Ce triple choc économique qui attend l’Europe <!-- --> | Atlantico.fr
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Des employés de PSA travaillent sur une voiture sur la chaîne d'assemblage de l'usine du constructeur automobile français PSA Peugeot Citroën, à Mulhouse.
Des employés de PSA travaillent sur une voiture sur la chaîne d'assemblage de l'usine du constructeur automobile français PSA Peugeot Citroën, à Mulhouse.
© SEBASTIEN BOZON / AFP

Défis européens

Alors que les pays européens ont une croissance faible, l'Union européenne fait face à la hausse des importations chinoises et à la menace de l'imposition de tarifs douaniers en cas d'élection de Donald Trump. L'économie européenne a-t-elle les moyens de résister ?

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : L’économie européenne est confrontée à un triple choc. Après la crise énergétique, l’Europe fait face à une hausse des importations chinoises et à la menace des tarifs douaniers de Donald Trump en cas d’élection alors que les pays européens sont confrontés à une faible croissance. L’économie européenne a-t-elle les moyens de résister face à la vague d’importations bon marché en provenance de Chine ? Les champions européens de véhicules électriques sont-ils menacés par les plans de la Chine ?

Jean-Marc Siroën : L’Europe n’est sortie ni de la crise du Covid, ni de la crise ukrainienne devenue aussi une crise énergétique. Les déficits publics accumulés pour atténuer leurs effets limitent aujourd’hui les marges de manœuvre. Au-delà de ces causes conjoncturelles, qui sont en voie de régression, se posent des questions plus structurelles. Dans un monde en mutation qui, notamment, condamne les voitures à moteurs thermiques qui ont fait son succès, l’Europe a-t-elle les entreprises, les technologies, les hommes ou les capitaux susceptibles de rivaliser avec la Chine, les Etats-Unis et bientôt l’Inde ?

Il ne faut pas surestimer les Etats-Unis dont l’économie se porte très bien mais grâce à une énergie bon marché, au dopage de son industrie par des subventions et un déficit budgétaire abyssal se situant au-dessus de 6 % du PIB (et qui a néanmoins pour contrepartie des taux d’intérêt plus élevés qu’en Europe). Pas sûr que ce soit tenable. Quant à la Chine, son apparente agressivité est due à des subventions encore plus massives qui conduisent à des surcapacités. Les entreprises chinoises tentent alors de trouver des débouchés à l’exportation faute d’en trouver suffisamment à l’intérieur quitte à rogner sur leurs marges. Ces pays n’en ont donc fini ni avec leurs problèmes conjoncturels, ni avec leurs faiblesses structurelles.

À noter qu’en 2023 les importations de l’UE en provenance de Chine ont fortement chuté (18 % d’après Eurostat). Pour l’instant du moins, il n’y a donc pas de raz de marée chinois (et encore moins américaine). La submersion à venir du continent par des importations de voitures BYD (constructeur chinois passé devant Tesla dans la production d’automobiles électriques) est possible mais pas acquise si on considère d’une part le coût de transport et, d’autre part, les surtaxes douanières qui pourraient être levées du fait des subventions chinoises ou d’une extension de la taxe carbone. Les firmes chinoises préféreront sans doute s’implanter en Europe.

Quelles pourraient être les conséquences pour l’économie européenne de la menace brandie par Donald Trump en cas de réélection avec l’imposition de droits de douane sur les importations d'acier et d'aluminium, y compris éventuellement celles en provenance d'Europe ?

Il l’a déjà fait. La menace d’imposer un droit supplémentaire de 10 % sur tous les produits, d’où qu’ils viennent, est donc crédible même si pour la mettre en œuvre il doit affronter la résistance d’un grand nombre d’entreprises qui, paieraient plus cher les biens intermédiaires importés et rendraient plus difficiles leurs exportations. Je ne doute pas que l’Europe prendrait alors des mesures de rétorsion et un bras de fer s’engagerait avec les Etats-Unis. Le pire est que ce ne serait pas le seul sujet de tension entre l’UE et les Etats-Unis. On pense évidemment à la défense et à l’OTAN. L’engagement américain dans la transition écologique pourrait elle aussi être remise en cause.

Personne ne gagnerait à ce regain de protectionnisme. On sait depuis longtemps (au moins depuis les années 1930 en tout cas) que les guerres commerciales sont des jeux perdant-perdant. Il n’est pas sûr que cela suffise à dissuader Trump.

Quels sont les principaux freins qui empêchent l’Europe de connaître une forte croissance ?

Le décrochage sévère de l’Union européenne par rapport aux Etats-Unis est la grande surprise de ces dix dernières années. On peut avancer des raisons macroéconomiques : les ménages américains épargnent peu et consomment beaucoup. C’est aussi le cas des dépenses fédérales. C’est tout l’inverse pour l’Union européenne. La surprise devrait donc moins venir des écarts de croissance que de la capacité des Etats-Unis à soutenir autant leur économie avec une main-d’œuvre rare et une inflation maîtrisée (2,5 %). Les Etats-Unis ont beaucoup investi, dans la recherche et dans les équipements. Ils dominent toujours des industries-clés, GAFAM incluses.

On remarquera que le décrochage des taux de croissance européens par rapport à celui des Etats-Unis est synchrone avec celui de la productivité qui stagne dans l’UE (et régresse en France) quand il s’améliore aux Etats-Unis. Les causes possibles : les pays européens ont moins investi dans les nouvelles technologies et la recherche-développement, sa population vieillit davantage, ses niveaux de formation régressent et, disent les sociologues, un mal-être croissant au travail serait ressenti.

Les erreurs des décideurs politiques européens ou des politiques de la BCE pourraient-elles aggraver considérablement la situation et plonger l’Europe dans de nouvelles difficultés économiques ?

La principale erreur des dirigeants est peut-être de n’avoir pas compris que lorsqu’il s’agit d’investir dans des activités ou des infrastructures porteuses de croissance, il n’est pas sacrilège de s’endetter. Et quand les pays européens le font, ce n’est pas toujours pour financer l’investissement. De ce point de vue, le plan de relance européen, initialement de 750 milliards d’euros, mériterait d’être évalué et, le cas échéant, reconduit.

Quant à la politique monétaire de la BCE, elle tarde trop à adoucir sa politique monétaire alors même que l’inflation ralentit plus rapidement que prévu. Espérons qu’elle ne commettra pas la même erreur qu’au début des années 2010 quand elle avait durci trop rapidement et trop longtemps sa politique monétaire.

Quelles sont les solutions pour l’Europe face à ce triple choc économique ? L’Europe ne devrait-elle pas plutôt forger sa propre politique économique adaptée au contexte actuel ?

Le paradoxe de l’Union européenne (et des prochaines élections) est que beaucoup voudraient qu’elle intervienne moins tout en lui reprochant de ne pas intervenir plus ! Crise du Covid aidant, certains tabous ont néanmoins sauté comme la possibilité de lever un emprunt européen pour financer un plan de relance. D’autre part, les Européens épargnent beaucoup, moins que les Chinois, mais bien plus que les Etats-Unis- ce qui ne serait pas un mal en soi si cette épargne abondante permettait, comme il se doit, de financer les investissements, plutôt que la dette publique et les placements de court terme. Une plus grande intégration des marchés financiers européens faciliterait certainement les choses.

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