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Ces deux risques majeurs qu'Emmanuel Macron et En Marche sont prêts à courir dans la double perspective présidentielle - législatives
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Stratégies

La stratégie que semble adopter Emmanuel Macron parait risquée. D'une main, il veut remporter le vote d'adhésion tout en "boudant" celui contre Marine Le Pen, et de l'autre, il refuse les mains tendues.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Alors que les stratégies de deuxième tour commencent à prendre forme pour les deux candidats, comment juger des propos tenus par l'équipe d'Emmanuel Macron, dont l'objectif serait d'obtenir un vote d'adhésion, et non un vote d'opposition au Front national. Quels sont les risques d'une telle stratégie ? 

Christophe Bouillaud : Il est bien sûr logique qu’un candidat à la Présidence de la République veuille être élu sur sa personne et son programme puisque c’est là la logique même du choix démocratique d’un représentant par le peuple, cependant, le candidat Macron, positionné au centre,  ne semble pas bien toujours mesurer la distance qui le sépare des préférences des électeurs situés loin à sa droite ou à sa gauche. Il ne semble pas mesurer la contrainte qu’il fait peser par son positionnement réclamant une adhésion sur le choix des électeurs aux fortes convictions droitières ou gauchistes, républicains toutefois qui voudraient absolument faire obstacle à la candidate du Front national, mais qui ne peuvent admettre que leur vote pour E. Macron soit ensuite interprété par ce dernier comme un soutien franc et massif à ses propositions politiques qu’ils ne partagent en rien. Christine Boutin, qui certes ne représente sans doute pas grande chose en termes de consensus politique, a bien exprimé cette répulsion. Elle dit voir dans la ligne politique d’E. Macron le contraire de ce pour quoi elle dit s’être toujours battu. Elle en vient du coup à annoncer qu’elle va voter elle-même pour Marine Le Pen, tout en ne croyant pas du tout aux propositions de cette dernière, mais elle dit le faire simplement pour ne surtout pas ajouter au consensus qui soutiendrait un Macron  élu Président de la République. La liberté de choix entre l’abstention, le vote blanc ou nul ou le vote Macron que prône Laurent Wauquiez pour les électeurs des Républicains rejoint en demi-teinte la réaction viscérale de Christine Boutin. On peut trouver la même attitude à gauche, même si, pour l’instant, aucun professionnel de la politique de ce camp-là ne s’est exprimé dans ce sens. Ce genre de réaction ne se trouve pour l’heure que de la part de simples électeurs engagés sur les réseaux sociaux. Cependant les trois choix (abstention, vote blanc ou nul, vote pour E. Macron) proposés aux Insoumis par leur direction ressemblent à s’y méprendre aux libertés prônées par A. Wauquiez pour son propre électorat. Du coup, il me semble que, si E. Macron souhaite vraiment être élu avec une majorité confortable, il devrait éviter de dégouter d’un vote « républicain »  en sa faveur les électeurs les plus politisés et les plus éloignés de lui des camps qu’il a défaits au premier tour (droite républicaine, socialistes, écologistes, communistes, etc.).  Il a cependant encore le temps de montrer qu’il  rassemblera d’abord les républicains au-delà d’une victoire des électeurs qui l’ont soutenu au premier tour. De toute façon, les sondages qu’on ne manquera pas de faire sur ce sujet au lendemain du deuxième tour constitueront le juge de paix de cette polémique. 

De la même façon, et alors que certains ténors de la droite ou de la gauche se proposent comme des recours envisageables, notamment au poste de premier ministre, Emmanuel Macron semble pour le moment se refuser au jeu des alliances. En quoi une telle stratégie pourrait s'avérer risquée ? Si une victoire en solitaire pourrait conférer à Emmanuel Macron un pouvoir "fort", une défaite pourrait plonger sa probable présidence directement dans une cohabitation. Emmanuel Macron joue-t-il avec le feu en jouant ainsi sa partition ? 

Il se trouve ici pris dans une contradiction. D’une part, il entend incarner le renouveau, la liquidation des anciens partis de gouvernement qui ont mal gouverné la France depuis des décennies. Il n’a sans doute pas tort par ailleurs.  Il est alors logique de vouloir faire, si j’ose dire, le ménage de ces derniers. D’autre part, il est bien évident que ces mêmes partis de gouvernement, tout particulièrement dans leurs ailes modérées, se trouvent idéologiquement les plus proches de ce qu’il propose, par opposition aux deux ailes des divers partis extrémistes que sont d’un côté le FN, DLF et autres souverainistes, de l’autre  EELV, les Insoumis, LO, et NPA. Par ailleurs, E. Macron, au-delà de se positionner au centre,  est aussi allié à un parti centriste traditionnel,  tout à fait inscrit dans l’histoire longue de deux républiques, le Modem de François Bayrou dont les racines remontent au MRP (Mouvement républicain populaire) de la IVème République. Il peut donc être caricaturé sans grande difficulté par le FN comme la nouvelle incarnation de l’UMPS ou de l’RPS par les frontistes. E. Macron cherche donc logiquement à éviter cette impression, tout en devant accepter de fait que le soutien à son égard soit plus sincère de la part des dirigeants les plus modérés des partis de gouvernement. 

Jusqu’au second tour de la présidentielle, il n’a sans doute pas d’autre choix que de tenir cette ligne qui enregistre les soutiens sans les récompenser. De fait, s’il est élu le 7 mai, un autre jeu commencera. Selon toute vraisemblance, il pourra former un premier gouvernement pour aller aux élections législatives. C’est alors que les alliances à sa droite et à sa gauche se décideront. Il fera probablement une double ouverture, à droite et à gauche. Il est pour l’instant soutenu essentiellement par des dissidents du PS, qui forment l’ossature politique d’En Marche !, et par le Modem, le seul allié actuel. Il lui faudra sans doute chercher à élargir. De ce point de vue, l’ampleur de sa victoire au second tour importe peu. Si sa victoire est étroite, elle montrera la gravité de la situation sociale française. Il lui faudra élargir. Si sa victoire est large, il recherchera aussi à élargir sa majorité pour aller encore plus loin dans la domination de la future assemblée.

Plus globalement, en quoi le mouvement "En marche !" se voulant ni de droite ni de gauche doit tout de même faire face au clivage traditionnel pour des raisons pratiques ? Comment Emmanuel Macron peut-il concilier son opposition au Front national tout en tentant de rallier les électeurs de droite et de gauche ?

Tout d’abord, comme l’a montré le collègue Frédéric Sawicki (Université Paris 1), les 500 parrainages d’E. Macron qui lui ont permis de se présenter viennent essentiellement d’élus de gauche. Pour l’instant, par sa structure dirigeante, En Marche ! consiste un mouvement de centre-gauche, allié à un parti de centre-droit, le Modem.  Sauf grossière erreur de ma part, le grand sponsor politique d’En Marche !, c’est le maire de Lyon, Gérard Collomb, élu socialiste depuis 1977, certes assez peu connu nationalement pour des raisons qui échappent un peu à un Lyonnais comme moi. Ségolène Royal qu’il serait difficile de classer ailleurs qu’au PS, n’a-t-elle pas parlé de « notre candidat arrivé en tête » à propos d’E. Macron ? Du coup, En Marche ! ressemble surtout à ce stade à une scission de droite du PS. Il lui est donc assez facile d’apparaître comme l’antithèse du FN, d’autant plus qu’E. Macron lui-même s’est positionné lors du débat sur la déchéance de la nationalité de 2015-16 comme le défenseur d’une vision ouverte  de la nation – contre François Hollande et surtout contre Manuel Valls, le Premier Ministre de l’époque. Du coup, le vrai danger pour E. Macron vient sans doute de la droite, puisqu’il a déjà derrière lui une bonne partie du PS. Au moment des législatives, s’il n’a pas réussi à désarticuler les Républicains de quelque façon lors de la formation de son gouvernement, il risque alors d’apparaître comme simplement une version édulcorée du PS ou plutôt une version du PS épurée de tout résidu de socialisme, le social-libéralisme décomplexé en quelque sorte.  Les Républicains, s’ils restent unis,  ont d’ailleurs déjà un thème de campagne tout trouvé pour s’opposer à la vague macroniste : la suppression de la taxe d’habitation pour 80% des ménages qui risque de ruiner les collectivités locales que des élus des Républicains dominent par ailleurs depuis les élections intermédiaires du quinquennat Hollande. Il sera bien sûr difficile de défendre devant les électeurs le maintien d’un impôt, mais cela leur permettra de défendre leur sens de la République contre la « démagogie » d’E. Macron. 

Pour l’instant, pour la campagne du second tour de l’élection présidentielle, E. Macron devrait surtout souligner les aspects consensuels de son programme. Il a déjà commencé à le faire puisqu’il s’est requalifié lui-même de « patriote » lors de son discours de dimanche soir dernier pour édulcorer le côté perçu comme trop européiste de son positionnement. Mais il doit surtout se méfier de certains de ses soutiens, comme d’un Jacques Attali, cet ancien mauvais génie de F. Mitterrand,  qui, en présentant le problème de Whirpool comme « anecdotique », a rappelé à quel point certains parmi les élites ralliées à E. Macron étaient hors d’état de comprendre les difficultés réelles des électeurs des classes populaires.  Le délégué général d’En Marche ! a d’ailleurs réagi rapidement à cette expression. Le mépris de classe, pour reprendre une vieille expression, de certains de ses soutiens ne peut donc guère aider E. Macron. S’il veut être le nouveau Giscard, il aurait intérêt à apprendre de sa manière de se rapprocher des électeurs, et à demander aux fâcheux de bien vouloir se taire. 

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