Ce que l’Allemagne a gagné avec Jean-Claude Juncker<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Claude Juncker fête sa première année à la tête de la Commission européenne.
Jean-Claude Juncker fête sa première année à la tête de la Commission européenne.
©Reuters

Gros lot

Jean-Claude Juncker fête sa première année à la tête de la Commission européenne. Rétrospectivement, son mandat a été déjà très chahuté, mais il a tenu une promesse : la défense des intérêts allemands dans une période complexe où l’appétence pour l’Europe se tarit à vue d’œil.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Juncker et Merkel

Rappelons, s’il le fallait, que Jean-Claude Juncker était le candidat d’Angela Merkel, mais certainement pas celui de la Grande-Bretagne. Son élection s’est d’ailleurs faite, le 27 juin 2014, à la majorité qualifiée. David Cameron ne trouvait alors pas de mot assez dur pour dire tout le mal qu’il pensait du personnage :

"Cela risque d’affaiblir les gouvernements nationaux. Je pense que les intérêts nationaux britanniques sont de réformer l’UE, d’organiser un référendum sur cette réforme de l’UE et de recommander notre maintien au sein d’une Union réformée. Est-ce que c’est devenu plus difficile à obtenir ? Oui."

SI l’élection de Juncker a donné le signal du referendum britannique, il a aussi constitué un atout important pour Angela Merkel. Celle-ci avait un temps caressé le projet d’installer Martin Schulz dans la fonction. Mais un président allemand de la Commission aurait pu dévoiler de façon excessive la prépondérance germanique en Europe. Accessoirement, la chancelière aurait nourri la légitimité d’un rival politique de taille sur la scène intérieure.

Le choix de Jean-Claude Juncker avait une autre utilité: le personnage était en difficulté dans l’échiquier politique luxembourgeois après sa démission de son poste de Premier Ministre, imposée par son implication dans une large affaire d’espionnage. A l’époque, la subordination du grand-duc aux services britanniques avait fait sensation.

En assurant l’outplacement de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission, Angela Merkel s’attachait donc les services d’un obligé…

Juncker et la France

Dès sa prise de fonction, Jean-Claude Juncker a eu la bonne idée de contrer toutes les mauvaises idées (selon l’Allemagne) de François Hollande en matière de relance européenne. Alors que l’Italie prenait la présidence de l’Union, on se souvient qu’avait rôdé l’idée d’un plan de relance européen à hauteur de 1.000 milliards d’euros.

Ce plan était largement porté par François Hollande qui avait, avec les autres chefs d’Etat sociaux-démocrates en Europe, préparé un "agenda pour la croissance" fin juin 2014. Bien entendu, Angela Merkel était farouchement opposée à cette perspective qui consistait à miser sur l’investissement public pour relancer l’activité économique.

Finalement, Juncker parviendra à enterrer tous les espoirs de la gauche européenne en concoctant un plan à 300 milliards, dont seulement 21 d’argent public frais (mais issus de fonds non mobilisés). Le reste repose sur des appels à fonds privés ou des emprunts en partenariat avec le privé.

La solution de "synthèse" de Juncker a donné une représentation assez fidèle de la suite de son mandat: ménager la chèvre et le chou français en apparence, donner satisfaction à l’Allemagne sur le fond.

Juncker, supplétif de Merkel en Grèce

Le service le plus important rendu par Jean-Claude Juncker à l’Allemagne a eu lieu à l’occasion de la crise grecque. L’arrivée de Syriza au pouvoir en janvier 2015 a en effet mis l’ensemble de la zone euro en difficulté. Juncker, affaibli par le scandale Luxleaks, a entamé un cycle complexe pour préserver la cohésion d’une zone monétaire frappée par la crise et contestée de l’intérieur.

Sur ce plan, Juncker n’a ménagé ni son temps ni sa peine pour diffuser le point de vue allemand, relativement éloigné de l’approche française. Alors que François Hollande a plaidé pendant plusieurs mois pour un accord à tout prix, Juncker n’a pas hésité à peser pour orienter les choix grecs. Après avoir suggéré aux Grecs de ne pas voter Syriza en janvier, il a organisé un numéro de duettiste assez habile avec Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe. Au Néerlandais, le rôle du méchant qui disait non à tout, au président de la Commission le rôle du gentil qui cherche à arrondir les angles.

Mais en juin 2014, Juncker a durci le ton pour forcer Tsipras à se rendre sans condition aux demandes de ses partenaires européens, et singulièrement aux demandes allemandes. Cette pression de dernière minute a probablement contribué au revirement final de Tsipras.

Juncker et la crise des migrants

Autre manifestation de soutien à l’Allemagne donnée par un Juncker reconnaissant: la crise des migrants. Le président de la Commission n’a jamais manqué de zèle pour accompagner les idées saugrenues d’Angela Merkel. Lorsque celle-ci a proposé d’accueillir 700.000 migrants en quelques mois, Juncker a défendu becs et ongles des mesures de facilitation. Il a notamment proposé de répartir (contre l’avis français) les migrants entre tous les Etats membres, selon une politique de quota décidée à Bruxelles.

Pour éviter la crise humanitaire, il a par ailleurs payé de sa personne pour la création de camps de réfugiés tout au long du parcours des migrants. Là encore, il a pesé de tout son poids pour que la Grèce agisse en ce sens, alors que le gouvernement grec adopte, semaine après semaine, des plans d’austérité pour satisfaire aux exigences de ses partenaires.

Dans le domaine des migrations, l’appui de Juncker à l’Allemagne est total.

Juncker et TAFTA

Sur le sujet du traité transatlantique, Juncker fait également le job. Face aux refus allemands d’intégrer au traité un mécanisme d’arbitrage privé, la Commission a finalement livré une proposition de cour d’arbitrage composée de juges professionnels. Sur ce point, il est probable que Juncker ait dû faire violence à sa commissaire en charge de la négociation, plutôt favorable à la formule imaginée Outre-Atlantique.

Il s’était notamment fendu d’une déclaration explicite en octobre 2014, tout à fait Merkel compatible:

"Je pensais que mon engagement sur ce point était très clair, mais je me réjouis de pouvoir le clarifier et le réitérer ici, aujourd’hui, à la demande d’un certain nombre d’entre vous : l’accord que ma Commission soumettra en dernière instance à l’approbation de cette chambre ne prévoira rien qui limiterait l’accès des parties aux juridictions nationales ou qui permettrait à des juridictions secrètes d’avoir le dernier mot dans des différends opposant investisseurs et États."

Juncker et l’Europe financière

Enfin, Juncker colle fidèlement à la conception allemande de l’Europe budgétaire. Les dernières propositions de la Commission pour l’Union financière l’ont montré. La mise en place prochaine d’un comité budgétaire consultatif constituera probablement la principale révolution initiée par le président de la Commission. Celle qui devrait permettre une union budgétaire, complément inévitable à l’union monétaire.

Reste à savoir comment Juncker gèrera les réticences populaires face à ces transferts de souveraineté.

Article publié sur le blog d'Eric Verhaeghe et sur Décider & Entreprendre.

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