarque que le front républicain touche de moins en moins le parti de Marine Le Pen mais qu’il existe de plus en plus des barrages de même type contre les candidats de la NUPES. Nous avons ainsi observé que la tactique électorale de Jean-Luc Mélenchon était efficace pour le premier tour mais beaucoup moins pour le second. De plus, afin de sauver des sièges et des partis moribonds, le Parti Communiste, le Parti socialiste et Europe Écologie les Verts se sont placés comme des partis supplétifs de la France Insoumise sans qu’il existe de véritables stratégies pour contester le monopole de Jean-Luc Mélenchon sur la gauche. En clair, ils sont dans la même impasse que dans les années 60 avant que François Mitterrand du PS ne décide de contester la force principale de l’époque, le Parti Communiste. Or, il ne semble y avoir ni stratégie ni personnalité pour réaliser la même opération au sein de la gauche. 

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Cela emporte une conséquence en matière démocratique. En effet, est-ce que l’essence même de ce régime et ce qui le distingue des régimes autoritaires, n’est pas forcément la constitution ou les principes juridique, mais la possibilité d’alternance entre des forces politiques avec ainsi la possibilité d’un pouvoir sortant battu démocratiquement ? Nous assistons en France à une impasse, avec d’un côté, un pouvoir de plus en plus minoritaire en matière d’assise politique comme en témoigne la majorité relative obtenue lors des dernières élections législatives et de l’autre côté, une extrême droite menée par le Rassemblement national et une extrême gauche menée par la France Insoumise dont une majorité de Français ne souhaite pas qu’ils arrivent au pouvoir. Cela conduit à une impasse démocratique et donc à un risque de violence, puisqu’il n'existe pas de débouché démocratique par l’absence de véritable possibilité d’alternance à la contestation du pouvoir en place.

Luc Rouban : Effectivement, l’alternance à gauche constitue le but final de LFI qui, de facto, a mis la main sur l’ensemble des forces de gauche étant donné le rôle secondaire du PCF et du PS. Jean-Luc Mélenchon a déclaré lors des manifestations contre les retraites du samedi 11 février « qu’il y aura une réponse politique derrière cette mobilisation ». Il a sans doute raison mais rien ne dit que cette réponse sera de gauche même si les syndicats sont unis, même si les familles sont dans la rue même si les cortèges se sont multipliés dans les sous-préfectures. 

À cet égard, rien ne vaut un petit test empirique sur la base de l’enquête du Baromètre de la confiance politique du Cevipof. Si l’on regarde le vote des catégories populaires au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 dans les différentes strates de communes, on voit, par exemple, que Jean-Luc Mélenchon a obtenu (en suffrages exprimés) 20% de leurs voix dans les zones rurales contre 31% pour Marine Le Pen (et 5% pour Éric Zemmour) et que dans les communes entre 2 000 et 20 000 habitants, il a obtenu 23% de leurs suffrages alors que Marine Le Pen en obtenait 30% et Éric Zemmour 7%. Rien ne permet donc d’affirmer que les manifestations dans les territoires signifient un ralliement électoral à LFI à l’issue d’une éventuelle dissolution. On est ici clairement dans un travail politique de récupération d’un mouvement très général qui déborde les clivages politiques. Lorsque le rideau va tomber, soit sur l’échec du gouvernement soit sur son succès législatif, les choix électoraux se décanteront selon d’autres grilles d’analyse que celui de l’insurrection populaire. Du reste, la réussite du mouvement social tient beaucoup à l’absence de violence.

A quel point la démocratie est-elle menacée par cette double pression - à la fois insurrectionnelle et bloquante - que fait peser sur elle la Nupes ?

Luc Rouban : La NUPES ne bloque rien sur le plan électoral. La question se pose en revanche de savoir s’il n’apparaît pas un nouveau créneau pour une gauche social-démocrate de gouvernement, soucieuse d’efficacité comme de démocratie et à l’écoute des classes populaires et moyennes. L’hypothèse n’est pas à rejeter car nombreux sont les anciens électeurs socialistes qui ne se retrouvent évidemment plus dans le macronisme mais ne peuvent souscrire au style pseudo-révolutionnaire de LFI. La démocratie n’est pas non plus menacée car seule une minorité souhaiterait le chaos. À ce titre, on verra si l’opinion soutient encore fortement la contestation contre la réforme des retraites si l’on assiste effectivement à un blocage du pays à partir du 7 mars. Sur le papier, c’est enivrant, sur le terrain, c’est vite fatiguant. Et sur le terrain purement parlementaire, n’oublions pas qu’une vaste majorité de députés associant ceux du PS, du PCF, de Renaissance, de LR et du RN défendent le jeu normal des institutions. Il reste à Emmanuel Macron deux outils. Le premier est la dissolution, mais il risquerait fort de se retrouver en cohabitation avec Jordan Bardella. Le second est le référendum qui permettrait de mettre un terme à cette réforme malheureuse au nom de la décision populaire, ce qui couperait l’herbe sous les pieds de LFI et lui permettrait de récupérer une posture présidentielle gaullienne.

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