Ces mutuelles qui font la promotion de l’euthanasie en omettant de rappeler les économies qu’elles leur permettraient de réaliser<!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreux individus favorables à la légalisation de l’euthanasie le sont, me semble-t-il, pour des raisons personnelles.
De nombreux individus favorables à la légalisation de l’euthanasie le sont, me semble-t-il, pour des raisons personnelles.
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Cela a de quoi faire peur !

La Mutuelle générale de l’Education nationale (MGEN) a envoyé un courrier aux députés dans lequel elle apporte son soutien pour “promouvoir une évolution de la loi qui permette une fin de vie libre et choisie”.

Claire Fourcade

Claire Fourcade

Claire Fourcade est présidente de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP). Formée au Canada, est médecin dans le pôle de soins palliatifs (EMSP + service de SP + HDJ) de la Polyclinique Le Languedoc à Narbonne depuis 20 ans.

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Atlantico : La Mutuelle générale de l’Education nationale (MGEN) a envoyé un courrier aux députés dans lequel elle apporte son soutien pour “promouvoir une évolution de la loi qui permette une fin de vie libre et choisie”. Quels sont les intérêts des mutuelles à soutenir l’euthanasie ? Sont-ils économiques ?

Claire Fourcade : Il s’agit d’un sujet complexe. En France, parce que l’on aborde le sujet de manière particulièrement émotive. Il est donc très mal vu de pointer du doigt les intérêts économiques pourtant réels qui se situent derrière les demandes des mutuelles de soutenir la légalisation de l’euthanasie. 

La situation au Canada a montré qu’il y avait un fort intérêt économique pour les mutuelles à encourager l’euthanasie. Qu’en est-il aujourd’hui de la situation sur place ?

Le Canada a légalisé l'euthanasie est le suicide assisté en 2016. Depuis, il y a eu une progression vertigineuse du nombre de d'euthanasies et très peu de suicides assistés. Aujourd’hui, il s’agit du pays avec une progression du taux de décès par euthanasies la plus importante au monde, en particulier au Québec. Désormais, le système de santé canadien publie chaque année les économies que cela permet de réaliser. 

C’est une situation que je connais assez, pour avoir fait ma formation de soins palliatifs au Canada pendant 2 ans. Le débat sur cette question est beaucoup moins prononcé qu’ici. La question est abordée de manière plus individualiste, sans doute, mais la forte poussée du nombre d’euthanasie tend à ramener le sujet sur le devant de la scène ; d’autant que la pratique concerne pour beaucoup les individus affichant des difficultés d’accès au soin. On parle ici de personnes en situation de précarité ou de handicap, ayant des difficultés à financer la prise en charge des soins dont ils pourraient avoir besoin et qui font donc face à une forme d’incitation, sinon à la perception d’une forme d’incitation. Le scandale de la mutuelle des vétérans, qui a incité ses clients à opter pour l’euthanasie quand le matériel est devenu trop cher, illustre bien cette réalité. Depuis, la question fait polémique.

Rappelons, en effet, que le Canada avait mis en place des verrous très stricts quand il a légalisé l’euthanasie en 2016. L’euthanasie ne devait être pratiquée qu’à l’approche de la fin de vie et dans le cas de souffrances réfractaires. Ces verrous ont ensuite sauté très vite. Rapidement, la notion de fin de vie a été évacuée, notamment pour des raisons juridiques, et la pratique a rejoint le domaine des soins. Il est devenu obligatoire pour les soignants de proposer l’euthanasie comme faisant partie des soins. Ainsi, elle a perdu son statut d’exception et s’est normalisée.

Le Canada prévoyait d’ailleurs d’aller plus loin, avec l’euthanasie pour maladie scientifique, sans mal physique donc. Mais compte tenu de l’inquiétude de nombreux psychiatre et de la question de la prévention du suicide, nombreux sont ceux qui redoutent la possibilité que les verrous sautent aussi vite que par le passé.

Que sait-on des économies que les mutuelles réalisent grace à l’euthanasie ?

