Ces questions que François Hollande aurait pu poser au président chinois <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Président français en visite en Chine aux cotés de Xi Jinping.
Le Président français en visite en Chine aux cotés de Xi Jinping.
©Reuters

Voyage officiel

Le président français a vigoureusement plaidé hier jeudi, au premier jour d'une visite de 37 heures à Pékin et Shanghai, pour un "rééquilibrage" des échanges commerciaux mais abordé prudemment la question des droits de l'Homme.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Atlantico : "Le problème, il est chinois. Ils trichent sur tout. Sur la monnaie, en matière de recherche..." Les propos du président Hollande lors de sa visite en Chine sont bien loin de ceux tenus par le candidat. Qu'aurait-il pu dire au président chinois qu'il n'a pas dit ? (Yuan, accords commerciaux, droits de l'homme…)

Antoine Brunet : Lors de la conférence de presse, M. Hollande a répété qu'il avait insisté sur la nécessité du rééquilibrage des échanges Chine/France. Il a par ailleurs semble-t-il obtenu 60 commandes d'Airbus, ce qui n'est pas négligeable s'il s'agit effectivement de nouvelles commandes. Il a par ailleurs laissé entendre que les investissements chinois en France ne l'intéressaient que s'ils créaient de l'emploi en France ; c'est là aussi une approche nouvelle (un peu comme la France avait dans les années 90 obtenu des investissements physiques du Japon en France avec l'usine Toyota de Valenciennes). Il a laissé aussi entendre dans sa conférence qu'il s'était porté demandeur d'une redéfinition des règles en matière de change et de commerce international, ce qui peut être considéré comme une allusion voilée aux infractions commises par la Chine à l'esprit et à la lettre des règles de l'OMC.

On peut toutefois regretter que cette allusion ait été trop voilée, que M.Hollande n'ait pas été plus précis, qu'il n'ait pas évoqué explicitement les subventions de 10% à l'exportation instaurées unilatéralement début 2012 par la Chine et qu'il n'ait pas évoqué non plus l'anomalie renouvelée que constituent des droits de douane de 30% de la Chine sur les produits européens et de 5% de l'Union européenne sur les produits chinois. Il n'a pas non plus évoqué le fait que le positionnement actuel du yuan contre le dollar et contre l'euro conduit à un coût horaire du travail ouvrier en Chine qui est environ 25 fois inférieur à celui de la zone euro. Il est vrai que la diplomatie et les conférences de presse à l'étranger ont leurs "règles de rondeur". Il est vrai aussi qu'aucune question en ce sens ne lui a été posée par les journalistes, français, chinois et étrangers, qui y étaient présents.

En ce qui concerne la question du Tibet et celle des droits de l'homme, M. Hollande a affirmé qu'il avait évoqué ces sujets. Il a même invoqué qu'il avait traité la liste des principales demandes que les institutions européennes ont établie en cette matière. L'expérience a montré que, malheureusement, en dehors du levier indirect que constitue l'exigence de rééquilibrage de leurs échanges commerciaux avec la Chine, les pays démocratiques disposent de peu de leviers pour infléchir le régime totalitaire et antidémocratique qui prévaut en Chine depuis trop longtemps. Malheureusement, il faut déjà s'estimer content quand, lors de leurs voyages officiels en Chine, les dirigeants des pays démocratiques s'abstiennent de désavouer les populations chinoises, tibétaines et ouïghours qui luttent courageusement pour obtenir leurs droits élémentaires et quand ils refusent d'admettre, comme le souhaiteraient tellement les dirigeants du Parti Communiste Chinois, l'existence de "valeurs asiatiques" qui seraient soi-disant distinctes des valeurs universelles.

Celui qui traitait la Chine " d’adversaire" est-il rattrapé par la réalité diplomatique ?

