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Ces erreurs majeures de communication politique que le gouvernement ne parvient pas à corriger
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Nocives

De la sous-estimation de la gravité de la situation à la cacophonie autour des masques, le gouvernement a multiplié les erreurs depuis le début de l'épidémie de Covid-19.

Philippe Moreau-Chevrolet

Philippe Moreau-Chevrolet

Philippe Moreau-Chevrolet est communicant et co-fondateur de l'agence de conseils en communication MCBG Conseil.

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Atlantico : Vous avez commenté les différentes interventions du président de la république ainsi que la stratégie de communication des pouvoirs publics en vous montrant relativement critique : quelle est selon vous la plus grosse erreur de communication que le gouvernement continue à commettre ?

Philippe Moreau-Chevrolet : Le gouvernement a fait deux grandes erreurs au début de la crise. La première a été de reconnaître tardivement sa gravité : jusqu'à quasiment la veille du confinement, le président de la République nous incitait à sortir au théâtre. Il y a eu aussi beaucoup de déni de la part des autorités, qui ont expliqué que c'était une grippette qui n'aurait pas beaucoup de conséquences. Cette minimisation de la crise à son démarrage a laissé des traces : beaucoup de Français ont mis du temps à croire ce qui leur était présenté, à croire la gravité de la crise et à y adhérer. Cela n'a pas été sans conséquences sur la situation sanitaire. Cette erreur a été commune à beaucoup de gouvernements.

La deuxième erreur est, elle, spécifiquement française. C'est l'erreur de communication sur les masques. Il y a eu trois temps sur ce sujet : le premier a été d'expliquer que les masques ne servaient à rien ; le second de dire que les Français ne savaient pas les utiliser ; le troisième de reconnaître qu'il y avait une pénurie de masques et qu'on allait en commander en Chine. On a menti pendant longtemps avant de reconnaître la vérité, on a communiqué de manière absurde en dissimulant la vérité et en accusant presque les Français d'utiliser les masques s'ils en avaient. Le gouvernement est allé très loin dans le déni et l'agressivité à ce sujet alors que la vérité était simple : il y a une pénurie de masques. La réponse est étonnante aussi car, si acheter des masques en Chine est une solution, on aurait attendu plus d'emphase sur le redéploiement d'une filière textile française pour produire des masques. Ce langage de bon sens sur la relocalisation de l'industrie, le redéploiement du textile, qui aurait été très encourageant pour tout le monde, n'a pas été entendu. C'est la voie du pire qui a été choisie et on craint que le gouvernement ne reproduise cette erreur – ça en ferait donc une troisième – sur les tests sérologiques. On espère vraiment que ça ne sera pas le cas car la confiance des Français envers le gouvernement a déjà été très entamée par la question des masques et le déni de la situation.

Vous vous êtes étonné que les ministres portent parfois une parole différente de celle du Président comme on l’a vu au lendemain de l’allocution d’Emmanuel Macron. Comment l’expliquer ? Et l’autorité du Président vous paraît elle en jeu ?

Le fait que les ministres parlent à tort et à travers après l'allocution de lundi dernier est très étonnant, car nous sommes dans une situation de crise extrême. Il ne peut y avoir qu'un seul message entendu par les Français. Pas plusieurs, car sinon on alimente la confusion, on mine la confiance et on abîme la stature du chef de l'Etat. Dans une situation comme la nôtre, où 37 millions de personnes ont écouté le président, il faudrait laisser l'impact se faire, installer un silence ou un écho pour que cela fonctionne bien et que les Français puissent se fier à une boussole. Le fait que les ministres parlent à tort et à travers, souvent d'une manière improvisée – on a entendu Jean-Michel Blanquer dire que tous les enseignants seraient dotés de masques, ce qui est impossible ; on a entendu des ministres parler de sécurité, de sujets non confirmés – donne l'impression que chacun y va de sa partition pour exister individuellement, ce qui est préjudiciable à la communication du gouvernement.

A la décharge des ministres, le dispositif de contrôle de la parole, qu'il faudrait pour éviter que ça se produise, n'existe pas. Il n'y a visiblement pas de coordination de la communication entre l'Elysée, Matignon et les ministres. Il n'y a pas de personne(s) qui puisse assurer cette fonction de coordination et de discipline. Peut-être faudrait-il que l'Elysée (ou Matignon) se saisisse enfin de cette question. Au fond, dans cette crise, on a besoin d'entendre trois personnes en dehors du chef de l'Etat : Edouard Philippe, Olivier Véran et Jérôme Salomon, qui font tous les trois un travail exceptionnel de pédagogie et de transparence, qui eux essayent de reconstruire de la confiance. Ce sont eux qui devraient parler ; les autres devraient se taire.

Les reproches sur la stratégie du gouvernement commencent à s’accumuler, quelles erreurs ou défaillances seront selon-vous les plus difficiles à faire oublier ?

Il s'agit de l'erreur sur les masques. On espère qu'il n'en sera pas de même pour les tests. C'est le péché originel du gouvernement : avoir menti et avoir été agressif sur les masques alors qu'il aurait fallu faire prendre d'humilité. Ce qui va être difficile à faire admettre aux Français, et ce qui renforce leur sentiment d'impuissance, c'est qu'on ne leur donne pas les moyens de se protéger à titre individuel : pas de gel hydroalcoolique, pas de masques, pas de tests. Ce sentiment d'impuissance est redoutable et se paiera cash, au moment du déconfinement ou des futures échéances électorales. On ne peut pas mettre les gens dans ce confinement, les priver de leur liberté, et ne pas leur donner les moyens de se protéger. Rester chez soi sans moyen de se protéger d'une maladie mortelle, c'est le moyen-âge.

Même si la communication n’apporte pas en soi de réponse de fond, elle aide souvent à renforcer la capacité à dépasser les crises : quelle stratégie de sortie voyez-vous pour le gouvernement après la crise actuelle  ?

Tout dépend de la façon dont le déconfinement sera géré. Tout dépend des masques et des tests. En admettant que le déconfinement se passe à peu près bien – si la réponse sanitaire est tout aussi satisfaisante, forte et belle qu'elle l'est actuellement ; si les mesures économiques permettent d'atténuer la crise, ce qui est possible car il y a eu une bonne gestion de la crise par Bercy – la sortie de crise pourra se faire mieux que l'on anticipe. Cela permettra de créditer le gouvernement du fait d'avoir bien géré la crise. Mais est-ce que cela permet d'être réélu ? Malheureusement, les Français ont tendance à être injustes et à sanctionner même des gouvernements qui ont bien agis, car ils ont envie de tourner la page des périodes de crise. On peut penser que ça profitera sur le long terme à des figures de la droite sociale, par exemple, qui vont avoir une image plus expérimentée que celle d'Emmanuel Macron, et qu'on ira vers un gouvernement plus d'union nationale, avec plus de cheveux gris pour plus de réassurance. La droite sociale serait une hypothèse, avec des noms qui circulent comme Xavier Bertrand, Rachida Dati, François Baroin ou même Nicolas Sarkozy. Ce sont des possibilités. Pour le gouvernement, le gros problème va être la succession de procès qui s'annonce. Il y en a une trentaine déjà. Cela va constituer un catalogue de litiges.

Le déconfinement pose autant de questions que le confinement. L'enjeu pour le gouvernement est vraiment de sortir de sa réponse moyen-âgeuse à la crise, pour aller vers une réponse moderne avec des masques, du gel, des tests. Si le gouvernement arrive à sortir par le haut de cette crise, avec une réponse plus proche de celle de la Corée du Sud que du moyen-âge français, il aura gagné. Mais le chemin à parcourir est encore long.

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