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Ce que le gouvernement ne comprend pas à la nature de l’affaire Darmanin
©Thomas SAMSON / AFP

Crise de défiance

Alors que le gouvernement se cache derrière la présomption d'innocence pour défense le ministre de l'Intérieur, le vrai sujet est ailleurs.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Devant le scandale créé par l'affaire Darmanin, le gouvernement défend son nouveau ministre de l'Intérieur en argumentant autour de la présomption d'innocence. Mais est-ce vraiment la bonne réponse à donner pour satisfaire l'opinion publique ?

Arnaud Benedetti : La présomption d’innocence dans ce contexte est une bien incertaine "ligne Maginot" communicante . Elle est martelée, réitérée, projetée comme un périmètre sacré au-delà duquel il ne saurait y avoir de questionnements. Il y a le droit et la morale, le droit est parfois une ressource provisoire - c’est le cas ici - qui d’abord ne préjuge en rien de la suite judiciaire, et surtout qui ne dissipe nullement le problème moral. Et encore, même au plan de la relation du droit et du politique se pose un problème, puisque déontologiquement le ministre est responsable de l’administration en charge d’enquêter sur une affaire le concernant. L’autre sujet c’est que le ministre aurait reconnu l’échange d’un service contre une faveur sexuelle. Si tel est le cas, c’est quand même la morale que sur l’autel de la présomption d’innocence on évacuerait à bon compte. En matière d’image, la réputation serait alors inévitablement fragilisée. Utiliser un levier de pouvoir, quel qu’il soit, pour obtenir une faveur, qui plus est sur une personne en situation de faiblesse, est doublement problématique. D’aucuns diront inacceptable...

Quel impact cette affaire peut-elle avoir sur la population française ?

Jusqu’à quel point une société peut-elle consentir à la banalisation de cette forme d’incivilités "du haut" quand le discours républicain officiellement est de combattre avec raison toutes les incivilités ? N’oublions jamais que l’élection d’Emmanuel Macron repose également sur un paramètre qui a vu la logique implacable du soupçon moral, relayée très rapidement par l’ordre judiciaire, abattre l’un de ses principaux concurrents. Sans compter que l’on a vu dès le début du mandat trois ministres Modem être contraint de démissionner sans qu’ils ne soient alors mis en examen... L’idée que quelque chose ne "colle" pas décidément dans l’argumentation de l’exécutif pour défendre son ministre de l’Intérieur pourrait inévitablement s’installer dans l’opinion. C’est un "deux poids deux mesures" qui se distillerait à tous les étages : entre le français "lambda" et le puissant, mais à l’intérieur des cercles dirigeants entre ceux qui ont bénéficié de l’indulgence du Prince et ceux qui ont dû en rabattre. Tout ceci est constitutif d’un halo de dérèglements qui ne permet pas à l’exécutif d’être cohérent, transparent dans sa relation avec ce qu’il faut bien appeler la "vertu". La vertu est une valeur oubliée parce que frappée encore dans l’imaginaire politique de nos républicains modérés des excès robespierristes, mais à la faveur de ces multiples écarts, assumés sans presque se dissimuler - la dissimulation, aussi hypocrite soit-elle, avait quand même pour fonction de protéger la face de la République - cette dernière pourrait revenir à l’agenda civique. La vertu si l’on suit Montesquieu c’est l’amour des lois, de la patrie et prioriser l’intérêt public avant tout. Sur ce dernier point, on assiste parfois, à visage découvert presque, à une privatisation des intérêts publics, à une appropriation parfois de l’intérêt public (l’allocation d’une ressource à des fins personnels par exemple, peu importe au demeurant leurs motivations, étant une figure parmi d’autres de cette appropriation). Le moins que l’on puisse dire c’est que dans le cas que nous évoquons il y a manifestement manque à la vertu. Cette question dépasse amplement le cadre positif du seul ordre judiciaire. C’est le problème lancinant de l’exemplarité personnelle de l’homme public dont De Gaulle avait la loi d’airain de sa relation avec le peuple.

Face à l'émotion et la récupération politique suscité par cette affaire, le gouvernement peut-il trouver une issue sans perdre toute crédibilité ?

Les meilleurs alliés dans cette séquence sont les féministes les plus radicales qui ne placent pas le débat relatif au comportement du ministre au bon niveau. En s’attaquant à la présomption d’innocence, elles permettent à la défense du ministre de signifier à juste titre que la justice ne se rend pas dans la rue. Le problème est d’abord politique, du choix politique de cette nomination dans un contexte où le régalien exige l’irreprochabilité. La charge symbolique de ce sujet est d’autant plus lourde que l’exécutif a fait de la cause des femmes, de la lutte contre les violences faites aux femmes, une priorité. Le risque est réel que la parole du ministre si la pression est maintenue soit brouillée, inaudible et sa capacité à incarner l’action de son ministère durablement handicapée. D’autant plus que l’intérieur est en première ligne dans la protection des femmes en situation de danger. La stratégie du "dos rond" est celle pour l’instant retenue par l’exécutif mais si le sujet en venait à "feuilletonner " inévitablement le maintien du ministre à son poste se posera...

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