Ce que nous réserve vraiment l’accord de gouvernement progressiste signé entre SPD, Verts et Libéraux allemands<!-- --> | Atlantico.fr
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Annalena Baerbock, Olaf Scholz et Christian Lindner font une déclaration à l'issue d'une session d'entretiens entre des membres dirigeants du parti social-démocrate SPD, les Verts et le parti démocrate libre FDP, le 15 octobre 2021, à Berlin.
Annalena Baerbock, Olaf Scholz et Christian Lindner font une déclaration à l'issue d'une session d'entretiens entre des membres dirigeants du parti social-démocrate SPD, les Verts et le parti démocrate libre FDP, le 15 octobre 2021, à Berlin.
©CHRISTOF STACHE / AFP

« Couple » franco allemand

Dans un document rendu public, les sociaux-démocrates (SPD), les Verts et les libéraux (FDP) ont défini les grandes lignes de la politique qu’ils entendent mener ensemble, ces quatre prochaines années, sous la direction d’Olaf Scholz (SPD). Quelles pourraient être les conséquences de cette coalition et de son programme sur la France et le couple franco-allemand ?

Alexandre Robinet Borgomano

Alexandre Robinet Borgomano

Alexandre Robinet Borgomano est responsable du programme Allemagne de l’Institut Montaigne. Il a rejoint l’Institut Montaigne en 2019. Il a travaillé auparavant au Bundestag, comme attaché parlementaire d’un député allemand. Il a conduit pour la Fondation du patrimoine culturel prussien un projet d’exposition visant à présenter à Berlin les collections d’art moderne du dernier Shah d’Iran. Il a également participé au lancement d’un fonds d’investissement européen dans le domaine de la Smart City et pris part à l’initiative pour l’unification du droit des affaires en Europe. Diplômé de Sciences Po Paris, il est également titulaire d’une maîtrise en histoire moderne de la Sorbonne (Paris IV).

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Atlantico : Suite aux élections législatives allemandes, le parti social-démocrate, les Verts et le parti libéral-démocrate ont trouvé un accord pour former une « coalition progressiste » pour gouverner. A quel point cette coalition est-elle solide ?

Alexandre Robinet-Borgomano : La coalition progressiste annoncée par les Sociaux-démocrates, les Verts et les Libéraux ne représente qu’une première étape vers la constitution d’un nouveau gouvernement. A  l’issue des pourparlers de coalitions (Sondierungsgespräche), ces trois partis ont confirmé leur volonté d’entamer des négociations pour parvenir à un contrat de coalition (Koalitionsvertrag) : bien qu’un véritable accord soit encore loin, cette annonce confirme la volonté des trois partis de doter l’Allemagne d’un gouvernement le plus rapidement possible. 

L’annonce de cette coalition confirme surtout la marginalisation politique de la CDU-CSU, l’ancien parti d’Angela Merkel, dont le leader Armin Laschet a annoncé qu’il se retirerait de la présidence du parti CDU. S’il a confirmé qu’il restait l’interlocuteur principal en vue de la formation d’une coalition dominée par les conservateurs, cette option paraît très hypothétique. L’échec de la CDU-CSU aux élections se traduit par une chute de la popularité d’Armin Laschet dans l'opinion, et par un renforcement des divisions internes au sein de son parti. 

La CDU est désormais tellement fragilisée qu’en Poméranie occidentale, la Ministre-Présidente Manuela Schwesig (SPD) a annoncé qu’elle préférait former une nouvelle coalition avec la gauche radicale Die Linke plutôt que de reconduire sa coalition avec la CDU... Pour de nombreux observateurs, cette annonce contribue à révéler le vrai visage du SPD. Porté par la popularité d’un candidat modéré, parvenu à incarner la continuité avec Angela Merkel, et le centre de la société allemande, le parti social démocrate est en réalité plus à gauche qu’il n’y paraît. C’est précisément ce qui  pourrait poser problème à certains électeurs des Verts, mais plus encore aux Libéraux.          

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Cette “coalition progressiste” présente sur le fond plusieurs contradictions, que cette récente annonce ne suffit pas à résoudre : la volonté des libéraux de ne pas augmenter les impôts pour les catégories les plus aisées contraste avec le projet de “juste taxation” du SPD, qui prévoit la réintroduction de l'impôt sur la fortune et un renouveau de la taxation des héritages; la volonté des Verts d'investir 500 milliard d’euros pour moderniser le pays apparaît peu réconciliable avec la promesse des Libéraux de revenir à l’équilibre des comptes publics; et la promesse des Verts de s’opposer à la mise en service du projet Nord Stream II s’oppose au soutien que le SPD apporte à ce projet depuis son origine. La solidité de cette coalition progressiste repose ainsi moins sur sa cohérence interne que sur la faiblesse des alternatives possibles.  

