Ces éléments troublants qui montrent que le camp trumpiste avait préparé une stratégie pour assurer son maintien au pouvoir quel que soit le résultat de l’élection présidentielle de 2020<!-- --> | Atlantico.fr
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Jack Smith (à gauche) est le procureur qui a inculpé Donald Trump (à droite)
Jack Smith (à gauche) est le procureur qui a inculpé Donald Trump (à droite)
©SAUL LOEB, EVA MARIE UZCATEGUI AFP

Mémo compromettant

Deux documents en particulier dressent un plan précis pour renverser les résultats des urnes.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Mike Pence a pris la parole sur Fox News, une interview durant laquelle il n’a pas hésité à lancer des accusations contre Trump et son équipe. De quoi retourne-t-il exactement ?

Jean Eric Branaa : Une commission d'enquête avait déjà eu lieu. C'était la Chambre qui avait organisé des auditions publiques où ces éléments avaient déjà été présentés. Donc, à présent, la situation est plus officielle, devant la justice et avec un grand jury.

Jusqu'à présent, Mike Pence n’avait pas pris la parole sur ce sujet. On avait rapporté sa parole mais il n’avait rien confirmé directement. Il ne voulait pas témoigner car il ne voulait pas participer à une enquête concernant le président qu’il avait servi. La justice lui a dit qu’il devait témoigner et il a annoncé qu’il s’y conformerait.

Il a expliqué que le président et ses avocats lui avaient demandé d’annuler les votes. C’est là où les choses se compliquent. En réalité, il est difficile de discerner la vérité, surtout étant donné que les avocats impliqués étaient, entre autres, Eastman et Giuliani. Mais il n'y a pas de preuve concrète que le président lui ait directement demandé quoi que ce soit. Et Trump, s’il parle beaucoup le fait de manière savamment ambigüe. Quand il s'exprime, cela ouvre souvent la porte à différentes interprétations. Cette complexité rend les choses délicates.

Il affirme donc qu'il n'a pas demandé l'annulation, mais plutôt la suspension des votes pendant quelques jours pour approfondir les enquêtes de fraude et que le cas échéant, comme le prévoit la Constitution américaine, l’élection soit renvoyée aux Etats. Aux Etats-Unis, la présidentielle dépend des États et doit être validée par le Congrès. Mais si jamais il y a des doutes concernant les grands électeurs d'un État, le vice-président des Etats-Unis en sa qualité de président du Sénat, a la possibilité de faire voter la Chambre. Dans ces cas-là, un état, une voix. Or, même si les démocrates étaient majoritaires, les Républicains contrôlaient plus d’Etat. Ainsi, le président aurait très probablement été Donald Trump, étant donné les circonstances.

En somme, il n'y a pas de nouveauté à ce sujet. Cependant, ce qui est nouveau, c'est que Mike Pence parle beaucoup et qu'il annonce son intention de témoigner. Les avocats de Trump rappellent que, selon les règles du système américain, ils auront la possibilité de contre-interroger le témoin. Et ils ont de nombreuses manières de diminuer l’impact de son témoignage :

Ils demanderont si le témoin a réellement entendu Trump exprimer l'intention d'annuler les élections, ce à quoi il répondra probablement par la négative. Il pourra justifier de notes ou autre mais on pourra reprocher leur inexactitude. Cette situation se réduit à une confrontation de paroles, puisqu'il n'y a vraisemblablement pas d'autres témoins. Or, conformément au système juridique américain, le jury doit être convaincu au-delà d'un doute raisonnable pour prononcer une condamnation. La stratégie de Trump repose sur la mise en doute.

Atlantico : Quelles sont les preuves, témoignages ou documents, qui indiquent que le camp Trump a élaboré un tel plan ? A quel point sont-elles fiables ?

Guilhem Dedoyard : John Eastman, un avocat conservateur a été recruté par l'équipe juridique du président Donald Trump. Il pensait que le vice-président avait le pouvoir, constitutionnellement, d’interférer dans l’élection, en faveur de Trump. Comme le rappelle William Reymond dans un long post : "Trump s'est rapproché d'Eastman en août 2020. Eastman venait de publier un article où il expliquait que la candidature de Kamala Harris à la vice-présidence n'était pas légitime sous le faux prétexte qu'Harris n'était peut-être pas une citoyenne naturelle".

Il aurait fourni à l’équipe de Trump et peut être au président lui-même, une note de deux pages, un plan visant à persuader le vice-président, Mike Pence, de subvertir la Constitution et d'annuler les résultats des élections de 2020 lors du 6 janvier. Cette note a été obtenue initialement par Bob Woodward et Robert Costa du Washington Post, qui l’ont révélé dans leur livre « Peril ». Le document est visible ici .

Le juriste estime selon ce texte que la Constitution donne à Pence la possibilité de refuser unilatéralement de valider les résultats dans 7 États clés, remportés par Biden, dans lesquels les pro-Trump ont fait valoir un résultat différent. Sans eux, Trump a plus de grands électeurs (232) que Biden (222). La majorité l’emporte et Trump reste président, même s’il n’a pas atteint les 270 nécessaires. Si cette décision fait trop polémique, le scénario prévoyait que Pence pourrait alors décider de renvoyer la décision à la Chambre des Représentants où chaque État représente désormais une voix. Comme l’explique plus haut Jean-Eric Branaa, les Républicains avaient plus d’Etat que les Démocrates. Trump aurait donc vraisemblablement été réélu. Plusieurs juristes ont contesté la légalité d’une telle action du vice-président, si elle avait eu lieu. Toujours est-il que Mike Pence a refusé de se conformer à ce plan si, comme il le dit, celui-ci lui a été présenté.

En janvier 2021, Eastman aurait envoyé un second mémo proposant cette fois-ci 6 scénarios pour permettre à Trump de rester en place. Le document est accessible ici.

Ces documents existent bel et bien, mais ils ne sont pas datés et rien ne prouve avec certitude qu’ils aient été mis dans les mains de Trump et encore moins que lui ou ses équipes aient décidé d'appliquer ces plans. Néanmoins la défense de Donald Trump ne semble pour l’instant pas contester frontalement ces documents. Interrogé par plusieurs médias, l’un des avocats de Trump, John Lauro a déclaré que M. Trump pensait pouvoir demander au vice-président de l'époque, Mike Pence, d'interrompre le décompte des grands électeurs sur la base d'un "mémorandum très détaillé d'un expert constitutionnel", à Fox News. M. Trump "a reçu l'avis d'un conseiller - très, très sage et très érudit - sur toute une série de questions constitutionnelles et juridiques", a-t-il également dit à NPR. Il clame ainsi que Trump ne faisait que suivre les conseils d’un avocat lui apparaissant raisonnable et qu’il n’y a par ailleurs aucune preuve que Trump ne « croyait pas » à l’idée qu’il y avait eu fraude. 

Par ailleurs, Trump pourrait également être inculpé, dans les prochains jours, en Georgie.  Des poursuites pénales à l'encontre de l'ancien président pourraient découler d'un appel téléphonique post-élection avec le secrétaire d'État républicain de Géorgie, Brad Raffensperger, au cours duquel M. Trump a fait pression sur ce dernier pour qu'il lui "trouve 11 780 votes" (le président Joe Biden a battu Trump en Géorgie par 11 779 voix). Un enregistrement audio de cette conversation a été rendu public par les équipes de Raffensperger. La perspective de cette inculpation inquiéterait particulièrement Trump, comme l'explique William Reymond sur Twitter.

Peut-on penser que Trump a effectivement tenté d’actionner ce plan et que Mike Pence l’a fait rater ?

Jean Eric Branaa : C’est le procès qui le dira. Depuis le mois d'août, il laissait entendre que les votes par correspondance et anticipés étaient illégaux, et insistait sur l'importance de voter à des heures précises et de présenter une pièce d'identité pour éviter toute fraude. Il semblait évident qu'il préparait le terrain pour contester le vote, remettre en question les grands électeurs et créer une confusion générale.

En effet, dans certaines régions, des cas de double vote ont été signalés, ce qui a créé des complications à la Chambre. Si le vice-président annonçait posséder deux séries de voix et ne savait pas lesquelles choisir, cela aurait bloqué tout le système. C'était une situation complexe.

L'action de Mike Pence était claire dans ce contexte. Il a suivi la Constitution avec rigueur. En tant que président du Congrès à ce moment-là, il avait le rôle de certifier l'élection présidentielle en se basant sur le vote des grands électeurs, conformément à la Constitution. Ces électeurs s'étaient réunis le troisième jeudi de décembre et avaient confirmé Joe Biden comme président. Le nombre de voix populaires ou de voix de grands électeurs n'affectait pas cette décision. Mike Pence a appliqué la Constitution de manière précise, et il n'y a rien à lui reprocher à ce sujet.

L'image de Mike Pence restera positive dans l'histoire, car il a agi avec dignité et conformément aux règles. Ses avocats ont déjà souligné ce point de manière solide et cela sera encore plus évident pendant le procès.

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