Ce que le Covid et le Brexit nous révèlent des vilains petits secrets de notre pouvoir d’achat<!-- --> | Atlantico.fr
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Un travailleur réapprovisionne des étagères vides dans un supermarché à Londres le 7 septembre 2021. Des pénuries affectant les entreprises britanniques sont observées à travers le pays.
Un travailleur réapprovisionne des étagères vides dans un supermarché à Londres le 7 septembre 2021. Des pénuries affectant les entreprises britanniques sont observées à travers le pays.
©JUSTIN TALLIS / AFP

Côté obscur de la force

Au Royaume-Uni comme en France, des acheteurs grossistes extrêmement puissants ont pris le contrôle de nombre de chaînes d’approvisionnement et utilisé la force -et une main-d’œuvre immigrée mal payée- pour soumettre leurs fournisseurs et faire baisser les prix pour les consommateurs.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Au Royaume-Uni, le double effet du Covid et du Brexit semble avoir entrainé une pénurie alimentaire et une pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la distribution. A quel point celle-ci est-elle le résultat d’une prise de contrôle par des acheteurs grossistes des chaînes d’approvisionnement ? Est-ce aussi le cas en France ?

Michel Ruimy : Le Royaume-Uni connaît une pénurie critique de chauffeurs de poids lourds. Si le phénomène n’est pas récent, son ampleur, si.

Ce manque de chauffeurs a déjà touché les chaînes de restaurants Nando’s, spécialisée dans les poulets épicés, qui a dû fermer une cinquantaine de ses établissements faute d’avoir pu être livrée en volailles et en sauce, et Mc Donald’s, qui ne propose plus de milk-shakes, ni de boissons en bouteille du fait de problème dans sa chaîne d’approvisionnement.

Les restaurants ne sont pas les seuls concernés par cette absence de produits. La plupart des chaînes de supermarché déplorent des rayons vides. Plus largement, certains produits de consommation deviennent si difficilement accessibles que certaines enseignes ont modifié leur chaîne d’approvisionnement en privilégiant la production locale. Or, malgré ces précautions à même de favoriser les producteurs britanniques, l’avenir n’est pas serein car le secteur agricole doit, lui aussi, faire face, depuis quatre ans, à un manque criant de main d’œuvre lié au Brexit.

En fait, le Royaume-Uni, qui misait sur le Brexit pour déployer sa stratégie ambitieuse du « Global Britain », ne parvient pas à attirer les investisseurs (Les flux de capitaux entrants nets sont sur le déclin depuis 2016). La Grande-Bretagne ne brille plus autant que par le passé.

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La crise sanitaire a totalement bouleversé la chaîne d’approvisionnement au sein des entreprises françaises dans une voie différente. Pour maintenir le cap, celles-ci ont alors dû vite s’adapter au contexte commercial en évolution d’autant que sous l’impulsion d’une nouvelle concurrence en ligne, les achats groupés, qui visent à réaliser des économies d’échelle, tendent à se renforcer.

Quelles sont les méthodes employées pour le faire tant sur la production que sur la main-d’œuvre ?

Michel Ruimy : Au Royaume-Uni, la profession de routier a perdu de son attractivité au fil des décennies à la suite de la décision des entreprises de transport d’embaucher, au rabais, des Européens. Ceci a fait stagner les salaires. La simultanéité de la Covid-19 et du Brexit n’a fait qu’aggraver la situation. Ces chauffeurs en provenance de l’Union européenne n’ont pu être remplacés en raison de l’obligation, entrée en vigueur le 1er janvier, d’obtenir un visa de travail, si bien qu’aujourd’hui on estime qu’il manque environ 100 000 pilotes.

Par ailleurs, depuis quatre décennies, la libéralisation économique a favorisé un capitalisme patrimonial où, dans un contexte de vive concurrence, les salaires sont un paramètre d’ajustement. Les problèmes de livraison et les difficultés d’approvisionnement concernent, en fait, l’ensemble de la chaîne industrielle. En cause, le manque de main d’œuvre disponible autour des sites de production, les travailleurs britanniques étant peu intéressés de déménager pour un travail, par exemple, dans une usine de volailles, bien peu payé.

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A cet égard, certaines études révèlent que, aux États-Unis, la dépendance à l’égard d’acheteurs importants a fait baisser, outre les volumes d’innovations et d’investissements, les salaires versés par les fournisseurs et explique environ 10% de la stagnation des salaires depuis les années 1970.

Est-on trop prompt à oublier des considérations éthiques quand cela joue sur notre pouvoir d’achat ?

Michel Ruimy : Dans une économie mondialisée, un système rigide, dans lequel les fournisseurs et les travailleurs sont sans cesse sollicités par de puissants acheteurs au motif d’un environnement très concurrentiel, a montré qu’il pouvait être efficace la plupart du temps. En France, plus de 9 euros sur 10 sont générés par 4 centrales d’achat.

La réponse apportée a été une faiblesse des salaires au profit des consommateurs à qui sont proposés des biens à un prix modique. Mais, lorsqu’il y a un choc, notamment exogène comme la crise sanitaire, un tel système peut s’effondrer rapidement.

Des prix bas de marchandises sont importants pour les consommateurs, en particulier pour ceux qui ont de faibles revenus. Or, dans notre quête, incessante et obstinée, de réussite de cet objectif, nous avons troqué la résilience contre l’efficacité. Nous en payons maintenant le prix.

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