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Ce que signifie le refus d’Emmanuel Macron de changer de stratégie pour cette rentrée 2018
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Rentrée politique

Selon les informations du journal Le Monde, la stratégie de l'exécutif reste inchangée. Voilà ce que l'on peut en déduire.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Emmanuel Macron entamera sa rentrée politique ce 22 août par un conseil des ministres qui lui permettra d'établir son calendrier de réformes pour l'automne qui s'annonce. Selon les informations du journal Le Monde, et malgré la baisse de popularité à laquelle doit faire face le chef de l'Etat, la stratégie de l’exécutif sera identique à celle menée en 2017 : occuper le terrain avec des réformes. Comment comprendre la poursuite d'une stratégie dans un contexte pourtant totalement différent de celui de 2017 - lorsque la hausse du moral des ménages avait permis à Emmanuel Macron de retrouver un haut niveau de popularité après un été pour le moins délicat ? Ne faut-il pas simplement voir ici un simple désintérêt du chef de l'Etat pour ces questions de popularité ? Que peut révéler une telle approche ? 

Christophe Bouillaud : Dans un système tel que la Vème République, surtout après le passage au quinquennat, la seule élection qui compte au final en France, c’est uniquement celle du Président de la République. Elle décide de tout. En dehors de l’appel par le Président lui-même à une procédure constitutionnelle, telle la dissolution de l’Assemblée nationale (comme J. Chirac en 1997) ou le référendum sur un projet de révision constitutionnelle (comme De Gaulle en 1969), il n’existe pas pendant 5 ans de moyen institutionnel pour le peuple français de signaler au Président son désaccord majoritaire avec la politique menée, et éventuellement de lui enlever du pouvoir (cohabitation) ou de le faire partir de son plein gré (démission). Les sondages, même s’ils sont omniprésents dans les médias, ne sont pas une institution de la République, et, après tout, ils peuvent descendre très bas et remonter ensuite. 

Le pari stratégique d’Emmanuel Macron est probablement que les réformes néo-libérales faites à tambour battant depuis l’été 2017 paieront finalement, et qu’elles assureront sa réélection en 2022. Comme à toutes fins pratiques LREM est un parti de nouveaux députés, qui n’ont pour la plupart pas de longue expérience politique, pas d’implantation locale,  un parti d’élus sans aucun poids politique personnel ou même sans acquis intellectuel propre, qui doivent donc vraiment tout à leur chef, Emmanuel Macron n’a pas à se soucier de leur effroi devant une baisse de la popularité de la majorité présidentielle.  Il peut foncer. Il est seul maître à bord.

Cette approche de la Vème République, monarchique s’il l’on veut, révèle l’aspect profondément idéologique d’Emmanuel Macron. Toute sa politique résume 40 ans d’approche néo-libérale des politiques publiques. Il est sans doute persuadé d’agir pour le bien du pays en fonction de cette vision néo-libérale de la réalité. Il est donc comme un médecin à l’ancienne persuadé qu’il faut faire avaler une potion amère au patient pour le guérir, peu lui importent les plaintes irrationnelles du patient. 

Difficultés sur les questions européennes, réformes des retraites, baisse de la croissance, probable déception des électeurs sur la question de la taxe d'habitation, les signaux d'alerte ne manquent pas pour l'Elysée, quels sont les risques de voir - malgré ce désintérêt, la popularité du chef de l'Etat se dégrader au cours des prochains mois comme l'indiquait un soutien du gouvernement au journal Le Monde, « Si on ne change rien, on va se normaliser. Etre au même niveau de popularité que Hollande ou Sarkozy, ce n’est pas bon » ?

La remarque de cet anonyme soutien du Président tient compte d’un fait d’expérience : face à une telle conjoncture, la popularité d’un Président peut baisser. Le risque tient aussi à un élément dont on n’entendait plus beaucoup parler depuis l’élection présidentielle : l’éventuelle remontée du chômage. Si, par malheur, le chômage se remettait à remonter – sans que le gouvernement puisse le nier par le flou des indicateurs -, c’est tout le pari d’Emmanuel Macron qui commencerait à s’étioler. Or c’est un aspect que le gouvernement ne maîtrise guère, puisqu’il dépend largement de la conjoncture internationale (prix de l’énergie, taux d’intérêt et cours de l’Euro). 

