Cessation des hostilités en Syrie : l’accord impossible à tenir<!-- --> | Atlantico.fr
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Des militaires syriens pro Bashar Al-Assad, à Alep.
Des militaires syriens pro Bashar Al-Assad, à Alep.
©Reuters

Promesse à briser

Si un accord de cessation des hostilités en Syrie a été trouvé dans la nuit de jeudi à vendredi entre les forces de Bachar el-Assad et les rebelles non-terroristes, une trêve durable semble pour le moins improbable sur le terrain.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : L'accord conclu dans la nuit de jeudi à vendredi sur une "cessation des hostilités" entre le régime et les rebelles non reconnus comme terroristes par le Conseil de sécurité des Nations Unies est-il tenable dans la durée selon vous ?

Alain Rodier : Tout d’abord, il faut rester convaincu que des négociations, même imparfaites, restent préférables à tout le reste. Qu’on le veuille ou non, le conflit syrien se terminera un jour par des négociations et pas par une "victoire" d’un camp sur l’autre, car personne n’a la capacité opérationnelle et tactique de gagner sur le terrain. Les négociations qui se sont terminées dans la nuit du 11 au 12 février par la signature d’un "papier", comme il est qualifié par de nombreux observateurs, ne sont donc pas inutiles même si elles n’apportent pas de solution ni à court ni à moyen terme. Cette réunion rassemblait l'ONU et le Groupe international de soutien à la Syrie qui comprend la Ligue des Etats arabes, la Chine, l'Egypte, l'Union européenne, la France, l'Allemagne, l'Iran, l'Irak, l'Italie, la Jordanie, le Liban, l'Organisation de la coopération islamique, Oman, Qatar, la Russie, l'Arabie saoudite, la Turquie, les Emirats arabes unis, le Royaume Uni, et les Etats-Unis.

En résumé, il y a deux volets de décisions qui sont avancées.

Le premier est d’ordre humanitaire. Il doit permettre de ravitailler les populations des zones assiégées par l’un ou l’autre camp. Selon le communiqué, "la livraison durable de cette assistance commencera cette semaine par voie aérienne à Deir Ez Zor et simultanément à Fouah, Kafrayah, Madaya, Mouadhimiyeh, et à Kafr Batna par voie terrestre, et continuera tant que les besoins humanitaires persisteront […] L'accès humanitaire à ces zones qui en ont le plus besoin sera une première étape vers un accès complet, durable et sans restriction à travers tout le pays". Il est à noter que de telles missions humanitaires ont déjà débuté, les Russes ayant ravitaillé la partie assiégée de Deir Ez Zor par le Groupe Etat Islamique (GEI) par des parachutages. Il est vraisemblable qu’il n’y avait pas que des vivres sur les palettes. A savoir que le régime risque de connaître à cet endroit isolé dans l’est du pays son petit Diên Biên Phu (toutes proportions gardées puisque si la garnison tombe, cela n’entraînera pas la capitulation du régime). Il est probable que des opérations humanitaires de ce type pourront se poursuivre, voire s’étendre après négociations au cas par cas. Mais inutile de se voiler la face, cela ne permettra pas aux populations de vivre normalement. Au mieux (et c’est déjà bien, un "mieux"), un peu moins de personnes mouront de faim, de froid ou faute de soins. Un autre problème réside dans les détournements que connaîtra une partie de cette aide humanitaire au profit des belligérants et des trafiquants en tous genres.

Le deuxième est militaire. Cela consiste en une "cessation des hostilités […] dans tout le pays", mesure qui s’appliquera à tous les mouvements non classés "terroristes" par les Nations Unies, c’est-à-dire le Front Al-Nosra (le bras armé d’Al-Qaida "canal historique" en Syrie) et le Groupe Etat Islamique (GEI, Daech). "La cessation des hostilités commencera dans une semaine, après confirmation par le gouvernement syrien et l'opposition, suivant des consultations appropriées en Syrie […] Pendant cette semaine, le groupe de travail développera les modalités pour la cessation des hostilités". Là, ce n’est pas un "cessez-le-feu" puisque la guerre va continuer contre Daech et contre le Front Al-Nosra. Si pour Daech c’est assez simple, puisque ce mouvement agit globalement seul en-dehors de certaines zones comme dans le Sud-Est de la Syrie, ce n’est pas le cas pour le Front Al-Nosra. A savoir que ce mouvement est complètement intégré à des dispositifs où combattent d’autres formations rebelles qui sont toutes bien loin d’être "modérées". En effet, certaines d’entre elles sont pénétrées par Al-Qaida "canal historique" qui, par souci tactique bien pensé, a gardé secrète cette allégeance de fait. Il va être bien difficile pour les forces légalistes et les Russes de distinguer où se trouvent les unités contre lesquelles ils peuvent engager le combat et les autres. De leur côté, les rebelles ont annoncé qu’il était hors de question de baisser les armes tant qu’un changement de régime n’était pas survenu à Damas. Visiblement, cela n’est pas à l’ordre du jour.

