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Un orchestre sans chef d'orchestre ? Une fausse bonne idée réservée aux petites formations...
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Mesure radicale !

De passage à Paris à la Salle Pleyel et à la Cité de la musique, la formation italienne Spira Mirabilis donnera un concert sans chef d'orchestre. Que penser des concerts "auto-gérés" ? Peut-on se passer d'un chef d'orchestre ? Le "maestro" Jean-Claude Casadesus nuance cette mesure un peu "forte"...

Jean-Claude  Casadesus

Jean-Claude Casadesus

Jean-Claude Casadesus est chef d'orchestre et directeur de l'Orchestre national de Lille. Il a été l'élève de Pierre Dervaux et Pierre Boulez, et a été directeur musical du Châtelet, chef permanent à l’Opéra de Paris et à l’Opéra-Comique et directeur adjoint de l’Orchestre des Pays de la Loire.

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Atlantico : En tant que chef d’orchestre, que pensez-vous de la formation Spira Mirabilis (formée en Italie il y a trois ans) qui jouera Beethoven ce week-end à Paris… sans chef d’orchestre. Existe-t-il des précédents ?

Jean-Claude Casadesus : Cette initiative est très sympathique. Mais elle n'a rien de nouveau. On peut citer Dissonances à Dijon, avec David Grimal qui le fait  actuellement…  Autrefois, déjà, il n’y avait pas de chef d’orchestre. Un violoniste donnait le signal du départ ou un claveciniste qui dirigeait de son clavecin, comme Mozart, Couperin ou Rameau l’ont fait.

Mais cela ne marche que pour des orchestres de 30 à 40 musiciens seulement. Et il y a toujours un leader responsable de l’ensemble… Certes, les symphonies de Beethoven, surtout la deuxième (celle que Spira Mirabilis présentera à Paris), ne sont pas très compliquées : les musiciens peuvent donc jouer avec leurs oreilles. 

En réalité, quelqu’un a le rôle de chef d’orchestre, même dans un orchestre sans chef. Sans lui, on ne peut pas mettre en route la machine musicale car la génération spontanée du mouvement n’existe pas. Quelqu’un donne le signal de départ. Cela peut être le premier violon, de son pupitre, ne serait-ce que pour annoncer les phrasées… Dans la musique de chambre, dans un trio, un quatuor ou un quintet, quelqu’un donne le départ et vous les voyez bouger ensemble, ils se regardent et, au fond, ils communiquent, parce qu’ils sont en petit nombre… Mozart, Mozart, Schubert : c’est possible, d’ailleurs c’était comme ça autrefois ! Mais à 100 musiciens, c’est impossible.

C’est là qu’apparaît le chef d’orchestre ?

Le chef d’orchestre est justement apparu avec l’agrandissement de l’orchestre et avec l’apparition de mesures irrationnelles – des mesures qui ne sont pas carré. Par exemple, si vous avez des mesures à cinq temps, à trois temps, à deux temps… l’orchestre seul ne marche plus au bout de cinq minutes car chaque musicien n’a pas la même conception de l’œuvre. Il faudrait des dizaines, voire des centaines d’heures, pour arriver à mettre en place sans chef d’orchestre des partitions contemporaines, par exemple, qui nécessitent une synchronisation exemplaire.

Le chef a une conception, une pensée du son et il est au service de la partition et du compositeur. Il va tenter de transmettre une pensée, qui doit devenir collective, à l’ensemble - tout en ayant la modestie de ne pas se sentir un démiurge dictateur mais un collègue pour ses musiciens. Sa fonction doit être de jouer entre les notes, de maîtriser les couleurs, de donner le rythme et de donner la vie. Car la musique est la manière la plus poétique de donner la vie. Et pour donner la vie, le chef est comme Gepetto qui anime Pinocchio pour lui donner le mouvement.

Si vous dîtes « trois, quatre » et que vous lancez une symphonie de Mozart, ça marche ! Mais pour lancer le Sacre du Printemps, l’orchestre s’arrête au bout de deux minutes car il ne peut pas jouer tout seul les mesures compliquées ! Les chefs d’orchestre que l’on connaît actuellement sont nés au XIXe siècle avec Hans von Bülow, l’un des premiers et qui fut le gendre de Wagner. Précisément parce que la musique de Wagner est impossible à jouer sans chef. A partir du moment où l’orchestre s’agrandit, cela a multiplié les risques de décalage… On ne peut pas jouer Ravel, Debussy ou Malher sans chef qui synchronise le volume et la masse !

Tout le monde peut-il se poster devant un orchestre ?

Oui. J’ai fait l’expérience en plaçant plusieurs volontaires à tour de rôle sur scène devant les musiciens. Plusieurs –parmi lesquels des musicologues, des ingénieurs, des commerciaux - ont voulu diriger et la meilleure a été… une petite fille de neuf ans. C’était incroyable. Les candidats ont été surpris par la lourdeur d’un grand orchestre. Si vous battez la même mesure, avec le même morceau et le même orchestre : ça ne sonne pas d’une même façon. La musique n’est pas du tout mécanique. C’est organique.

Tout le monde peut donner le premier temps, le plus dur est donner le second temps ! Puis, il faut faire des couleurs, des nuances qui passent du forte, de la douceur à la violence à la force. Un forte, par exemple n’est pas le même pour tout le monde et c’est le chef qui le dose et l’indique pour que tout le monde l'exécute ensemble.

Pensez-vous qu’en période de crise, on pourrait envisager de généraliser des orchestres « auto-gérés » pour économiser le si coûteux poste du chef d’orchestre ?

Mais on n’y arriverait pas ! Pas pour l’essentiel des œuvres en tout cas. La musique est impossible sans chef. La musique est le seul domaine où on ne peut pas voter le tempo ! C’est forcément quelqu’un qui décide ! 

Et si on remplaçait le chef d’orchestre par un métronome ?

Mais le métronome donne le mouvement mais il ne donne pas la vie ! C’est comme si vous disiez à quelqu’un que pour faire l’amour, il faut rentrer et sortir… Sans sensations, ça ne marche pas !

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