Que nous apprend le document de douze pages publié par les trois partis concernant les grandes lignes de leur politique intérieure et extérieure pour les 4 ans à venir ? Y-a-t-il des grands bouleversements en perspective ?

Dans la mesure où les sujets les plus controversés ne figurent pas dans l’accord, celui-ci pourrait apparaître, à première vue, comme un accord sans ambition, réduit au plus petit dénominateur commun, excluant de facto tout grand bouleversement -à l'exception de quelques mesures symboliques comme le soutien massif à l’éolien et à l'énergie solaire, l’élévation à 12 euros du salaire minimum ou l’abaissement à 16 ans de l'âge légal pour voter... Et pourtant, ce qui sous-tend cet accord, c’est la volonté partagée par les trois partis de transformer en profondeur l’Allemagne. 

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Cet engagement en faveur d’une transformation radicale du pays se retrouve dans le projet de modernisation de l’action publique. Comme nous l’avons noté dans la note de l’Institut Montaigne intitulée “Quelle Allemagne après Merkel?”, la crise sanitaire a montré les failles de l'État allemand en termes de numérisation de l’administration d’un côté, et de répartition des compétences entre l’échelon fédéral et les Länder de l’autre. Ces deux aspects sont au cœur du projet de modernisation énoncé par la coalition progressiste, laquelle semble animée par une ambition de réduction des lourdeurs administratives, évoquée tout au long du document sous le terme de "Bürokratieabbau".

Pour un observateur français, le caractère progressiste de cette coalition s’exprime également dans son rapport à l’immigration. A la différence des controverses qui animent aujourd’hui la France, les trois partis affirment que L’Allemagne est un pays d’immigration moderne, où des femmes et des hommes de nombreux pays ont trouvé leur foyer, fondé des familles et gagné leur vie”. La coalition progressiste affirme ainsi vouloir “rendre la loi sur l’immigration des travailleurs qualifiés plus pratique et introduire un système de points comme deuxième pilier pour attirer des travailleurs qualifiés”, actant ainsi le fait que le principal défi des économies européennes -menacées par le déclin démographique et le vieillissement de la population- réside moins dans la lutte contre l’immigration que dans l’intégration des immigrés sur le marché du travail.   

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Cet accord présente néanmoins deux contradictions, trop évidentes pour ne pas être relevées. Si les trois partis affichent leur intention de faire de la décennie à venir une “décennie d’investissement dans l'avenir”, la coalition promet également de ne pas introduire de nouveaux impôts sur les actifs et de ne pas augmenter les prélèvements tels que l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés ou la taxe sur la valeur ajoutée… Contradictio in adjecto. De même, la question de Pipeline Nord stream 2 est loin d'être réglée. En affirmant vouloir “diversifier l’approvisionnement énergétique de l’Allemagne et de l’Europe” ce document constate un problème, plus qu’il n'y apporte des solutions.  

Quels pourraient être les impacts concrets de la coalition et de son programme sur la France et le couple franco-allemand ?

La coalition “Feu tricolore” semble à première vue particulièrement favorable au projet d'Europe- puissance soutenue par le Président français depuis son élection, en témoigne l’utilisation des termes d’une “Europe qui protège”, l’affirmation de la volonté "d'accroître la souveraineté stratégique de l’Europe”, ainsi que la volonté de mener une politique européenne active – également dans le cadre d’un partenariat franco-allemand fort et d’une coopération étroite dans le Triangle de Weimar... Pour autant, le document de la coalition laisse peu d’espoir à ceux qui auraient vu dans le départ d’Angela Merkel un espace pour l’affirmation d’un projet européen plus conforme aux aspirations françaises.

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Dans le domaine économique, la coalition réaffirme ainsi sa volonté de lier le plan de relance européen à une transformation des économies européennes, en liant ces dépenses à un programme de réformes favorables au renforcement de la compétitivité des économies nationales. Le texte affirme par ailleurs que “le Pacte de stabilité et de croissance a prouvé sa flexibilité” et c’est bien sur cette assise que les trois partis veulent assurer la croissance et maintenir la soutenabilité de la dette....

Dans le domaine de la Défense enfin, ce texte apparaît totalement dépourvu d’ambition au regard de la volonté de construire une Europe plus souveraine. Alors que les années Merkel étaient marquées par l’affirmation d’un discours nouveau sur les responsabilités de l’Allemagne sur la scène internationale et une augmentation significative des dépenses militaires, ce document apparaît comme un retour en arrière, marqué par une remise en cause des interventions extérieures de la Bundeswehr, une attention très forte portée à la politique de désarmement et un projet de limitation des exportations d’armes à l'échelle européenne, qui avec le nucléaire, pourrait devenir le nouveau grand sujet de dissension entre la France et l’Allemagne.

Le succès de la coalition “feu tricolore” pourrait, à terme, conduire le gouvernement français à regretter le pragmatisme et la prudence d’Angela Merkel.

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