Célébrer Karl Marx est-il moralement défendable ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Célébrer la pensée de Marx en passant sous silence son tragique et encombrant destin révolutionnaire serait faire preuve d’infidélité et de lâcheté.
Célébrer la pensée de Marx en passant sous silence son tragique et encombrant destin révolutionnaire serait faire preuve d’infidélité et de lâcheté.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Démarxisation nécessaire

Certains députés insoumis n’ont pas manqué de le faire à l’occasion du 140e anniversaire de sa disparition. Mettant en lumière une question clé : à quel point peut-on attribuer ou non à l’auteur allemand les 100 millions de morts dus au communisme dans le monde ?

André Sénik

André Sénik

André Sénik est agrégé de philosophie.

Voir la bio »

Atlantico : À l’occasion du 140e anniversaire de sa disparition, certains députés insoumis n’ont pas manqué de célébrer Karl Marx. Hadrien Clouet a par exemple souligné que « grâce à son œuvre, l'humanité a accompli un bond dans la compréhension d'elle-même. » Mais au regard de l’histoire, célébrer Karl Marx aujourd’hui est-il moralement défendable ?

André Sénik : Il est logique que les héritiers de Marx veuillent célébrer le concepteur et la référence suprême de leur idéologie révolutionnaire. On en n’attend pas moins du chef du parti communiste chinois, qui doit à la doctrine de Marx d’exercer le monopole absolu et irrévocable du pouvoir sur 1 milliard 400 millions de personnes. À des titres divers, le despote absolu de la Corée du Nord, ou l’héritier russe de Staline sont eux aussi des débiteurs de la doctrine de Marx. Le spectre de Marx inspire bien des ennemis contemporains du monde démocratique, raison pour laquelle ils sont solidaires de Poutine et hostiles au combat du peuple ukrainien.

En France, il n’est plus guère possible de proposer ni même de célébrer ostensiblement la révolution communiste qui mit fidèlement en application le programme du Manifeste du parti communiste écrit par Marx en 1847 et lui servit de révélateur historique.

Il est donc révélateur (et amusant) qu’un représentant des héritiers de ce prophète révolutionnaire en soit réduit à mettre au premier plan la « compréhension du monde » apportée par Marx. Faudrait-il lui rappeler l’une des plus célèbres formules de Marx, écrite en 1845 : « Les philosophes n‘ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières ; il importe de le transformer »

Dans le discours qu’il prononce en 1883 devant la tombe de son maître et ami, Engels confirme que Marx fut avant tout un révolutionnaire au sens pratique de ce terme. « Car Marx était avant tout un révolutionnaire. Contribuer, d'une façon ou d'une autre, au renversement de la société capitaliste et des institutions d'État qu'elle a créées, collaborer à l'affranchissement du prolétariat moderne, auquel il avait donné le premier la conscience de sa propre situation et de ses besoins, la conscience des conditions de son émancipation, telle était sa véritable vocation. La lutte était son élément. »

Célébrer la pensée de Marx en passant sous silence son tragique et encombrant destin révolutionnaire serait faire preuve d’infidélité et de lâcheté.

A quel point peut-on attribuer ou non à l’auteur du Capital les 100 millions de morts dus au communisme dans le monde ?

Si Marx n’avait été que l’auteur que du Capital, il ne serait qu’un économiste discutable et dépassé parmi tant d’autres.

Marx lui-même croyait que le Capital allait porter à la bourgeoisie « un coup dont elle ne se relèvera jamais. » (lettre à K. Klings, 4 octobre 1864).

Et s’il consacra une part importante de sa vie sa vie à la rédaction sans fin de son grand œuvre soi-disant scientifique, ce fut exclusivement au service de la révolution communiste.

En réalité, le seul Évangile du mouvement communiste mondial fut Le Manifeste du parti communiste, un opuscule de 23 pages qui fut un best-seller mondial à l’égal de la Bible. Sa conclusion ne laisse aucun doute sur la responsabilité directe de Marx dans la catastrophe communiste : « Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! » 

Dans quelle mesure faudrait-il que la France, et notamment la gauche française, s’attèle à une « Décommunisation » ou une « démarxisation » ?

La France ( un peu sur la lancée de 1793) est l’un des rares pays démocratiques où l‘on peut se proclamer communiste comme si rien de tragique n‘était advenu dans l’histoire du fait de cette idéologie.

L’autre idéologie totalitaire que fut le nazisme n’a pas eu besoin d’un procès pour dévoiler son caractère criminel. C’est tout l’opposé en ce qui concerne la pensée de Marx qui continue de passer pour une conception humaniste et généreuse. On confond souvent le communisme de Marx avec les idéaux de ceux qui lui donnèrent leur foi, avant d’admettre qu’ils s’étaient tragiquement trompés.

Les historiens ont largement établi la vraie nature du régime communiste. Mais il est difficile d’ouvrir le procès du marxisme, cette conception belliciste de la société dont les fondamentaux inspirent largement La France Insoumise.

J’ai moi-même publié deux livres pour essayer d’ouvrir ce procès des idées de Marx, et je me suis heurté au désir de ne pas savoir chez les défenseurs et les émules de la pensée de Marx. Le jour n’est pas encore arrivé du procès de l’idée communiste.

 En attendant, il est urgent de combattre le schéma de pensée marxiste qui mène la guerre idéologique à notre démocratie libérale. Je pense au concept de la lutte des classes, un paradigme qui prolifère et a été étendu à tous les rapports entre les groupes sociaux. Le virus marxiste de la guerre civile généralisée mérite d’être mis en procès.

Cela veut-il dire que les morts du communisme dans l'histoire sont, plus ou moins directement, attribuables à Marx lui-même via ses écrits et sa pensée ? 

Il n'y a pas d'irresponsabilité des idées. Quand les penseurs se contentent d'émettre des analyses relatives à la politique, ce qui est le cas de Platon et d'Aristote, ils sont critiquables mais pas responsables des actions de leurs disciples.

Marx récuse explicitement le caractère spéculatif de la philosophie et lui oppose l'action politique qui transforme le monde. Il est donc directement responsable des effets inhérents à son programme révolutionnaire. On peut discuter sa pensée sur le plan intellectuel, mais on le tronque si on isole cette pensée de sa finalité pratique révolutionnaire.

Par cette simple phrase : « Les communistes proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé », Marx annonce la table rase de la culture et de l'ordre social hérité du passé, c'est-à-dire des principes, des valeurs et des institutions qui protègent les individus contre la Terreur. C'est ce programme qui a exercé la terreur sur un tiers du globe.Pas une phrase de Marx ne pouvait servir à contester cette terreur d'État. Dans la mesure où les idéologies (comme celles des nazis ou des islamistes radicaux) sont responsables  des crimes qu'elles inspirent et qu'elles exaltent, Marx doit être tenu pour le premier responsable des crimes du communisme.

J'assume ce jugement, et j'y vois même la reconnaissance de l'importance des idées. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !