Ce que l’affaire de la maire, mère et grand-mère du 12e arrondissement de Paris révèle des écologistes <!-- --> | Atlantico.fr
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L’affirmation de Sandrine Rousseau est en réalité un grand classique du féminisme : le privé est politique.
L’affirmation de Sandrine Rousseau est en réalité un grand classique du féminisme : le privé est politique.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Bons baisers de New York

Les écologistes sont pétris de contradictions.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Emmanuelle Pierre-Marie, maire EELV du 12ème arrondissement de Paris, a fait installer un « sapin de Noël », devant le parvis de sa Mairie. Il s’agit en réalité d’une sorte de cône en bois imitant l’aspect d’un conifère. Au même moment, elle a pris l’avion pour New-York, sans manquer de publier sur Instagram des photos de décorations de Noël, s’émerveillant devant un vrai sapin de Noël. Comment expliquer la fascination de cette maire pour le (vrai) sapin du Rockefeller Center, alors qu’elle refuse d’en faire installer un dans son arrondissement ? 

Christophe Bouillaud : Déjà, j’aurais tendance face à ce genre de polémiques à citer la vieille phrase bourgeoise, « Pour vivre heureux, vivons cachés ».  Il n’y aurait sans doute pas lieu d’épiloguer publiquement sur cette contradiction de l’élue du 12ème arrondissement de Paris si cette dernière avait pris un plus grand soin de la protection de sa vie privée. A ma connaissance d’ailleurs, les partis écologistes sont souvent sensibles à cet argument de la défense de la vie privée lorsqu’ils sont amenés à prendre position sur la régulation d’internet.  Les publications sur les réseaux sociaux sont tout de même le meilleur moyen pour ne pas avoir de vie privée.

Contrairement à beaucoup qui verront surtout la contradiction entre refuser d’installer un vrai sapin et admirer des vrais sapins à New York, j’y vois surtout le reflet de la modération de cette élue. Voilà une femme que nul ne devra plus jamais accuser de tendances décroissantes. Visiblement,  elle ne refuse pas le consumérisme, puisqu’elle n’a pas eu le courage de ne pas installer du tout de sapin (factice) dans son arrondissement et qu’elle admire naïvement la grande foire commerciale new-yorkaise organisée sous prétexte de fêter Noël – qui, je le rappelle, reste en principe une fête chrétienne et est devenue le grand moment du consumérisme occidental.

Face à la polémique engendrée, notamment pour s’être rendue à New-York en avion, Emmanuelle Pierre-Marie a déclaré « Je passe Noël en famille chez ma fille et mes petits-enfants qui sont partis chez le père Noël. Certes mon bilan carbone est mauvais, mais c’est une nécessité pour m’y rendre ». Ses publications Instagram révèlent également qu’elle s’est rendue en Finlande l’année précédente, à la même période. En quoi est-ce révélateur d’une certaine hypocrisie du discours écologiste ? 

Je ne sais pas si c’est une hypocrisie, ou simplement le constat que même une élue écologiste n’échappe pas aux contraintes liées à l’organisation actuelle de la société. Si elle avait voulu ne pas prendre l’avion pour aller aux Etats-Unis, elle n’aurait plus trouvé en cette fin 2022 aucune solution praticable : les paquebots transatlantiques réguliers n’existent plus, et les voyages en cargo sont compliqués à organiser. Par ailleurs, il lui aurait fallu un temps considérable, au moins trois semaines avec près de deux semaines de voyage. Pour ce qui est de la Finlande, cela aurait déjà été plus facile de prendre le train et le ferry, mais là encore le coût et le temps nécessaire sont sans comparaison avec la situation actuelle de l’avion. Il faut vraiment être très convaincu pour faire un tel effort, car rien n’est plus organisé en Europe pour faciliter les liaisons longue distance en train. Nous ne sommes plus en 1930. A tout prendre, le plus simple aurait sans doute de prendre la voiture. 

Au-delà de ces contraintes, c’est une remarque désormais classique en sociologie politique que les électorats écologistes et leurs élus sont mis en contradiction par l’écart entre leurs aspirations à « sauver la planète » et leur niveau de revenu et leur niveau culturel plus élevés en général que ceux de la moyenne des populations. En effet, ces deux aspects déterminent à la fois des désirs et des possibilités finalement plus « CO2-intensif » que souhaitable si l’on souhaite être « sobre en CO2 » ou plus généralement en « empreinte écologique ». Dans notre exemple, notre élue a déjà envie de voir New York pour Noël, elle a de la famille installée là-bas, et surtout elle a les moyens de se payer un billet d’avion. Aurait-elle été une personne vivant du RSA depuis des lustres ou une personne n’ayant pas le désir de voir le vaste monde, mais seulement les limites de son patelin, son bilan carbone aurait été sans doute meilleur.

De fait, beaucoup d’électeurs, militants et élus écologistes sont bien conscients de cette situation. La solution selon eux est alors de lever les contraintes qui font qu’il est plus simple et moins couteux de polluer que de ne pas polluer. Dans notre exemple, cela voudrait dire qu’il faudrait introduire des taxes telles sur l’aviation transatlantique qu’il redeviendrait rentable de faire circuler des paquebots (pour autant de les doter de carburants propres), ou des taxes telles sur l’aviation intra-européenne que les compagnies de chemins de fer se remettraient à créer des liaisons longue distance. On remarquera que cette solution n’est dans le fond que celle des économistes standards avec la « taxe carbone », sauf que les écologistes croient qu’il faut un peu guider la main invisible du marché pour accélérer la cadence.

Enfin, il faut signaler qu’il existe une minorité d’écologistes qui prônent un renoncement à la mobilité à longue distance, et plus généralement le retour à un niveau de vie matériel tel que les Européens l’ont connu il y a quelques dizaines d’années.

Ces exemples sont-ils les révélateurs d’un certain « étalage de la vertu », mal qui semble atteindre de nombreux élus écologistes ? Comment expliquer cette nécessité de tenir des discours si vertueux ? 

L’écologie politique préconise un changement de nos modes de vie. Il est serait difficile  pour les élus écologistes, une fois arrivé aux affaires, de ne pas montrer en quoi consiste ce mode de vie, au moins pour tout ce qui concerne ce qui est faisable ici et maintenant. On peut trier ses déchets, acheter des légumes bio, circuler à vélo, etc. C’est d’autant plus évident pour eux que, souvent, ils viennent du monde associatif qui s’est construit sur l’expérimentation d’alternatives. Bien sûr cela les met en contradiction parfois, car tout n’est pas possible immédiatement, comme aller à New York autrement qu’en avion.

Après, comme toute proposition d’un mode de vie alternatif, il s’impose effectivement aux yeux de ses adeptes comme indiscutable, bon, vertueux. Là aussi, les sociologues l’ont bien noté. Du coup, effectivement, cela peut exclure, stigmatiser, voire criminaliser les autres. C’est le problème montant de l’écologie politique : comment promouvoir un mode de vie sans brusquer la population ?

En même temps, j’aurais tendance à souligner que notre société est remplie d’entrepreneurs de vertu. Ne nous dit-on pas qu’il ne faut pas fumer, ne pas trop boire, ne pas conduire en état d’ivresse, ne pas manger trop gras, se tenir loin des drogues, épargner pour sa retraite, être adaptable, résilient, se former tout au long de la vie, etc. ? En fait, dans nos sociétés pluralistes, il y a des tas de compétiteurs pour imposer leur propre discours de la vertu. Les écologistes sont un compétiteur parmi  d’autres. Ils ne sont pas les seuls. Ils ne sont sans doute pas les plus adroits à ce jeu. 

L’électorat urbain associe souvent écologie et confort, espérant voir davantage d’espaces verts dans les villes. Mais les maires écologistes préfèrent souvent les densifier pour éviter l'étalement urbain. Comment expliquer cette opposition entre les attentes de l’électorat et les mesures mises en place par les élus ?

En pratique, dans la France contemporaine en dehors de Paris intra-muros, il n’y a pas nécessairement contradiction entre création d’espaces verts et densification de l’habitat urbain, car il peut se trouver aussi que certaines villes aient des réserves foncières dues à la désindustrialisation.

Sur un plan plus général, c’est un problème d’action collective. Les maires écologistes qui cherchent à éviter l’étalement urbain, comme des élus d’autres couleurs politique d’ailleurs, réfléchissent en termes d’intérêt collectif, par exemple sur le coût des infrastructures de transports ou d’assainissement. Les électeurs raisonnent le plus souvent à leur niveau en voulant simplement du confort pour eux-mêmes quitte à en exclure les autres. C’est le phénomène bien connu du « Nimby » (Not in my backyard) : un grand parc à côté de chez moi et surtout pas de nouveaux bâtiments. La tâche des élus est justement d’arriver à concilier le mieux possible les deux aspects.

À l’heure d’Instagram et des réseaux sociaux, sommes-nous arrivés à une époque où un homme politique se doit d’être encore plus cohérent entre ses actes et ce qu’il prétend être ? En somme, un politique a-t-il le droit d’avoir une vie privée ?

Bien plus importante que cette petite polémique autour de l’élue du 12ème Arrondissement de Paris, il me semble qu’il faut citer ici l’affaire Adrien Quatennens qui secoue actuellement la France Insoumise.

D’après ce que l’on en comprend, deux camps au sein de FI s’affrontent sur cette affaire : un camp « féministe » qui souhaite que, suite à sa condamnation pour faits de violences exercées à l’encontre de son ex-épouse, Adrien Quatennens démissionne de son poste de député et mette fin à sa vie politique, et un camp qui veut « sauver le soldat Quatennens ». Le camp féministe souligne la contradiction entre les engagements féministes de FI et l’attitude privée de Quatennens. Le camp du sauvetage veut préserver l’avenir de l’ancien dauphin de Jean-Luc Mélenchon au nom du primat de l’excellence politique démontré par ce dernier ces dernières années.   

Cette affaire soulève donc la question : à quel point doit-on exiger d’un représentant public d’un parti de la cohérence avec les idées défendues par le parti ? Ce n’est pour le moins pas une question complètement nouvelle. Après tout, quand Molière écrit son Tartuffe, et que le Roi laisse représenter la pièce, n’est-ce pas une pique lancée au parti dévot ? La cohérence entre la vie privée de quelqu’un et ses engagements publics en faveur de quelque cause que ce soit (religieuse, politique, éthique) fait partie de la grandeur ou de la petitesse de cette personne.

La vraie nouveauté, c’est qu’avec les smartphones et les réseaux sociaux le politique est mis en demeure d’être cohérent à tout moment, à la fois parce qu’une preuve vidéo ou audio peut apparaitre facilement et parce qu’une affaire privée soumise à la justice ne le reste pas bien longtemps. Cela veut dire que les politiques vont devoir s’adapter à cette nouvelle donne : soit, s’ils ne veulent pas être pris en situation d’incohérence, être cohérents à tout moment – ainsi un homme politique se disant féministe aura bien soin de ne pas frapper son épouse ; soit, plus difficile à ce stade, construire un mur solide autour de sa vie privée.

Comme construire un mur va s’avérer de plus en plus compliqué, je conseillerai aux aspirants politiques, surtout s’ils ont de grandes ambitions, de devenir aussi cohérents qu’il leur est possible. Ne pas tenir donc des discours publics qui sont susceptible d’être démentis par sa vie privée deviendra sans doute une prudence élémentaire du politique façon XXIème siècle. En somme, les hommes politiques doivent être conscients qu’ils n’ont plus droit à une vie privée incohérente avec leurs discours publics.

Des personnalités comme Sandrine Rousseau affirment que la vie privée est politique. Cela revient-il à dire que la vie privée n'existe pas ? Pourquoi ne pas voir ce principe appliqué aux élus EELV ? 

L’affirmation de Sandrine Rousseau est en réalité un grand classique du féminisme : le privé est politique. Cela fait allusion en particulier au fait que ce qui se passe au sein de la famille ou de la vie de couple est susceptible d’une régulation publique. En réalité, même le droit probablement le moins féministe de l’histoire de France, à savoir le Code civil napoléonien, entérine ce principe de la régulation publique de la vie privée. La vie privée est un domaine que la loi réserve à l’individu et encadre strictement en même temps. Par exemple, chacun a le droit d’éduquer ses enfants comme il le veut, et, en même temps, ce droit est strictement encadré par de nombreuses obligations. La vie privée n’existe que dans le cadre des lois qui l’encadrent.

Ensuite, en dehors de cette considération qui vaut pour tout le monde, il faut distinguer la vie privée d’un simple particulier et d’une personne aspirant à représenter ses concitoyens. Là la cohérence est nécessaire, comme je l’ai dit. Il se trouve qu’EELV a déjà connu une affaire importante de ce point de vue. Denis Beaupin, un élu vert, avait affiché ses prétendues convictions féministes lors d’une action publique d’EELV. Cela a déclenché une vague de dénonciations de femmes à son égard, et cela a fini par un procès en diffamation contre ses accusatrices qu’il a perdu. 

De fait, clairement, les élus EELV, en affichant leurs convictions féministes, peuvent se trouver pris en défaut sur ce point, ce qui ne sera pas le cas d’élus RN par exemple. Notons aussi que Julien Bayoux a dû récemment démissionner de la direction d’EELV pour un motif semblable : écart entre son discours féministe et son comportement supposé avec des femmes.

Pour l’instant, ce ne sont que des affaires en lien avec les relations hommes/femmes qui mettent un élu EELV en difficulté aux yeux de son propre camp. En effet, il n’y a aucun obstacle pratique à bien se comporter en la matière, sinon un machisme plus ou moins mal maîtrisé. Par contre, pour ce qui est de l’affaire du vol pour New York de l’élue du 12ème arrondissement, cela ne fera guère scandale chez EELV, car, comme je l’ai rappelé, les écologistes sont bien conscients qu’il y a des contraintes liées à l’organisation actuelle de la société, qui pèsent sur eux aussi.

Probablement, ces polémiques autour des mœurs prennent beaucoup d’importance parce qu’elles correspondent à la zone de liberté bien perçue par tous des individus. Il est tout de même plus facile d’être un bon mari, que de ne pas prendre l’avion pour aller à New York.

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