Les derniers mois de la vie sont aussi ceux qui coûtent le plus cher. Pas nécessairement du fait des soins palliatifs, mais souvent en raison de la réanimation. Dans tous les cas, on parle d’une période très consommatrice de soins et c’est aussi un sujet que l’on se refuse à aborder en France, parce qu’il est jugé tabou. Les questions financières touchant à l’euthanasie sont vécues de façon très violentes et il devient dès lors difficile d’en débattre.

De nombreux individus favorables à la légalisation de l’euthanasie le sont, me semble-t-il, pour des raisons personnelles. Ils ont fait face à des expériences difficiles, douloureuses, et je ne crois pas que l’on puisse remettre en question la motivation de celles et ceux qui militent en ce sens. En revanche, l’implication des mutuelles pose clairement question. Il y a peu de sujets relevant du sociétal poussant de tels organismes à s’impliquer de la sorte et je ne peux que constater, en 25 ans de pratique, que les mutuelles ne nous aident pas beaucoup dans l’accompagnement des personnes en fin de vie.

Ce qui est spectaculaire, avec le courrier de la MGEN de jeudi matin, c’est qu’il est affirmé qu’ils militent pour que chacun bénéficie de l’aide active à mourir. Mais à aucun moment il n’est question de militer pour le développement des soins palliatifs ou l’accès aux soins. Or, en France, on compte 500 personnes qui décèdent chaque jour sans avoir pu accéder aux soins palliatifs dont elles auraient pu avoir besoin. Un certain nombre de nos concitoyens partent d’ailleurs en Belgique ou en Suisse pour bénéficier de l’euthanasie. 

J’exerce, à titre personnel, dans l’un des départements les plus pauvres de la France métropolitaine. Beaucoup de nos patients ont de grosses difficultés et peinent à bénéficier des aides à domicile ou à obtenir du matériel. Ils n’ont généralement pas de soutien particulier des mutuelles. C’est un point qu’il faut rappeler, d’autant que la grande majorité des patients en fin de vie souhaitent vivrent jusqu’au bout dans la dignité. Rares sont les patients qui demandent à mourir. J’ai été confrontée à trois demandes d’euthanasie persistante, en tout et pour tout. La motivation des mutuelles doit donc être questionnée. 

La lettre de ce jeudi matin a de quoi faire peur, parce que ces organismes ne font même plus semblant.

Quels sont les risques, selon vous ? Sur quoi le soutien des mutuelles à l’euthanasie peut-il déboucher ?

Ce message aura nécessairement un impact très fort sur les patients en fin de vie qui, rappelons-le, sont des personnes vulnérables. D’autant qu’il s’agit d’un message collectif qui, à certains égards, est porté par une partie de la société. Ce message consiste à dire que ceux qui ne veulent pas mourir coûtent cher et cela aura forcément un poids sur le choix des personnes. Or, on nous présente toujours le choix de l’euthanasie comme un choix libre.

Le cas du Canada est un excellent exemple. Chaque année le nombre d’euthanasie progresse de plus de 50%. Cela traduit une souffrance, bien sûr, mais aussi une pression normative de la société puisque l’euthanasie est maintenant présentée comme une solution acceptable sinon souhaitable pour le reste de la société dans des situations de dépendance. Le choix contraire est perçu comme onéreux. La pression normative est réelle et elle nous fait craindre que les gens fragiles ou vulnérables soient victimes de ce type de situation, qu’ils se disent qu’ils sont de trop.

Les mutuelles seraient-elles en mesure de réduire les remboursements ou de revoir leurs critères de remboursements pour encourager l’euthanasie au détriment des soins paliatifs, une fois celle-ci légalisée ?

Probablement pas dans un premier temps. D’abord parce qu’il est envisagé actuellement de permettre l’euthanasie pour des gens dont le pronostic vital est engagé à moyen terme, c’est-à-dire dans les 6 à 12 mois. Cela veut dire que les mutuels n’auront pas besoin de dé-rembourser. On peut dès lors imaginer que les mutuelles réaliseront des économies parce que l’euthanasie viendra mécaniquement supprimer cette période de la vie de certains patients. Ensuite, il faut bien comprendre que c’est un sujet qui demeure très difficile à aborder, particulièrement quand il faut le faire en tête à tête. C’est quelque chose que les patients et les proches vivent comme extrêmement blessant, déshumanisant.

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