A la fois, oui et non. Oui. Pour la première fois à ma connaissance, un homme d'Etat français a reconnu publiquement, même si ce fut de façon allusive, que la Chine comptait dans le financement de la dette de la République française. Le secret d'Etat concernant la répartition de la dette publique française auprès de l'étranger est un secret bien gardé, un secret auquel M.Hollande a eu accès lors de la passation de pouvoir à l'Elysée en mai 2012. Il est probable que la Chine, du fait qu'elle est devenue l'un des Etats étrangers banquiers de la France, dispose malheureusement d'un levier important sur la diplomatie française.

Non. Les Etats-Unis depuis mi-2011 ont commencé à réagir à la montée en puissance fulgurante de la Chine. Or M. Hollande se montre un allié, important et sans complexe, des Etats-Unis en Europe, en Afrique, en Syrie et en Asie. Cette configuration nouvelle a certainement joué pour que M. Hollande puisse être présent à Pékin en y faisant bonne figure.

Quel devait être l'objet de cette rencontre ? L'objectif est-il atteint ?

Il y avait de toute façon nécessité, des deux côtés, d'un voyage du Président de la République française en Chine après celui de M. Sarkozy à Shanghaï en 2010, et ce d'autant plus qu'un changement de dirigeants vient d'intervenir à Pékin. Il y avait pour la France nécessité de rappeler au Parti Communiste Chinois que la Zone Euro ne se limite pas à l'Allemagne et que, sur beaucoup de dossiers, la France se différencie de l'Allemagne. Il y avait aussi une nécessité et une opportunité pour la France de réaffirmer sa volonté de rééquilibrer les échanges avec la Chine au moment où un pays comme le Japon vient d'imposer à la Chine une dévaluation de 23% du yen contre yuan, précisément pour arracher le rééquilibrage de ses échanges avec elle, ce dont il a tant besoin.

En insistant sur le fait que la France, à la différence de l'Allemagne, est très attachée à la croissance et à l'emploi et tient plus encore que l'Allemagne à rééquilibrer ses échanges avec la Chine, M. Hollande a peut-être suggéré à la Chine que la zone euro et la BCE pourraient bien le jour venu, elles aussi à leur tour, renoncer à la sacro-sainte stabilité de l'euro contre yuan et déprécier fortement l'euro contre yuan si la Chine s'entêtait à renouveler des excédents colossaux sur la France et sur la zone euro.

Quelle valeur accorder au fait que François Hollande soit le premier dirigeant étranger reçu par le nouveau président chinois ?

Si la Chine a choisi la France pour la première visite d'Etat aux nouveaux dirigeants de Pékin, c'est parce qu'elle sent que le rapport de force international n'est plus autant en sa faveur et que depuis l'été 2011. Le vent ne souffle plus systématiquement en sa faveur. L'équipe Hu Jintao et Wen Jiabao a connu à l'été 2011 l'ivresse du succès. A cette date, elle a revendiqué comme lui revenant les 3 500 000 km2 de la mer de Chine du sud (la mer Méditerranée en compte seulement 2 500 000). Elle a insisté sur le fait que cela signifiait que la propriété des fonds sous-marins lui revenait totalement et que seule la flotte de guerre chinoise serait habilitée à y croiser. A l'été 2012, elle a revendiqué les îlots Senkaku au Japon, ce qui était une façon indirecte de réclamer la souveraineté sur la mer de Chine de l'est. Récemment, elle a installé des missiles anti-porte-avions sur sa zone côtière face à Taïwan.

Par toutes ces initiatives unilatérales et agressives, la Chine incommode très fortement ses voisins asiatiques, Japon, Vietnam, Corée du sud, Taïwan, Singapour, Philippines, Malaisie, Indonésie et même l'Inde. La Chine avait besoin de savoir comment se comporteraient la France et l'Europe en cas de tension croissante entre la Chine d'un côté, le Japon, les Etats-Unis et leurs alliés asiatiques de l'autre. Quant à la France, elle avait un intérêt évident à accepter l'invitation : il y avait nécessité d'une normalisation et d'une clarification entre la France et la Chine, particulièrement sur la question des échanges bilatéraux et sur la question des alliances de la France.

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