Même en dehors de ce coup de Jarnac que serait une remontée du chômage,  il n’est pas certain qu’un Président puisse remonter une popularité très détériorée. Faut-il prendre le risque de descendre très bas ? Probablement non. Emmanuel Macron pense que oui, parce qu’il croit en sa bonne étoile et en sa capacité à renverser les pronostics des commentateurs grincheux dans mon genre. 

En quoi le contexte d'une opposition divisée et désorganisée, d'une plus faible mobilisation lors des manifestations, permet-il au chef de l'Etat d'adopter une telle stratégie ?  Avec quelles conséquences sur l'ensemble du spectre politique français ?  

La première année de son mandat a montré qu’au niveau actuel de mobilisation lors des grèves ou des manifestations de rue, le gouvernement restait totalement insensible aux protestations, et que les oppositions partisanes sont incapables de se présenter en forces d’alternance  - que ce soit faute de leader, d’alliance ou d’idées. 

Les grévistes de la SNCF n’ont rien obtenu, malgré leur innovation de la grève par intermittence programmée. Les protestations des étudiants contre la réforme ParcourSup n’ont mené à rien. Et les réformes du marché du travail n’ont pas été l’occasion d’un fort mouvement social. Autrement dit, le bilan que peut tirer le gouvernement d’un an de protestation contre ses réformes est qu’il saura maîtriser tout futur mouvement social qui s’exprimerait dans la rue. Il faut aussi souligner les tactiques en matière de maintien de l’ordre qui découragent sans doute une part des possibles manifestants.

En fait, les seules réussites de la part de protestataires sont restées en 2017-18 strictement locales et/ou sectorielles : les gardiens de prison, ou des services publics bien limités comme quelques hôpitaux psychiatriques. Autrement dit, le gouvernement n’a cédé, un peu, que face à un rapport de force localisé où la morale publique et les revendications des agents publics concernés se rejoignent. S’il est facile de traiter les agents de la SNCF de « privilégiés » devant le tribunal de l’opinion publique et donc de déconsidérer toutes leurs revendications, il est plus difficile de le faire pour des gardiens de prison ou pour des personnels d’hôpitaux psychiatriques – deux groupes professionnels qui affrontent des publics que tout un chacun trouve par définition « difficile ». 

A ce compte-là, il me semble que, sauf s’il tombe sur une mobilisation imprévue dans un secteur du salariat, capable de se présenter devant l’opinion publique comme « sans privilèges », le gouvernement va pouvoir continuer à ignorer superbement les revendications exprimées dans la rue. Le seul risque qu’il pourrait avoir à affronter serait une éventuelle unité syndicale sur la réforme des retraites, allant de la CFDT à Sud, en passant par FO et la CGT. Mais c’est là un miracle que même le macronisme me parait incapable de réaliser. 

Pour ce qui est du spectre politique français, cette situation joue contre la gauche en général, qui aurait besoin justement de mobilisations sociales réussies. 

Pour ce qui est de la droite, en dehors d’un mouvement sur un enjeu éthique (comme contre le PACS sous Jospin), le « macronisme » occupant tout son espace néo-libéral, elle risque vraiment l’étouffement, la redondance. Cependant, l’affaire Benalla montre que les « professionnels de la politique » savent parfois faire preuve de quelques qualités inespérées d’opposants. Surtout, la droite reste implantée dans les pouvoirs locaux et devrait le rester après les municipales de 2020, et une droite sociale – ce qui est une part du projet Wauquiez-  pourrait vouloir défendre les petits et moyens contribuables contre les gros et très gros contribuables privilégiés par les réformes d’E. Macron.

Enfin, pour ce qui concerne l’extrême-droite, la politique migratoire, menée par G. Collomb, vise à rassurer cet électorat. Ce dernier n’a pas besoin cependant de mobilisations spécifique pour prospérer, il lui suffit de réagir à une situation en matière migratoire, identitaire et sécuritaire qu’il perçoit comme intolérable. Or, en dehors même de la situation française, le contexte de l’étranger proche de la France et celui de l’Union européenne sont porteurs pour l’extrême droite. Même si les traversées illégales de la Méditerranée baissent cet été, il reste que ce sujet alimente et alimentera l’actualité. Rien de ce que fait le macronisme ne peut rassurer vraiment cet électorat, d’autant plus que certaines décisions du gouvernement peuvent l’exaspérer par ailleurs, comme l’affichage d’un « féminisme d’Etat » - sans grand contenu réel par ailleurs, mais les symboles importent. 

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