Certification d’âge sur les sites porno : mauvaise réponse à une vraie bonne question<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre délégué chargé du Numérique a annoncé qu’à partir de septembre, la France va bloquer l'accès aux sites pornographiques pour les mineurs via une certification de l'âge qui passera par une «attestation numérique»
Le ministre délégué chargé du Numérique a annoncé qu’à partir de septembre, la France va bloquer l'accès aux sites pornographiques pour les mineurs via une certification de l'âge qui passera par une «attestation numérique»
©Lionel BONAVENTURE / AFP

Inefficace

Le gouvernement veut imposer un dispositif de certification de l’âge afin de bloquer l’accès aux sites internet pornographiques pour les mineurs.

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

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Atlantico : Le ministre délégué chargé du Numérique a annoncé qu’à partir de septembre, la France va bloquer l'accès aux sites pornographiques pour les mineurs via une certification de l'âge qui passera par une «attestation numérique». Cette stratégie est-elle la bonne ? Peut-elle être efficace ?

Pierre Beyssac : Même si l'on ne dispose à ce stade d'aucun détail sur les mesures précises envisagées par le gouvernement, il s'agit toujours, sur le fond, de la même stratégie de mise en place progressive de moyens d'identification en ligne. En effet, on voit mal comment une attestion numérique de majorité pourrait être délivrée sans connaître l'identité du demandeur.

La loi correspondante est une modification de l'article 224-27 du code pénal votée en juillet 2020, qui interdit de donner l'accès à du contenu pornographique ou violent sur simple déclaration d'âge.

Depuis, les intervenants chargés de la mettre en œuvre se renvoient la balle, faute de solution. Le gouvernement a décidé de montrer son irritation et de frapper un grand coup, mais on ne peut qu'être sceptique sur ses chances d'y parvenir là où des spécialistes n'ont rien pu faire.

Est-il possible que la mise en place de cette attestation soit une fausse bonne idée ? Quels sont les risques ?

Les risques sont ceux d'une mesure aux effets négatifs disproportionnés avec ce qu'on l'on souhaite éviter. Est-il vraiment souhaitable d'exiger une preuve de majorité de tous en ligne pour bloquer l'accès de quelques mineurs, alors que les contournements resteront possibles, réduisant fortement l'utilité de la mesure ?

La loi n'a d'ailleurs donné lieu à aucune étude d'impact, ni des effets souhaités, ni des effets indésirables. On est plutôt dans l'incantation et la crispation de principe.

La CNIL, qui devait initialement proposer une solution, a fait ce qu'elle a pu mais a implicitement jeté l'éponge, les critères de vérification de majorité étant contradictoires avec la protection élémentaire de la vie privée dont elle est garante. Une solution réelle relèverait de la quadrature du cercle.

L'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), également impliquée, n'a pas de compétences techniques et a donc réuni les acteurs concernés pour tenter de faire émerger une solution, là aussi sans grand succès.

La justice a également été sollicitée, en partie à la demande de l'Arcom, mais pas plus que les autres n'a su trouver de solution.

La solution extrême, de dernier recours, envisagée serait celle d'un blocage pur et simple en France pour tous, adultes compris, des sites contrevenants. Le site pornographique Pornhub a tenté de poser une question prioritaire de constitutionnalité, mais la cour de cassation a refusé en janvier 2023 de transmettre la question au Conseil constitutionnel.

Les acteurs principaux se renvoient donc la balle depuis presque 3 ans.

En particulier, quels risques cela fait-il courir en matière de données personnelles ?

Les risques sont connus :

- développement sans cesse croissant, qu'il soit d'État ou privé, du fichage de nos informations personnelles ;
- dissémination de nos données personnelles chez des acteurs plus ou moins recommandables. On parle ici de données particulièrement sensibles et intimes puisqu'elles concernent directement nos orientations et pratiques sexuelles ;
- risques associés de fuites massives de fichiers ou de détournement de leur finalité y compris potentiellement pour des besoins de police ou de renseignement.

L'article 224-27, en court-circuitant les protections du RGPD (Règlement général sur la protection des données), fournit un prétexte idéal aux grandes plateformes pour collecter en ligne notre identité, comme on l'a vu lors de la restriction d'accès à la vidéo de campagne d'Éric Zemmour pendant la campagne présidentielle de 2022.

Le gouvernement n'a jamais caché son intention de développer les obligations d'identité numérique sur Internet, notamment pour faciliter les mesures de censure et de police, le cas échéant pour contourner les procédures de justice qui représentent pourtant une garantie dans un État de droit. Les restrictions d'accès au porno sont un pied dans la porte idéal pour avancer sur cette voie.

Si le gouvernement parvient à mettre en place les mesures dont il rêve en matière de pornographie, il est probable que nous allons assister à un développement sans précédent des moyens d'accès type VPN, qui permettent de dissimuler aux sites son pays d'origine.

Plutôt que cette mauvaise solution, que pourrait-on envisager pour s’attaquer au problème ?

Il faudrait une approche totalement différente, moins rigide, du sujet, mais sommes-nous capables de penser autrement ?

On pourrait ainsi arrêter de se fonder sur un âge "fixe" de 18 ans concernant les accès en ligne, ce qui permettrait d'envisager des vérifications de maturité moins contraignantes qu'une preuve d'âge. Il en existe déjà, notamment par questionnaires. L'intelligence
artificielle peut aider à innover dans ces directions.

Bien sûr, le rôle des parents est essentiel. Il existe notamment des systèmes de contrôle parental qui permettent de protéger les enfants, avec une autre loi récemment votée à cet égard obligeant les vendeurs de terminaux à mettre des logiciels à disposition gratuitement.

Enfin, il faut se garder du technosolutionnisme, dont la légifération à tout crin est aussi un symptôme, et ne pas oublier qu'on parle avant tout de sujets humains et notamment de droits fondamentaux.

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