Celle à qui Vladimir Poutine parlait le plus : la nature exacte de la relation entre Angela Merkel et le président russe<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine et Angela Merkel.
Vladimir Poutine et Angela Merkel.
©Reuters

Amour vache

Aucun dirigeant n'a eu plus d'échange avec Poutine que la chancelière allemande Angela Merkel. Selon leurs relevés téléphoniques, elle a été deux fois plus en contact au cours des six derniers mois avec le président russe que n'importe quel autre chef d’État.

Jean Sylvestre  Mongrenier

Jean Sylvestre Mongrenier

Jean Sylvestre Mongrenier est chercheur à l’Institut français de géopolitique (Université de Paris VIII) et chercheur associé à l’Institut Thomas More.

Il est notamment l'auteur de La Russie menace-t-elle l'Occident ? (éditions Choiseul, 2009).

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Atlantico : Les relations germano-russes ont été particulièrement mouvementées et ont oscillé entre confiance et méfiance cette année, notamment du fait de l'Ukraine. Comment qualifieriez-vous les relations entre Angela Merkel et Vladimir Poutine cette année ?

Jean-Sylvestre Mongrenier : Les relations entre les deux dirigeants sont aujourd’hui difficiles, du fait de la guerre en Ukraine, mais cette relation bilatérale doit être placée dans un contexte plus large. Il faut prendre en compte l’histoire des relations entre les deux pays sur la longue durée, les guerres et leur mémoire, l’Ostpolitik et ses aspects encore actuels (voir le rôle de Berlin dans la libération de Khodorkovski). A cela s’ajoutent l’interdépendance économico-énergétique et l’importance du partenariat commercial développé après la Guerre froide. Les classes dirigeantes des deux pays se connaissent donc bien et c’est ce qui constitue  l’arrière-plan des relations entre Vladimir Poutine et Angela Merkel.

Concernant leur relation propre, Angela Merkel est bien plus méfiante et réticente vis-à-vis de Poutine, et du régime autoritaire-patrimonial russe, que ne l’était Gerhard Schröder. Ce dernier était et reste très complaisant, pour dire le moins, vis-à-vis de Moscou.

Du fait des relations étroites entre Berlin et Moscou, beaucoup pensaient dans les capitales occidentales que la chancelière allemande était capable de mener une politique d’engagement, c’est-à-dire d’amener la Russie sur la voie de l’Occident et d’en faire un réel partenaire. Pourtant, la crise en Ukraine et les déconvenues de la diplomatie allemande ont remis en cause cette idée. Il se trouve que les dirigeants allemands n’ont pas toujours bien compris le régime russe et anticipé sa politique.

Angela Merkel et Vladimir Poutine partagent des référentiels culturels. Peut-on pour autant dire que la dirigeante allemande est une interlocutrice de choix concernant les relations entre l'Union européenne et la Russie ? Est-elle la plus à même à le comprendre ?

Certes, chacun parle la langue de l’autre, mais on ne peut pas vraiment parler de référentiels communs. L’usage de la langue peut être purement instrumental. Le fait de parler la langue de l’autre peut aussi ouvrir des possibilités de manipulation psychologique. Si l’on en croit Angela Merkel, lorsque que la relation est à peu près correcte entre leurs deux pays, l’un et l’autre emploient le russe. Dès lors que la situation se tend, Poutine parle allemand en prenant le ton d’un ex-officier du KGB, afin de l’impressionner et d’activer un réflexe de peur. De surcroît, Angela Merkel ne serait guère à l’aise avec les chiens, ce que Poutine sait. Pour chercher à la déstabiliser, ce dernier laisse son molosse parcourir la pièce où ils s’entretiennent.

On pourrait aussi penser que le fait d’avoir vécu en Allemagne de l’Est facilite leur relation propre mais il faut rappeler que Poutine y officiait comme agent du KGB, chargé de lutter contre la dissidence. Angela Merkel a vécu dans ce système totalitaire et elle a développé une grande prévention vis-à-vis de ce type de pouvoir. Cela se traduit entre autres par une profonde méfiance à l’encontre de Poutine. La chancelière lui a d’ailleurs rappelé à de nombreuses reprises l’importance des libertés et des droits fondamentaux et ce en Russie même. Par rapport à son prédécesseur, Schröder, c’est là une grande différence. Ce dernier encensait la Russie et la qualifiait de "démocratie exemplaire". Rappelons que Jacques Chirac s’est aussi illustré sur ce plan.

Etant donné les nombreuses "trahisons" de Poutine cette année, comment peuvent évoluer les relations entre Angela Merkel et le dirigeant russe ?

Il faut comprendre que les relations germano-russes sont en grande partie surdéterminées par l’état de la situation générale entre la Russie et l’Union européenne, plus largement entre la Russie et l’Occident. L’Allemagne est membre de l’Union européenne et de l’OTAN. Elle est une puissance occidentale et les relations entretenues avec les Etats-Unis sont très étroites. Les problèmes diplomatiques provoqués par les écoutes de la NSA ne doivent pas déformer les perceptions : il y a bel et bien un « special relationship » germano-américain. Tout cela pèse bien plus lourd que la relation bilatérale germano-russe.

Concernant les relations énergétiques et commerciales, elles sont importantes mais il ne faut pas non plus les exagérer. La Russie n’est que le 11ème partenaire commercial de l’Allemagne, loin derrière les Etats-Unis, la Chine et la France, tout juste après la Pologne.  

De plus, la guerre en Ukraine et le conflit Russie-Occident ont et auront des conséquences. Outre le fait que l’économie russe se détériore pour des raisons endogènes (« dutch disease », corruption et évasion massive de capitaux), les sanctions occidentales aggravent la situation. Des firmes, allemandes et autres, gèlent leurs d’investissements vers la Russie et le gouvernement allemand a suspendu des contrats militaro-industriels.

Historiquement, comment ont évolué les relations entre la Russie et l'Allemagne ?

Depuis la fin de la Guerre froide, les relations entre l’Allemagne et la Russie sont été avant tout commerciales et énergétiques. Au milieu des années 1990, les troupes russes se sont retirées d’Allemagne et les Pays d’Europe centrale et orientale (PECO) ont ensuite incorporé l’Union européenne ainsi que l’OTAN. Dès lors, vu de Berlin, il n’y avait plus de problèmes de sécurité et le commerce pouvait primer.

Avec la guerre en Ukraine et ses implications européennes, les problèmes de sécurité sont revenus au premier plan et les dirigeants allemands s’en préoccupent.  Cela ne peut qu’avoir des conséquences négatives sur les échanges commerciaux et énergétiques entre les deux pays (voir plus haut).

Par ailleurs, la politique énergétique allemande est en cours de redéfinition. La décision de sortir du nucléaire ne joue pas mécaniquement en faveur du gaz russe. En fait, des centrales au gaz sont fermées au profit de centrales au charbon, une source d’énergie aujourd’hui bon marché du fait de la « révolution du gaz de schiste » (les Etats-Unis consomment plus de gaz et exportent sur le marché mondial les volumes de charbon libérés). Les énergies renouvelables – malgré les problèmes rencontrés– sont aussi massivement utilisées en Allemagne. En dynamique, le gaz russe pourrait jouer un rôle moindre dans l’économie et la politique allemande. 

Propos recueillis par Clémence de Ligny

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