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Ce sursaut intellectuel qui manque à notre industrie pour se sauver
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Semaine de l’industrie

La neuvième édition de la semaine de l’industrie ouvre ses portes du 18 au 24 mars. L'occasion de revenir sur les enjeux de la réindustrialisation en France.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Bien sur le « Grand Débat » a d’abord servi à d’autres développements que celui de la réindustrialisation, il s’agissait de permettre à la population de « vider son sac » sur ses angoisses du futur et ses « revendications « . Il n’en reste pas moins que le problème essentiel de notre pays qui est celui du chômage de masse ne peut trouver de solution réelle non dans la redistribution des richesses mais dans l’augmentation des richesses et donc dans leur production. L’affaiblissement de notre appareil industriel a besoin d’un sursaut qui n’ a pas encore été vraiment abordé.

Tout d’abord l’idée que la multiplication des « start-ups » va nous permettre de redresser la barre est un leurre, c’est nécessaire, souhaitable et on peut se réjouir de toutes les initiatives prises en la matière. Mais une « start-up «  nation ne peut réussir que si les transformations des entreprises naissantes en PME puis en ETI et enfin en grandes entreprises est rendue possible par un ensemble de mesures économiques permettant le développement industriel. Force est de constater que ce n’est pas le cas et que bon nombre de start-ups après des débuts aidés et défiscalisés n’ont d’autre solution que de se vendre…et donc  de rechercher des sociétés étrangères pour grossir . Pendant le même temps des ETI nationales sont pénalisées par notre compétitivité nationale insuffisante, le passage des « seuils » conduisant toujours à des difficultés et non à des compliments incitatifs.

C’est donc ailleurs qu’il faut concevoir les solutions pour réindustrialiser le pays.

Tout d’abord la disparition de certains Grands Groupes nationaux a fragilisé le pays , la sidérurgie, la chimie, l’électromécanique, le ciment, l’aluminium …ont fait l’objet de ventes d’actifs et d’abandons de souveraineté. Il faut arrêter cette hémorragie dont notre politique générale porte une grande part de responsabilité. C’est aujourd’hui la filière nucléaire qui est menacée par des idéologues , mais aussi l’automobile, la chimie des plastiques, et bien d’autres entreprises, alors que les orientations choisies ont comme premier effet de favoriser les quasi-monopoles étrangers sur des filières dans lesquelles nous n’avons pas investi . On peut , bien sur, dire que nous avons eu tort et que la politique affirmée va inciter les entreprises à  se développer dans le « bon » sens, mais c’est ignorer le temps de l’industrie qui n’est pas celui du discours : même en mettant des milliards d’euro dans la balance on ne va pas créer une industrie des batteries pour voitures électriques en France ou en Europe en quelques années, pas plus que dans les panneaux photovoltaïques. Sans se prononcer sur nos « fautes » éventuelles, je pense qu’il faut regarder en face la réalité, le développement du véhicule individuel électrique en France dans des délais brefs aura des conséquences désastreuses sur l’appareil industriel existant et ne créera pas avant une dizaine d’années des richesses pour notre pays et notre continent.

Par conséquent, avant de jeter des anathèmes sur telle ou telle filière industrielle, le nucléaire, le diesel, les plastiques, les pesticides, les fossiles, il serait bon de mesurer les conséquences immédiates des décisions envisagées , comme il serait utile à chaque fois que l’on préconise un produit ou un usage d’analyser si cela va conduire à des créations d’emplois industriels dans notre pays ou au contraire à certaines disparitions. Après plusieurs années de diesel-bashing on ne compte plus les entreprises et les emplois menacés, et il sera bientôt trop tard pour faire marche arrière alors que c’était les contraintes demandées au moteur diesel qui étaient insuffisantes et non le moteur lui -même qui a depuis montré que des additifs pouvaient le rendre plus performants, en termes de pollution, que bien d’autres. A chaque fois que la politique se mêle de science ou de technique elle a une grande chance de se tromper et en ce qui concerne l’énergie elle n’arrête pas de le faire, comme en France avec les éoliennes en mer ou en Afrique tropicale avec l’énergie solaire. L’industrie est un métier difficile, mais encore plus pour les professionnels de la politique. La politique industrielle ce doit être par conséquent un ensemble de mesures permettant le développement de l’industrie et non le choix d’objets techniques à industrialiser. Il faut favoriser l’introduction du numérique dans le secteur de production , mais ce n’est pas aux pouvoirs publics de dire comment il faut faire , ce n’est ni leur rôle ni leur métier .Un peu d’humilité et de compétence ne nuit pas. Il faut donc essayer de conserver et de développer les industries encore debout en France et non penser et agir pour elles en les prenant aussi pour cibles permanentes de mauvais agissements, on ne peut pas leur faire de la morale de façon permanente.

Maintenant cela ne suffit pas encore pour redresser le secteur productif national , encore faut-il encourager les développeurs et les inciter à construire des usines dans notre pays . A cet égard le Président de Safran qui se désespère de réussir deux nouvelles implantations en France devrait alerter l’ensemble de la population, il a dit tout haut ce que beaucoup d’industriels n’osent pas avouer. Notre pays, par son mille-feuille administratif sourcilleux et souvent hostile, par ses procédures anti-industrielles nombreuses, par son absence de compétitivité, est devenu un cauchemar pour beaucoup d’industriels au patriotisme incontestable. De nombreux rapports et d’annonces de mesures n’y ont rien changé, un industriel se sent soupçonné et non encouragé, et il peut constater qu’il y a beaucoup de pays où l’herbe est plus verte. L’engouement de certains intellectuels pour une ère post-industrielle avec un changement complet et rapide de société encourage l’idée que la France pourrait vivre avec des cerveaux magistraux faisant payer ses idées brillantes par des producteurs extérieurs qui les paieraient grassement de leurs innovations géniales. C’est encore une ignorance complète des ressorts de l’industrie où la compétence de terrain est essentielle pour être bien surs qu’une idée originale peut réussir, à cet égard l’éloignement parisien de beaucoup de chefs d’entreprises français est une des explications de beaucoup d’échecs, les sièges sociaux des industries éloignés des usines est une absurdité. Mais dans tous les cas notre génie s’avère insuffisant aujourd’hui pour contrer les pays où ont été installées les usines dont nous ne voulions plus, nous vivons l’inexactitude de cette pensée qui a fleuri dans les gazettes ces vingt dernières années : cela ne marche pas, il faut faire si on veut acquérir le savoir-faire ! Heureusement certaines  régions françaises sont en train de montrer qu’elles peuvent se développer industriellement sans être à la remorque du microcosme parisien.

Un sursaut est donc nécessaire, il va venir des industriels eux-mêmes comme l’ont montré les « coups de gueule «  récents des patrons de Peugeot (véhicule électrique)et de Safran (implantations), mais aussi des initiatives sociétales comme celle de Mérieux (sans-abris), des explications des « gravures » sur l’avenir(aux gouvernants) comme celle du patron de Dassault Systèmes à propos du numérique…mais aussi de beaucoup de patrons moins connus mais très efficaces dans toutes les régions françaises. Ils demandent de la considération sur leur technicité, de l’encouragement de la part de l’administration et surtout un arrêt de la multiplication des normes, des initiatives fiscales désordonnées, des conseils stupides…bref, comme je ne cesse de le dire depuis des années qu’on leur fiche la paix : que l’on préfère l’aide ou la neutralité  au dénigrement ou au soupçon.   

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