En quoi la bataille d'Alep, qui focalise aujourd'hui tous les regards, est représentative des difficultés qu'auront les différentes parties à respecter cet accord ?

Si les combats font actuellement rage dans l’ensemble du pays, l’attention internationale se porte actuellement sur Alep car, depuis la fin 2015, la situation a été renversée dans cette région extrêmement symbolique. En effet, les forces légalistes étaient jusque-là sur la défensive, menacées d’être coupées de leurs bases arrières situées plus au sud du pays. La première raison de cette nouvelle donne a été l’intervention de l’aviation russe qui a commencé à matraquer la région à la fin septembre 2015. Cela a d’abord eu lieu dans la profondeur du dispositif rebelle pour l’affaiblir. Ensuite, tout s’est accéléré en novembre avec l’offensive des Tiger Forces (forces spéciales syriennes), cette fois appuyées directement par des bombardements tactiques. Cela leur a permis de lever le siège que subissait depuis près de trois ans la garnison de la base de Kuweires située à l’est d’Alep. Les forces du GEI qui tiennent tout l’est d’Alep ont tenté de mener des contre-attaques à plusieurs reprises et ont continué de harceler la base au moyen de tirs d’artillerie et de mortiers. Cela n’a pas empêché les forces gouvernementales de s’y renforcer pour ensuite mener des attaques destinées à désenclaver progressivement la zone.

Le 1er février, une force conjointe constituée d’unités de la 4ème division blindée, des milices des Forces de Défense Nationale (FDN), de hezbollahis libanais, des milices chiites irakiennes Kata'ib Hezbollah et Harakat Hezbollah al-Nujaba soutenues par les pasdarans iraniens, a lancé une vaste offensive vers le nord-ouest d’Alep la ville, toujours appuyée au plus près par l’aviation et sans doute l’artillerie russes. Cela a permis la libération le 3 février de deux localités à majorité chiite de Nubi et Zaahra. Les quelques 5 000 miliciens chiites qui défendaient ces agglomérations ont pu ensuite être intégrés au dispositif offensif des forces gouvernementales, toujours en mal d’effectifs au sol. La saisie de cette zone a coupé l’axe de ravitaillement des rebelles passant par ce que l’on appelle le "corridor d’Azaz" jusqu’au poste frontière turc de Bab al-Salam situé plus au nord.

Parallèlement, les Kurdes se sont avancés vers l’est depuis le canton d’Afrin où le Parti de l’union démocratique (PYD), considéré comme "terroriste" par Ankara car proche du PKK, est présent en force car la population y est majoritairement kurde. Si aucun accord officiel n’a été conclu entre le PYD et Damas, il semble qu’il y ait au moins sur le terrain un pacte de non-agression mutuelle, si ce n’est même une véritable coordination entre les différentes forces comme cela est déjà le cas dans le quartier de Cheikh Maqsoud dans le district nord de la ville d’Alep où les Kurdes sont majoritaires. C’est ainsi qu’après avoir pris possession d’une dizaine de villages situés au nord-ouest d’Alep, les Unités de protection du peuple (YPG), le bras armé du PYD et ses alliés "arabes" (il convient de préserver les apparences de la "coalition" des Forces Démocratiques Syriennes -FDS- qui regroupe le PYD à des tribus arabes et à des chrétiens syriaques) se sont emparés de la base aérienne de Menagh située à six kilomètres au sud d’Azaz. Elle était tombée aux mains du Front Al-Nosra et du Ahrar al-Sham en août 2013. Si les Kurdes parviennent à résister aux violentes contre-attaques actuellement lancées par les rebelles, cette base pourrait constituer une excellente plateforme à partir de laquelle l’offensive vers l’est pourrait se poursuivre, cette fois contre Daech. En effet, cette base peut permettre aux Russes d’approvisionner en armes et munitions les FDN. Les Américains sont un peu "coincés" car ils soutiennent depuis des mois cette même coalition dans le Nord-Est du pays en espérant qu’elle pourra reprendre Raqqa, la "capitale" de l’Etat Islamique. L’offensive kurde ne sera pas une tâche aisée car la ville de Dabiq, le symbole même de l’idéologie salafiste-djihadiste, n’est située qu’à quelques dizaines de kilomètres plus à l’est. Il est légitime de penser que le GEI fera tout pour la défendre.

Aujourd’hui, les combats se poursuivent dans Alep-même, opposant les forces syriennes au mouvement Nur al-Din al-Zanki, de la "Brigade du Nord", du Liwa Suqour al Jabal (qui se disent membres de l’ASL) et du Front Al-Nosra. Une coopération étroite de ces mouvements est en œuvre, si bien que l’on retrouve des missiles TOW fournis par les Américains dans tous les camps (même d’ailleurs dans celui de Daech qui a dû les récupérer au marché noir, une activité traditionnelle en Syrie).

Comme on peut le voir, la situation à Alep est extrêmement compliquée et imbriquée. De plus, le sort des armes y est encore incertain, même si pour la première fois depuis le début de la guerre civile, des combattants étrangers font preuve d’une certaine baisse de moral. Je ne vois pas comment les combats pourraient cesser dans cette zone à moins que les Russes ne l’imposent.

Non concerné par cet accord, l'Etat Islamique sort-il renforcé ou affaibli du résultat des négociations ?

Cet accord, s’il est appliqué, pourrait permettre de concentrer tous les efforts dans la guerre contre Daech. Mais comme je le disais précédemment, il ne faut pas rêver. De plus, il faudrait coordonner les opérations entre les Américains et les Russes, ce qui est aujourd’hui impensable pour des raisons politiques.

Ce qui est certain, c’est que le GEI est très loin d’être vaincu sur le terrain et qu’il est capable de lancer des contre-attaques redoutables, particulièrement à Deir Ez Zor qu’il pourrait bien conquérir dans les semaines qui viennent, à la frontière du nord-Liban, à Damas, au nord d’Alep où il tente aussi de progresser vers l’ouest dans le "corridor d’Azaz". De plus, il tient fermement ses positions, particulièrement Raqqa et Palmyre où l’armée syrienne piétine devant cette ville symbolique depuis des mois. Son pouvoir terroriste reste intact. D’ailleurs, chaque fois qu’une importante localité est contrôlée par les forces gouvernementales, il prend soin d’y déclencher des attentats significatifs.

En France, Manuel Valls plaide pour une intervention au sol de troupes locales ou de certains pays arabes. Quelles conséquences cela aurait-il sur le conflit ?

Je croyais que la politique étrangère était de la responsabilité du président de la République ? Cette déclaration, à mon sens inappropriée, reste vague et parle de "troupes locales" (mais lesquelles ?) ou de certains "pays arabes". Il ne semble pas penser à la Turquie, qui n’est bien sûr pas un "pays arabe".

Cela dit, tout pays extérieur qui envisagerait de mettre des "boots on the ground" en Syrie risque d’allumer un brasier qui jettera le Proche-Orient dans un chaos que personne ne sera en mesure de contrôler. La proposition saoudienne (appuyée par la Turquie et qui semble contenter Washington) de venir mener le combat contre Daech en Syrie (et pourquoi pas en Irak) me semble relever de l’inconséquence (incompétence ?) la plus profonde. On voit les brillants succès remportés aujourd’hui par l’armée saoudienne au Yémen ; les bombardements pour le moins imprécis qu’ils y délivrent ne semblent pas émouvoir plus que cela la communauté internationale si prompte à s’indigner par ailleurs. Mais cela satisfait au plus haut point les munitionnaires américains qui peinent à fournir les milliers de bombes de tous calibres commandées. Sur place, les rebelles al-Houthis ne perdent pour ainsi dire pas de terrain, tout en lançant des missiles sur des installations saoudiennes situées au sud du royaume. Al-Qaida vient encore de s’emparer de cinq localités supplémentaires sans coup férir. Mais c’est une autre histoire.

La situation est telle en Arabie saoudite que beaucoup d’observateurs commencent à se demander s’il ne va pas y avoir une révolution de palais. Il reste la possibilité d’une opération lancée par le président Erdogan au motif de mettre en place la zone tampon qu’il appelle de ses vœux depuis des années. Imprévisible comme il l’est, tout est imaginable. Par contre, c’est la réaction des Russes qui sera alors intéressante à suivre. Sur le plan des règlements internationaux, la Turquie serait dans l’illégalité totale agissant sans mandat de l’ONU et la Russie dans la légalité ayant été appelée à l’aide par le gouvernement syrien qui siège encore à l’ONU.

L’option basse sera la livraison de missiles sol-air aux rebelles. Curieusement, on ne les a pas encore vus à l’œuvre sur le terrain…

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