Ces dividendes versés en France mais qui proviennent de gains largement réalisés à l’étranger<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les entreprises du CAC 40 ont versé des dividendes record en 2022.
Les entreprises du CAC 40 ont versé des dividendes record en 2022.
©ERIC PIERMONT AFP

Année record

Les grandes sociétés du CAC 40 ont versé 56 milliards d’euros en dividendes en 2022, un montant record depuis 2003. Certains considèrent que ces dividendes sont excessifs et se réalisent au détriment des travailleurs nationaux : c’est oublier qu'ils sont surtout une redistribution des dividendes issus des filiales étrangères.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : L’année 2022 a été marquée par un record de dividendes versés en France. Dans quelle mesure les gains associés sont-ils réalisés à l’étranger ? 

Michel Ruimy : Dividendes et rachats d’actions illustrent, cette année, une nouvelle fois, que le dividende n’est ni une idole, ni un tabou, mais un instrument au service d’une redistribution progressive des capitaux propres au sein de l’ensemble des entreprises par l’intermédiaire des investisseurs, afin de les allouer au mieux au profit d’une économie aussi efficiente que possible.

Certains considèrent que les dividendes distribués par les entreprises françaises prouveraient que leurs profits sont excessifs et se réalisent au détriment des travailleurs nationaux. C’est oublier que ces revenus sont surtout une redistribution des dividendes issus de leurs activités productives étrangères. A cet égard, l’ensemble des firmes multinationales françaises (hors secteur bancaire et services non marchands) contrôlent un peu plus de 45 000 filiales à l’étranger dans plus de 190 pays, qui réalisent près de la moitié de leur chiffre d’affaires consolidé. Une filiale sur quatre est implantée aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne. Les salariés des filiales commerciales sont concentrés en Chine et au Brésil.

En se penchant sur les entreprises du CAC 40, lesquelles sont concernées par ce phénomène ?

Dans une année 2022 difficile sur les plans économique et géopolitique, les bénéfices des entreprises ont bien résisté dans l’ensemble. Mais autant le dividende est décrié par les politiques, les responsables syndicaux et une bonne partie de l’opinion publique, autant il s’avère très apprécié des investisseurs.

À Lire Aussi

Lutter pour le pouvoir d’achat oui. Mais pas forcément en passant aujourd’hui par la case hausse des salaires

Les grandes sociétés réunies au sein du CAC 40, principal indice boursier français, ont versé 56 milliards d’euros en dividendes en 2022, un montant record depuis 2003 (46 milliards en 2021 et 29 milliards en 2020 durant la pandémie de Covid). S’y ajoutent des rachats d’actions pour un montant de 24 milliards.

Les trois premiers groupes redistribuant des capitaux propres à leurs actionnaires ont représenté près de 30% du volume : TotalEnergies (13,3 milliards d’euros de rachats d’actions ou de dividendes), LVMH (7,1 milliards) et Sanofi (4,7 milliards). La barre des 50% est franchie en ajoutant quatre autres groupes à ce trio de tête, BNP Paribas, Stellantis, AXA et Crédit agricole.

Selon certaines estimations, les dividendes versés par les entreprises devraient, en Europe, dans un contexte inflationniste, atteindre un nouveau record cette année. Le risque porterait seulement sur les dividendes 2023 dont l’essentiel sera payé en 2024.

Selon les données d’Eurostat, pour l’année 2021, les profits nets après impôt issus des activités situées en France des entreprises françaises se limitaient à 8% de la valeur ajoutée nette qu’elles dégagent sur le territoire de la France. C’est moins que presque tous les autres pays de l’UE. Qu’est-ce que cela signifie si on compare la situation à celle dans d'autres pays ?

De manière générale, quelle que soit la variable étudiée, il convient d’insister d’une part, sur la très grande diversité des situations des entreprises et d’autre part, d’apprécier ce chiffre dans une perspective historique. Enfin, la pertinence d’une telle comparaison est limitée par les spécificités des systèmes fiscaux locaux et des diverses subventions à la production locales.

À Lire Aussi

Quand les patrons du Cac 40 gagnent en moyenne 7,9 millions d’euros par an (+ 52%), ça risque de grogner, forcément, alors que…

Si le ratio Profits nets / Valeur ajoutée (VA) atteint 8%, la rémunération totale des travailleurs - y compris les cotisations sociales des employeurs - représente une part de leur valeur ajoutée nette dégagée sur le territoire de la France, supérieure à celle de presque tous les pays de l’Union européenne. Ceci ne signifie pas pour autant que les rémunérations françaises ont connu une dynamique satisfaisante mais que la hausse des salaires nets depuis plusieurs années est extrêmement faible en raison particulièrement de la mollesse de la croissance : une part constante de la VA reste, en effet, insuffisante à générer de fortes hausses de salaire. 

Au-delà de simples considérations économiques, la répartition des profits des entreprises est aussi présente dans les débats de société. Ces revenus boursiers sont mal répartis. Les actifs dont les actions en Bourse constituent la plus grosse part sont détenus, en Europe, à plus de 60% par les 10% de la population la plus fortunée. Cette proportion est encore plus forte et frôle ou dépasse les 70% partout ailleurs dans le monde. Il conviendrait de rappeler l’importance de mieux partager la valeur entre actionnaires et salariés.

Comment faire en sorte que ces entreprises fassent plus de gains en France qu’à l’étranger ? Et pourquoi est-ce important ?

Le recul du marché financier l’an passé ne doit pas faire oublier que l’investissement en actions est un placement de long-terme dont 40% de la performance totale, en Europe, provient des dividendes. Ainsi, lors des précédentes récessions, la baisse des dividendes a été moins prononcée que celle des bénéfices (en moyenne, la diminution des dividendes correspond à 2/3 de celle des bénéfices), les Conseils d’Administration des entreprises, qui décident du montant du dividende, essayant en général d’amortir le choc pour les actionnaires.

À Lire Aussi

Le « made in France » : bien plus qu’une mode, un véritable atout commercial

Compte tenu de l’ouverture des frontières, les grandes entreprises mettent notamment en concurrence les systèmes fiscaux des différents pays au moment de leur choix d’implantation. Le jeu des prix de transferts et des redevances intra-groupes leur permet de pratiquer une optimisation fiscale c’est-à-dire de déclarer leurs profits dans les pays le « moins disant » en termes de fiscalité. Ces pratiques se développent grâce aux paradis fiscaux soit en Europe (en particulier, Irlande, Pays-Bas, Luxembourg, Jersey), soit à l’extérieur de l’Europe (Îles Caïman, Bermudes, État du Delaware…). 

Cette concurrence fiscale est impulsée par les « petits pays » puisqu’une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés leur fait perdre peu de recettes sur leur base taxable nationale - obligatoirement faible - tout en leur faisant gagner beaucoup en contrepartie en attirant une partie de la base fiscale des autres pays, de plus grande tailles.

Une réforme de la fiscalité en France poserait de nombreuses questions quant à la gestion des finances publiques et du rôle de l’Etat dans notre société.

À Lire Aussi

Les économistes se sont penchés sur la manière dont les entreprises intègrent l’actualité dans leurs prévisions et voilà ce qu’ils ont trouvé

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !