Ces milliardaires chinois qui continuent à disparaître mystérieusement<!-- --> | Atlantico.fr
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Fin 2020, Jack Ma, célèbre patron du géant chinois Alibaba, avait disparu avant de réapparaître quelques mois plus tard.
Fin 2020, Jack Ma, célèbre patron du géant chinois Alibaba, avait disparu avant de réapparaître quelques mois plus tard.
©JORGE SILVA / POOL / AFP

Qui est derrière ces disparitions ?

Ces dernières années, plusieurs milliardaires chinois ont mystérieusement disparu. Le dernier exemple en date est Bao Fan, un homme d'affaires exerçant dans le secteur des technologies.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Ces dernières années, plusieurs milliardaires chinois ont mystérieusement disparu. Le dernier exemple en date est Bao Fan, un homme d'affaires exerçant dans le secteur des technologies. Que sait-on de ces disparitions ?

Emmanuel Lincot : Elles relèvent à la fois du règlement de comptes, du positionnement du Parti vis-à-vis de l’opinion chinoise, laquelle dans sa majorité reste viscéralement opposée au monde des riches. Il y a du Mélenchon chez Xi Jinping et une volonté claire pour le dirigeant chinois de ne pas être associé au monde des affaires comme pouvait l’être Chiang Kai-chek dans les années trente. Ces purges et punitions « exemplaires » s’inscrivent dans des techniques d’intimidation et de terreur psychologique : a tout moment le Parti peut vous frapper. Ses agents vous font disparaître, vous passez à des aveux que l’on vous force à confesser. Dans le meilleur des cas, vous réapparaissez, brisé. Le sort des hommes d’affaires que le Parti a dans le collimateur est le même que celui subi par le monde du show-business. Les réputations sont définitivement détruites et l’opinion peut ainsi se repaitre de ces sacrifices. Les morts violentes comme la pratiquent les Russes contre les oligarques s’avèrent en revanche plus rares. Question de conjoncture sans doute : le pouvoir chinois n’est pas encore acculé comme l’est celui du Kremlin. Ce climat de peur a toutefois pour conséquence une fuite des plus grandes fortunes à l’étranger et notamment à Singapour. La cité-Etat en bénéficie largement comme elle bénéficie du déclin de Hong Kong. Depuis un an, la Chine a perdu 11 % de ses milliardaires.

Fin 2020, Jack Ma, célèbre patron du géant chinois Alibaba, avait lui aussi disparu avant de réapparaître quelques mois plus tard. Existe-t-il aussi des cas moins médiatisés ?

Oui. En réalité, le Parti s’appuie sur des mafias et exerce son emprise d’une manière totalement arbitraire. Vous pouvez échapper à cet arbitraire grâce à des protections qu’assument des responsables haut placés dans la hiérarchie du Parti. Ce sont de véritables parrains. Si ces parrains tombent à l’occasion de nouvelles nominations, et c’est inévitablement le cas à l’issue des remaniements de ces derniers jours à assemblée nationale populaire, vous pouvez perdre ces protections. Votre réseau, votre clientèle sont alors menacés. Cette situation vous force à vous rendre indispensable et vous conduit à une surenchère permanente de cadeaux, d’obligations diverses, pour sanctuariser vos intérêts. Cette insécurité est inhérente au système; laquellle est évidemment étrangère à une société de droit, à ses modes de fonctionnement comme aux principes d’égalité et de traitement devant la loi. Les cas sont nombreux de ces cadres révoqués et dont la révocation fait aussi tomber des hommes d'affaires, particulièrement en province et dans des secteurs d'activité comme l'immobilier.

A-t-on des raisons de penser que le gouvernement chinois est directement impliqué dans ces disparitions ? Comment l’expliquer ?

Bien sûr. Vous ne pouvez pas penser un seul instant que l’arrestation d’un Jack Ma par exemple n’ait pas eu lieu sans son concours. Cela signifie que Jack Ma a perdu ses protections ou surevalué celles dont il bénéficiait. Sa disparition a coïncidé avec un renforcement des pouvoirs de Xi Jinping et a signifié par là même la fin d'une ère, celle des années Hu Jintao (le prédecesseur de l'actuel Président), qui donnait par ailleurs le sentiment qu'une plus grande libéralisation du système était alors encore possible. Encore une fois, Xi Jinping est obsédé par l'histoire tragique de l'ex-Union Soviétique et ne veut surtout pas être débordé par des hommes d'affaires qui mettraient en péril l'équilibre toujours fragile, et gagné de haute lutte entre la société civile et le Parti.

Peut-on comparer ces méthodes employées par Pékin à la disparition d’oligarques russes survenues ces dernières années ? Dans quelle mesure est-ce une pratique courante dans les pays autoritaires ?

Encore une fois, si l'assassinat est une pratique courante en Russie, elle l'est moins en Chine. Pour des raisons sans doute pragmatiques et utilitaires. Je m'explique: tel dirigeant condamné aujourd'hui en Chine peut un jour revenir sur le devant de la scène. Il sera bien contraint à quelques contritions mais sa "rééducation" psychique et politique prévaudra souvent. L'exemple le plus significatif en cela est Deng Xiaoping. Conspué durant la Révolution culturelle par les Gardes Rouges, menacé de mort tandis que son fils était defenestré, contrait à l'autocritique devant de jeunes hystériques, prêts à en découdre dans le stade des ouvriers de la capitale, il devient deux ans plus tard le maître incontesté de la Chine. Evidemment, tous n'ont pas cette chance et le meurtre politique en régime autoritaire est d'autant plus probable que le pouvoir exécutif ne peut en rien être contrôlé. Cela est lié à la nature profonde de ce qu'est une dictature. Dans sa définition la plus simple, la dictature répond à une logique de confusion des pouvoirs. Une démocratie, certes toujours imparfaite, répond, quant à elle, à une logique de séparation des pouvoirs. Si la violence n'est évidemment absente de la vie et d'une société en démocratie, elle est en revanche  érigée en principe de gouvernance dans une société dictatoriale. Nous pouvons donc nous attendre à des violences d'autant plus accrues en Chine que Xi Jinping est au sommet de son pouvoir et que ce dernier va finir d'une manière ou d'une autre par être contesté au sein même du Parti comme à l'extérieur de celui-ci...

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